Pouvoir dire oui, mais aussi apprendre à dire non

La nouvelle est tombée il y a quelques semaines déjà, les pharmaciens du Québec vont désormais pouvoir dire oui à beaucoup plus de demandes de leurs patients grâce au projet de loi (PL) 67. Je ne vous parlerai pas de l’aspect monétaire et encore moins de savoir si c’était vraiment l’élément qui permettra de remettre sur pied notre fragile système de santé, beaucoup d’autres l’ont fait avant moi.Jean-François Desgagné, président de l’Ordre des pharmaciens du Québec, a bien résumé notre future réalité : « On élimine les freins et on utilise notre jugement professionnel. » C’est une excellente nouvelle ! Mais soyons honnêtes, la plupart d’entre nous aiment quand même bien les lignes directrices, les algorithmes et autres encadrements législatifs qui nous aident parfois à poser des limites sur ce que nous pouvons accepter de faire pour nos patients. C’est réconfortant. Et, on le sait tous, il n’est pas facile de dire non à un patient. Jusqu’ici, on disait non en évoquant un règlement, c’était souvent frustrant, mais dire non parce que cela dépasse nos compétences… ce sera difficile, surtout si un autre pharmacien en est capable. Car on parle maintenant de limite fixée par nos propres connaissances ou notre zone de confort, mais sera-t-elle la même pour tous les pharmaciens ? Probablement pas. Une saine compétition a toujours poussé l’humain à se surpasser. Et, en toute franchise, quand on nous dit « vous aurez le choix, il n’y a pas d’obligation », tout le monde sait qu’on va quand même beaucoup dire oui, et c’est d’ailleurs l’objectif. Il faudra donc se former, mais aussi déléguer. Nous faire confiance et bien encadrer notre équipe technique afin de lui faire confiance à elle aussi, puis, bien entendu, utiliser notre jugement, comme toujours.Il faudra aussi apprendre à dire non si on n’a pas le temps ou l’installation requise dans notre pharmacie, il faudra organiser le travail, fixer des rendez-vous, apprendre aux patients à attendre ou à revenir. Heureusement, cette manière de travailler a déjà commencé à s’imposer depuis quelques années et cela n’en sera qu’une continuation logique, mais il y a encore bien du chemin à faire. L’appréhension des pharmaciens face aux changements vient souvent du fait qu’on est mis au pied du mur, les patients se sont déjà précipités au comptoir avant même que nous n’ayons vraiment eu l’occasion de comprendre la portée exacte du nouveau projet. C’est une frustration pour beaucoup d’entre nous, mais c’est malheureusement comme cela que le système fonctionne, on ne peut pas consulter tout le monde avant de changer la loi. Il est déjà difficile d’expliquer un refus à un patient, ce l’est encore plus lorsqu’on est pris au dépourvu, mais le temps va placer les choses, comme toujours.Puis le PL 67, c’est aussi une reconnaissance du public qui, j’en suis certaine, n’hésitera pas à se tourner vers son pharmacien, et des médecins qui ont approuvé ce projet. De nombreux médecins d’autres pays sont offusqués quand je leur dis qu’au Québec les pharmaciens peuvent modifier des ordonnances ou prendre en charge certaines conditions mineures. Pour bien des médecins, le pharmacien restera toujours et uniquement un distributeur de médicaments malgré toutes ses années d’études universitaires. Cela m’attriste. Mon travail comme pharmacienne en GMF m’a permis d’affirmer que ce n’est pas le cas au Québec : les médecins ne nous sollicitent pas uniquement pour le travail qu’ils n’ont pas le temps de faire, mais bien car ils reconnaissent notre expertise. Cela se confirme aujourd’hui et cette confiance nous pousse à exceller.Nous allons donc prescrire selon un large concept dont nous ferons chacun notre propre définition. C’est vague, un peu effrayant, et cela suscite diverses émotions pour chacun de nous. On va aider beaucoup de patients orphelins, et on va devoir ramener à la réalité les nombreux patients qui pensent que dès aujourd’hui, leur pharmacien va remplacer ce médecin tant attendu qu’ils n’ont toujours pas. Nous avons déjà hâte de vous présenter de multiples articles de formation continue dans Québec Pharmacie afin de vous outiller pleinement pour ces nouvelles opportunités. Finalement, on ne dira peut-être pas non si souvent !