Santé mentale des médecins: l’Ontario n’est pas un refuge

Depuis l’adoption de la Loi 2, près de 300 médecins québécois ont cogné à la porte de l’Ordre des médecins et chirurgiens de l’Ontario dans l’espoir d’y trouver de meilleures conditions d’exercice. Dans cette perspective, la province fait figure de refuge pour cliniciens fatigués des bras de fer avec Québec. Or les chiffres racontent une autre histoire. Les médecins ontariens travaillent plus, voient davantage de patients et restent moins nombreux par habitant qu’au Québec. Avant de refaire sa vie professionnelle de l’autre côté de la rivière des Outaouais, il vaut peut-être la peine d’ausculter de plus près la santé mentale de ceux qui y pratiquent déjà.En Ontario, chaque médecin accomplit en moyenne 26% d’actes de plus qu’au Québec. Pour un omnipraticien, cela se traduit par près de 500 interventions supplémentaires par année; pour un spécialiste, près de 900. Dans ces conditions, la fuite de praticiens formés localement paraît presque inévitable. Sur un horizon de deux ans après leur diplomation, la province a vu 1042 médecins partir ailleurs entre 2013 et 2019, soit une moyenne de 149 médecins par an, selon des données compilées par Radio-Canada.À consulter: De Montréal à Ottawa: la décision difficile de la Dre Le VanDans ce contexte, qu'en est-il de la santé mentale des médecins? Une équipe de l’Institut de recherche de l’Hôpital d’Ottawa a analysé les données de 29 662 cliniciens ontariens sur près de vingt ans. Publiée dans Annals of Internal Medicine, leur étude visait à «examiner les tendances temporelles des visites en santé mentale et toxicomanie» de cette vaste cohorte. Une photographie rarement possible à cette échelle, et qui dit beaucoup sur l’épuisement d’un système.Premier constat: le recours à des soins en santé mentale n’a rien d’exceptionnel chez les médecins ontariens. Plus d’un sur dix a consulté au moins une fois un psychiatre ou un médecin de famille pour un motif lié à la santé psychique ou à l’usage de substances au cours de la période étudiée. Et pendant quinze ans, avant la pandémie, cette proportion est restée remarquablement stable, autour de 12% par année. Autrement dit, la crise ne date pas d’hier.La pandémie comme révélateurPuis la pandémie de COVID-19 est arrivée. Et la digue a cédé. Dès 2020-2021, la proportion de médecins ayant consulté pour un enjeu de santé mentale a bondi à 14,6%, puis à 15,2% l’année suivante, avant de refluer légèrement à 14,4%. Une hausse brutale après 15 ans de stabilité qui suggère un métier de plus en plus sous tension.Surtout, la nature des consultations en dit long sur la pression qui s’exerce. Juste avant la pandémie, 8,4% des médecins ontariens avaient consulté pour anxiété – bien davantage que pour la dépression ou les troubles liés aux substances. Lorsque la COVID-19 a frappé, les consultations pour troubles d’adaptation et pour anxiété ont nettement augmenté, tandis que les autres motifs sont restés plus stables. Moins un effondrement qu’une adaptation forcée à un environnement de travail qui déborde. L’étude souligne par ailleurs que les médecins ont connu une hausse des soins en santé mentale plus marquée que la population générale.Testez-vous: Êtes-vous heureux au travail ou en proie au burn-out?Un schéma de longue dateLes auteurs insistent: «les inquiétudes actuelles quant à une crise de santé mentale des médecins ne reflètent peut-être pas une nouvelle crise, mais plutôt un schéma de longue date», aggravé par la pandémie. La COVID-19 n’a pas créé le malaise, elle l’a simplement rendu incontestable. Cette hausse rapide des consultations, dans un réseau déjà à court de médecins et sous pression permanente, révèle que là-bas aussi, le système soigne mal ceux qui le font tourner.Les signaux d’alerte que l’on observe ici, le Programme d’aide aux médecins du Québec n’a pas été le seul à les détecter: ils clignotent tout autant de l’autre côté de la rivière des Outaouais. Avant de faire ses valises, mieux vaut se demander si l’herbe y est vraiment plus verte… ou simplement tondue plus court.Référence:Gibb MA, Harrison L, Dumicho AY, et coll. Patterns in Mental Health- and Substance Use-Related Visits From 2003 to 2022 Among Registered Ontario Physicians. Ann Intern Med. 18 nov 2025. DOI: 10.7326/ANNALS-24-01069

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