La grosse dame prend la parole: l’obésité m’a presque tuée à plusieurs reprises, mais pas comme vous pourriez le penser

J’ai toujours affiché un poids peu conventionnel. Quand j’étais enfant, dans les années 50 et au début des années 60, à une époque où les joues potelées et les genoux creusés de fossettes faisaient fureur, les gens arrêtaient ma mère dans la rue pour lui demander de me nourrir davantage. J’étais petite, nerveuse et élancée, et je me nourrissais de salami, de poivrons verts et de cacao, parfois enrichi d’un œuf battu pour me fortifier. Le fil conducteur de mon enfance était une pression constante et des harcèlements pour que je mange plus que je ne le voulais. En cinquième année, les choses ont changé. J’ai été transférée dans une classe où je n’avais pas d’amis et où la seule fille qui me tolérait ne me plaisait pas vraiment. Pourtant, on rentrait ensemble à la maison, bravant les garçons méchants qui nous narguaient et nous poursuivaient. On allait au bar laitier et on prenait souvent des milkshakes. L’ajout de calories supplémentaires plusieurs fois par semaine n’était pas une bonne idée. J’ai également cédé à la pression de mes parents et j’ai commencé à manger davantage à la maison. J'ai atteint la puberté très jeune. Je me souviens avoir joué au cheval de bois dans le parc, d’avoir regardé mes jambes et d’y voir des poils. J’étais surprise, mais ma première pensée a été que je me transformais en poney. Ma mère n’était pas non plus vraiment préparée à l’apparition soudaine de caractères sexuels secondaires à l’âge de 10 ans. Elle m’a dit que j’étais grosse. En fait, quand je regarde les quelques photos de moi prises à cette époque, je vois maintenant une petite fille avec des hanches, une taille fine, une grosse poitrine et de l’acné. En un an et demi, je suis passée de trop maigre à trop grosse.Une fois à l'école secondaire, ma vie s’est considérablement améliorée. Je me suis fait des amis et j’ai eu une vie amoureuse. Je me considérais toujours comme grosse, pesant environ 61 kg. C’était l’époque de la mannequin britannique Twiggy et cette première célébration de la maigreur dans la mode est devenue ma définition de la beauté. Au cours de ma vie, j’ai suivi de nombreux régimes. J’ai perdu au total plus de 225 kg. J’ai essayé presque tous les types de diètes. Weight Watchers, comptage et suivi des calories, régime pauvre en glucides/riche en graisses, substituts de repas, entraîneurs personnels et, comme c’est le cas pour 90% des personnes qui essaient de perdre du poids, je peux maigrir, mais je ne parviens jamais à maintenir mon poids. Mon métabolisme ralentit tellement que je peux manger 600 calories par jour pendant des semaines et rester au même poids. Quand je suis au régime, je ne pense qu’à ce que je mange, quand je mange et combien de nourriture je peux manger. Le hamster court toujours dans ma tête et je peux à peine me concentrer sur autre chose dans ma vie. La stigmatisation liée au fait d’être un médecin obèse est énorme. Quand j’étais interne, mes superviseurs faisaient des commentaires désobligeants sur mon poids. Une fois, alors que j’étais enceinte de sept mois, le chef du service m’a dit que je me laissais aller. Il a été choqué lorsque je lui ai répondu qu’au moins une partie de mon poids allait miraculeusement disparaître dans deux mois. Une nouvelle patiente m’a dit un jour: «J’ai entendu dire que vous étiez la meilleure médecin, mais je me demande comment vous pouvez donner des conseils à qui que ce soit, vu que vous êtes si grosse.» Cela s’est passé il y a des décennies, mais cela me reste encore en travers de la gorge. Je ne sais pas pourquoi je l’ai acceptée comme patiente, mais je l’ai fait. Je l’ai soignée pour son infertilité, son accouchement, son hypertension, son diabète, son cancer et son décès.À lire aussi: Pharmacothérapie de l’obésité: mise à jour des lignes directrices canadiennesIl est terriblement difficile d’être une personne obèse dans ce monde. Les regards méprisants, les regards choqués lorsque vous vous asseyez dans un avion, l’insinuation que vous êtes paresseux et même immoral simplement parce que vous avez un corps plus corpulent ne font que s’amplifier lorsque vous êtes médecin. De nombreux praticiens adhèrent à l’idée fantaisiste selon laquelle «il suffit de suivre un régime et de faire de l’exercice pour perdre du poids et être en bonne santé», alors que toutes les études sur le sujet montrent que le poids repris est presque toujours supérieur à celui perdu au fil du temps. Parlons maintenant des