La façon dont les adolescents perçoivent leur poids influence plus leurs idées suicidaires que leur IMC

Se fier uniquement à l’indice de masse corporelle (IMC) comme facteur de risque peut amener les cliniciens à négliger des adolescents qui semblent en bonne santé physique, mais qui luttent silencieusement contre l’insatisfaction corporelle et des problèmes de santé mentale, observe Philip Baiden, professeur associé à l’école de travail social de l’Université du Texas à Arlington.Avec ses collègues, il a examiné le poids perçu par rapport au poids réel et le lien entre cette perception et les problèmes de santé mentale chez 61 298 adolescents américains âgés de 12 à 18 ans.Les résultats, publiés dans la revue Psychiatry Research, soulignent la nécessité d’adopter une approche plus holistique qui tienne compte du bien-être mental et émotionnel lors de l’évaluation de l’impact du poids sur la santé. «Les cliniciens doivent être formés à identifier les dimensions psychologiques de la santé et, le cas échéant, à orienter les patients adolescents vers les services de soutien appropriés. En outre, les efforts éducatifs visant à promouvoir la positivité corporelle et l’acceptation de soi devraient être intégrés dans les interventions médicales et scolaires», indique Philip Baiden au Medical Post, la publication sœur de Profession Santé ailleurs au Canada.L’étude qu’il a dirigée a consisté à analyser l’association transversale entre le poids perçu, le poids réel et les idées suicidaires chez les adolescents, en examinant également les différences entre les sexes. Pour ce faire, les chercheurs ont utilisé un échantillon national représentatif de l’enquête Youth Behavior Risk Survey (YRBS), menée entre 2015 et 2021.Ils ont constaté que la perception d’être en surpoids, indépendamment de l’IMC réel des sujets, était associée à des risques plus élevés d’idées suicidaires chez les femmes. En revanche, les hommes dont l’IMC est élevé, mais qui ne se perçoivent pas comme étant en surpoids, sont moins susceptibles d’avoir des idées suicidaires.«Notre étude a révélé un résultat probant et quelque peu inattendu, à savoir que la perception qu’ont les adolescents de leur poids, plutôt que leur IMC réel, est plus fortement associée aux idées suicidaires. Même après avoir pris en compte les facteurs de risque connus tels que la consommation de substances, la victimisation et les problèmes de santé mentale, le lien entre la perception du poids et les idées suicidaires est resté significatif», signale le professeur Baiden.L’équipe a effectué une série de régressions statistiques pour examiner la perception du poids, l’IMC et les idées suicidaires après ajustement des variables démographiques et de contrôle. Dans cette cohorte, environ un adolescent sur cinq a déclaré avoir des idées suicidaires. Dans les analyses multivariables, les chercheurs ont constaté que les adolescents qui se percevaient en surpoids et dont l’IMC était supérieur ou égal au 85e percentile avaient 1,48 fois plus de chances d’avoir des idées suicidaires. Ceux dont l’IMC était inférieur au 85e percentile avaient 1,47 fois plus de chances d’avoir des idées suicidaires que leurs pairs qui ne se percevaient pas en surpoids.«Il est particulièrement frappant de constater que l’IMC, un outil clinique utilisé depuis longtemps pour évaluer la santé, n’avait pas la même valeur prédictive pour les idées suicidaires que la perception subjective du poids. Cela remet en question l’accent traditionnellement mis sur les mesures objectives du poids et suggère que nous devons réfléchir différemment à la façon dont nous abordons la santé des adolescents», estime Philip Baiden.À lire aussi: Pour parler plus sainement des enjeux liés au poidsLa disparité prononcée entre les sexes est très préoccupante, souligne par ailleurs le chercheur, car elle correspond aux pressions sociétales et aux normes de beauté bien connues, amplifiées par les réseaux sociaux. «Ces résultats sont très pertinents d’un point de vue clinique. Ils signalent un besoin urgent de réévaluer la façon dont les médecins et les professionnels de la santé évaluent et traitent le bien-être des adolescents en matière de santé mentale. Les praticiens, les conseillers scolaires et les autres prestataires de soins devraient intégrer des discussions sur l’image corporelle et la perception de soi dans les examens de routine et les dépistages en matière de santé mentale», affirme le professeur Baiden.Approfondir la questionSelon lui, il conviendrait de mener davantage de recherches sur la façon dont les adolescents en viennent à percevoir leur poids de la sorte, en examinant la consommation des médias, la dynamique des pairs et les attitudes de la famille. Des études longitudinales pourraient être particulièrement utiles pour suivre l’évolution des perceptions dans le temps et leur influence sur les résultats à long terme en matière de santé mentale. «Il serait également utile d’étudier l’efficacité des programmes scolaires sur l’image corporelle et la santé mentale, y compris l’éducation à la culture numérique et aux médias sociaux, pour atténuer les perceptions de soi néfastes. En outre, des études d’intervention axées sur la formation des professionnels de la santé à la perception du poids et à l’image corporelle en milieu clinique pourraient favoriser la mise en œuvre de ces résultats dans la pratique quotidienne», ajoute Philip Baiden.Professeure au département de psychiatrie et de neurosciences comportementales de l’Université McMaster à Hamilton (Ontario), Jennifer Couturier considère que la taille importante de la cohorte rend cette étude particulièrement convaincante. Également membre de l’Offord Centre for Child Studies, elle signale que ces résultats s’alignent sur le phénomène bien documenté selon lequel les troubles de l’alimentation chez les jeunes sont associés à des visions très déformées de l’image corporelle, ce qui provoque beaucoup de détresse et de déficiences qui se traduisent souvent par des pensées suicidaires.«Ces résultats sont très pertinents d’un point de vue clinique, car ils apportent une preuve supplémentaire que le fait d’avoir une vision déformée de son corps est très pénible et peut constituer un facteur de risque important pour les idées suicidaires. Les adolescents présentant une distorsion de l’image corporelle, quel que soit leur IMC, devraient faire l’objet d’un dépistage minutieux des idées suicidaires», considère Jennifer Couturier.Lire aussi: Nouvelles lignes directrices pour la prise en charge de l'obésité chez les jeunesOuvrir la discussionProfesseure spécialisée en troubles de l’alimentation au sein du département de psychiatrie de l’université de Caroline du Nord, à Chapel Hill, Cynthia Bulik explique que le poids réel et le poids perçu sont des concepts bien différents. Dans le domaine des troubles de l’alimentation, les professionnels de la santé voient souvent des adolescents et des adultes dont le poids est clairement insuffisant, mais qui se considèrent comme corpulents. «En fait, l’écart entre le poids réel et le poids perçu peut être à l’origine de troubles de l’alimentation, de l’estime de soi et de l’estime de son corps», indique la professeure Bulik, qui enseigne également la nutrition à la Gillings School of Global Public Health.Selon elle, les résultats de cette étude sont pertinents d’un point de vue clinique, car ils appellent à une modification de la prise en charge dès le départ. «La première chose que fait un médecin est de peser les enfants et les adolescents puis de reporter leur poids sur une courbe de croissance. C’est une excellente occasion, souvent manquée, de leur demander simplement "Comment te sens-tu par rapport à ton poids?” Cette seule question lors d’un examen de routine peut ouvrir la voie à une conversation qui pourrait révéler une dépression, un manque d’estime de soi, voire des troubles de l’alimentation.»

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