Prendre soin de son monde

Voilà une grande idée élaborée en quelques lignes sur les 26 000 que compte le budget 2018-2019 de l’État québécois : un programme de crédits d’impôt de 63 millions $ destiné à favoriser le sport au travail.À l’heure de la pénurie de main-d’œuvre, de la quête incessante de productivité et d’un système de santé surchargé, il coule sous le sens que des employés actifs physiquement seront des citoyens moins prompts à l’absentéisme et aux visites hospitalières.Une bonne mesure qui, de façon ironique, est aussi l’initiative d’un employeur (et donneur d’ouvrage) présentant toutes les caractéristiques du cordonnier mal chaussé.Quand le ministre Gaétan Barrette se montrait plus combatif face à ses critiques, il balayait du revers de la main la responsabilité ministérielle quant à la situation de détresse psychologique dans laquelle se trouvent de nombreux membres du personnel du réseau. Cela s’illustre par l’explosion du recours à l’assurance salaire de ces dernières années, confirmée par des données dévoilées en mars.« Il est normal, avait-il répondu lors d’une conférence de presse impromptue l’été dernier, que les réformes indisposent certaines personnes. » Une manière désinvolte d’aborder une réalité dramatique, alors que les personnes poussées au congé forcé subissent une souffrance qui s’accompagne de conséquences concrètes : perte de revenus, séparation, anxiété, maux physiques, voire suicide. Rien qui ne puisse justifier cette « bagatelle », aux yeux du ministre.En décembre, alors que les données du Programme d’aide aux médecins montraient une croissance importante des consultations, le ministre ignorait encore toute relation de cause à effet : c’est parce que la santé mentale n’est plus taboue dans la profession, résumait-il, à un pas de se réjouir d’une telle nouvelle.Il est vrai que l’épuisement professionnel dans le réseau ne date pas de Gaétan Barrette. Déjà, en 2004, l’Association médicale canadienne révélait que près de la moitié des médecins canadiens affirmait souffrir d’un stade avancé d’épuisement professionnel. Nous terminions à l’époque, comme aujourd’hui, un autre cycle de restrictions budgétaires avec, à la source, un étranglement des transferts fédéraux en santé.Pour sa part, le British Medical Journal indiquait dans un éditorial, au début d’avril, que le moral des troupes du National Health Service (NHS) était dans un creux de vague. Comme ici, le manque de personnel, les bris de service ainsi que les exigences administratives, parfois déconnectées du réel, poussent médecins, pharmaciens, infirmières et travailleurs sociaux au bord du gouffre. Le NHS a trouvé une réponse magique : offrir une formation en résilience ! Mais pour l’auteur du BMJ, David Oliver, la résilience doit servir à assumer le fardeau émotionnel de la prise en charge et de la responsabilité qui vient avec la vocation, pas à s’adapter à des conditions de travail inacceptables et potentiellement dangereuses.En tant que professionnels de la santé, vous êtes formés à faire le bien, mais vous gérez des situations qui mettent en péril la qualité des soins que vous prodiguez. Vous vous retrouvez alors en situation de dissonance cognitive. Débordés, mais heureux au travail. Deux états pourtant en apparence incompatibles.Il a fallu un mouvement raz-de-marée, inspiré par la vidéo d’une infirmière en CHSLD à bout de souffle, pour que le ministre donne enfin l’impulsion à ce qui était pourtant un élément-clé de la dernière convention collective des infirmières : les fameux ratios infirmières/patients. Cela aura pris deux ans et une odeur électorale.Certes, Québec, comme employeur, est en concurrence avec le secteur privé et les autres juridictions pour le personnel qualifié, d’où cette euphorie qui a entouré les années de rattrapage salarial chez les médecins. Mais, comme le dit le professeur de management à l’Université Laval Jean-Pierre Brun, l’employeur doit s’ouvrir au dialogue quand autant de signaux lumineux clignotent dans le cockpit.Sauf que le gouvernement, comme bien d’autres organisations, considère la remise en question de ses modes de fonctionnement comme une menace, alors qu’en réalité les professionnels de la santé disent seulement qu’ils pourraient encore mieux faire leur travail. Pour peu qu’on leur donne le cadre approprié.

Prendre soin de son monde

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Derrière ce blogue:

Éric Grenier

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