expériences de mort imminente. Il y a d’abord eu ma brève, mais importante aventure avec le Fen-Phen. Ce médicament amaigrissant très médiatisé dans les années 90 était présenté comme le traitement parfait contre l’obésité. Il était efficace, n’avait pratiquement aucun effet secondaire et était parfaitement sûr. Je ne l’ai pris que pendant environ six semaines, puis j’ai arrêté parce que je n’arrivais plus à me concentrer suffisamment pour conduire. Il m’a toutefois laissé un anneau mitral calcifié qui affecte depuis lors ma capacité à faire de l’exercice. Cela m’a rendue très méfiante à l’égard des médicaments contre l’obésité. La plupart des recherches sont financées par les laboratoires pharmaceutiques, je vais donc attendre un bon moment avant de prendre une pilule qui me rendra constamment nauséeuse et me donnera la diarrhée.Ayant atteint un poids presque rédhibitoire et développé un diabète, j’ai décidé de subir une chirurgie bariatrique. Après avoir fait des recherches, qui se sont avérées imparfaites, j’ai opté pour un anneau gastrique. Avant l’opération, j’ai suivi un régime protéiné et j’ai perdu environ 18 kg. Après l’intervention, j’en ai perdu un peu plus, mais pas beaucoup; et pendant deux ans, j’ai eu l’impression d’avoir une nounou alimentaire très stricte, mais extrêmement stupide. Je vomissais souvent et violemment, parfois sans prévenir. Les croustilles passaient très facilement, mais la viande était pratiquement impossible à manger. Une fois, j’ai avalé une seule huître dans un restaurant chic, puis je me suis précipitée dans la rue pour vomir dans le caniveau. C’était démoralisant et humiliant. J’ai ensuite commencé à développer des obstructions intermittentes qui m’empêchaient d’avaler. Finalement, une nuit où j’étais de garde à la maternité, je ne pouvais ni avaler d’eau ni m’allonger sans vomir. À la fin de mon quart (oui, je sais que c’est fou), j’ai appelé la clinique bariatrique et j’ai passé un lavement baryté le lendemain matin, qui a révélé que le cardia de mon estomac était coincé dans l’anneau. J’ai subi une intervention chirurgicale d’urgence pour retirer l’anneau et ils ont découvert que mon estomac était cicatrisé et partiellement nécrosé. Quelques jours de plus auraient pu avoir des conséquences désastreuses. À lire aussi: Questions + Réponses sur WegovyUne fois l’anneau retiré, mon poids a recommencé à augmenter. Cette fois-ci, j’ai opté pour un pontage gastrique. L’opération était apparemment assez compliquée en raison, entre autres, des tissus cicatriciels. Le lendemain, j’ai eu une hémorragie gastro-intestinale massive, qui m’a laissée hypotendue et avec des palpitations. Après une autre intervention et quelques unités de sang, je me suis heureusement rétablie. Je suis reconnaissante d’avoir subi ce pontage. Cela fait 15 ans que j’ai été opérée et je pèse toujours 40 kg de moins que mon poids maximum. Je suis sûr que mon diabète ou ma maladie cardiaque m’auraient emporté plus tôt si je n’avais pas subi cette opération. Avec mon poids actuel, je peux faire de l’exercice et je suis en meilleure forme que je ne l’ai été depuis des années. En tant que médecins, nous traitons les personnes obèses de manière abominable. Nous les humilions, nous attribuons tous leurs symptômes à leur embonpoint, que ce soit vrai ou non. Nous refusons de les opérer tant qu’elles n’ont pas perdu du poids, même si elles perdent en force et en masse musculaire et que leur état s’aggrave à cause du retard. Nous gobons toutes les nouvelles modes en matière de perte de poids, sans tenir compte des conflits d’intérêts des chercheurs. Nous n’essayons pas de développer des moyens d’améliorer la santé des personnes en surpoids, car nous voulons simplement poursuivre la quête du Graal des produits amaigrissants, même si cela n’est pas toujours dans leur intérêt. Nous devrions plutôt rechercher le Saint Graal qui consiste à comprendre les causes profondes et la prévention de l’obésité, ainsi que la manière de maintenir les personnes obèses en bonne santé à leur poids actuel. À tout le moins, nous pouvons traiter les personnes en surpoids avec respect!La Dre Perle Feldman est médecin de famille et pratiquait jusqu'ici à Montréal.Vous souhaitez vous aussi faire valoir votre point de vue sur un enjeu du système de santé? Apporter une réflexion vis-à-vis de votre profession?Envoyez-nous un texte d'opinion à titre de professionnel de la santé ou d'association en santé, afin qu'il soit relayé sur le site. Plus d'infos >

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