L'oncogériatrie, une pratique où le patient est le héros

Le vieillissement de la population est global, et le Québec n'échappe pas à la règle. Aujourd'hui, deux adultes sur 10 sont âgés de plus de 65 ans dans la province, et plus de la moitié (53%) d'entre eux sont atteints d’un cancer. «On vit plus longtemps, c’est une bonne chose. Mais on développe aussi plus de cancers et il faut savoir les traiter correctement», observe ainsi la Dre Martine Extermann, oncologue au Centre de Cancer Moffitt en Floride, professeure d’oncologie et de médecine à l’Université de Floride du Sud et ex-présidente de la Société internationale d’oncologie gériatrique (SIOG).C'est pour discuter de l'optimisation et de la pertinence des soins aux aînés touchés par le cancer qu'elle a participé à la 36e édition des Entretiens Jacques-Cartier, au côté de la professeure Dominique Tremblay, directrice scientifique du Centre de recherche Charles-Le Moyne (CRCLM), titulaire de la Chaire de recherche sur la qualité et la sécurité des soins aux personnes touchées par le cancer et professeure à l’École des sciences infirmières de l’Université de Sherbrooke.«Le cancer n'est pas qu'une tumeur»Devant une salle comble du Campus Longueuil de l'Université de Sherbrooke (UdeS), les deux expertes ont d'abord rappelé que le cancer ne se résumait pas à une condition médicale. «Ce qu’on essaie de véhiculer maintenant, c’est que ce n’est pas qu’une tumeur [à traiter]. C’est vraiment une personne», a souligné la Pre Tremblay. Des personnes qui veulent être considérées par leur clinicien comme par la société. Un bon traitement oncologie doit ainsi s'adapter non seulement à la maladie, mais aussi aux besoins du patient – puisque chacun vieillit d’une manière différente, observe-t-elle avec humour. «Vous pouvez avoir plus de 80 ans et voyager dans l’espace, explique-t-elle. Ou bien vous pouvez avoir plus de 80 ans et c’est une expédition spatiale d’aller aux toilettes.» Pour Dominique Tremblay, chacun a droit au traitement qui convient à sa condition physique, mais aussi mentale et émotionnelle. C'est pourquoi l’équipe de soins doit non seulement évaluer le patient, mais aussi le cancer afin d’adapter le traitement, ajoute la Dre Extermann. Une évaluation cruciale, car elle permet d’éviter de surtraiter ou sous-traiter le patient, voire même de diagnostiquer d’autres maux qui étaient jusque-là passés inaperçus. À lire aussi: Soins palliatifs: 5 conseils pour mieux converser avec les patientsEt ce n'est pas parce que les patients ont un âge avancé qu'il faut initier le traitement trop tranquillement, pour ne pas les brusquer, prévient la Pre Tremblay. «Le cancer ne les laissera pas tranquilles».Pour faire face «à cette pyramide des âges qui s’inverse», il s'agit selon elle d'organiser les soins et les structures de soins en incluant tous les professionnels de santé – médecins, pharmaciens, infirmières, psychiatres et travailleurs sociaux – mais aussi les familles, amis et proches des patients. «Comment motiver le public et les communautés à s’en préoccuper?», questionne toutefois la spécialiste. «Parce que c’est notre avenir.»Parier sur le vieillissement réussiUne partie de la réponse se trouve dans le vieillissement réussi. Peu importe la manière dont la personne accumule les années, le vieillissement est considéré comme réussi lorsque l’individu vit une vie «qui en vaut la peine et qui fait du sens», résume la Dre Extermann. Ce concept ne s’applique pas qu’aux personnes en santé, mais aussi aux patients atteints de maladies chroniques ou d’un cancer. Grâce à l’avancée des traitements, les patients cancéreux ont désormais un taux de survie bien plus élevé qu’il y a quelques décennies – une amélioration d’environ 1% par an depuis 30 ans, évalue la Dre Extermann. Considérant le vieillissement de la population et le nombre grandissant de survivants d’un cancer qui auront besoin d’accéder à divers services de santé, il y a matière à réfléchir.Des soins personnalisés et bienveillants pour chaque patient demandent beaucoup de ressources. «Il faut penser investissement au personnel, investissement en capital, investissement en soins», énumère l’oncologue.Malgré la rareté généralisée des ressources humaines et financières, «le temps qu’on va prendre pour bien évaluer la personne va permettre d’adapter son traitement», assure de son côté la Pre Tremblay. Sans compter sur toute la recherche et documentation scientifique désormais disponible, qui permettent chaque jour de développer les connaissances nécessaires pour optimiser l'utilisation des ressources et délivrer le bon traitement au bon patient.À lire aussi: Vieillir en santé?La Dre Extermann encourage les cliniciens à continuer de se former sur les traitements spécifiques en oncogériatrie, apprendre à connaître ceux qui dans leur département en font une spécialité, et être à l’aise d’aborder les traitements possibles (plaisants ou pas) avec leurs patients. «On est capable de construire et de participer, comme clinicien, à la meilleure vie [de nos patients], rappelle la Pre Tremblay. C’est pour ça qu’on est devenus des professionnels de la santé, pour être présents et être avec eux.» Une question reste cependant en suspens: comment le système de santé peut-il contribuer à articuler ces connaissances scientifiques, la réalité de la pratique médicale et les besoins du patient?

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