Défis cliniques de la douleur: la fibromyalgie (deuxième partie)

Suite à la première partie de ce double article (qui couvre l'histoire de la fibromyalgie et les raisons pour lesquelles cette maladie est si difficile à traiter aujourd'hui), j'ai tiré au sort 29 patients reçus de manière consécutive dans notre clinique de la douleur à Vaughan sur une période de 18 mois. Notre équipe a confirmé le diagnostic de fibromyalgie (FM) par un examen approfondi des documents qui nous ont été envoyés, un examen clinique détaillé et des examens complémentaires si nécessaire. Toutefois, comme je l'ai indiqué dans la première partie de cette série, de nombreux autres patients référés avec un diagnostic de FM souffrent aussi d’une autre condition – et n’ont donc pas été inclus dans l’échantillon de 29 personnes.Cette cohorte confirmée de patients atteints de FM est composée de 28 femmes (âge compris entre 17 et 77 ans, moyenne de 54 ans) et d’un homme âgé de 32 ans.Concernant l’apparition de la fibromyalgie:Deux femmes sur 28 n'ont pas le souvenir d’un événement déclencheur (maladie, traumatisme, AVP, stress sévère, etc).Six femmes sur 28 ont subi un événement physique (tumeur, maladie, commotion cérébrale, etc.) qui a entraîné une douleur généralisée (il est évident qu'un état pathologique important et prolongé crée un stress).Sept femmes et un homme de 32 ans ont mentionné un stress important comme seul facteur ayant précédé l'apparition de la douleur généralisée.Douze femmes sur 28 ont été impliquées dans des accidents de voiture (ne subissant que des lésions des tissus mous), à la suite desquels elles ont développé des douleurs diffuses, soit en raison d'une anxiété aiguë, d'un syndrome de stress post-traumatique ou autres générés par l'accident, soit en raison de vulnérabilités émotionnelles préexistantes, telles qu'une anxiété ou une dépression de longue durée.Deux femmes ont développé une douleur généralisée progressivement depuis leur plus jeune âge (toutes deux présentaient des facteurs de stress majeurs concomitants ou des troubles psychiatriques multiples depuis l'enfance).D'après mon expérience, je soutiens que le stress et/ou les troubles de l'humeur ou de l'anxiété (qu'ils soient prolongés ou aigus) sont intimement liés à l'apparition de la douleur diffuse dans la majorité des cas et ne sont pas de simples comorbidités. Les deux femmes qui n'ont pas rapporté d’événements déclencheurs souffraient de cette condition depuis des décennies, de sorte que leur mémoire à ce sujet peut être compromise. À lire aussi: Fibromyalgie: Savoir reconnaître cette maladie incompriseVoici quelques exemples tirés de ces cas qui illustrent ce qui précède: CAS N°1 Une femme de 48 ans a souffert de lombalgies pendant 13 ans, après avoir été impliquée dans un accident de la route (AR). En 2015, elle a été victime d'un autre AR et a dû subir une intervention chirurgicale à l'épaule. Au cours des dernières années, elle a remarqué une sensibilité généralisée au toucher sur l'ensemble du corps, qui a commencé à interférer sérieusement avec sa vie de couple et qui l'a beaucoup inquiétée. Un rhumatologue a écarté l'hypothèse d'une maladie inflammatoire ou auto-immune et a diagnostiqué une FM. Elle travaillait à temps plein dans un établissement médical (qu'elle adorait), avait un autre emploi à temps partiel très stressant (au total, elle travaillait 50 à 55 heures par semaine) et s'occupait de deux membres de sa famille proche décédés récemment. À lire aussi: Traitement de la douleur chronique: efficacité et sécurité des relaxants musculaires squelettiques utilisés à long termeLors de la consultation initiale, nous avons conclu qu'elle souffrait d'un dysfonctionnement mécanique chronique de la colonne lombaire et d'une sensibilité généralisée dans tout le corps (caractéristiques de la douleur nociplastique avec sensibilisation centrale). Elle a participé à notre programme complet de gestion de la douleur et a été suivie régulièrement. Après 12 mois, elle continue d'aller «beaucoup mieux» et présente des changements importants: sa sensibilité au simple toucher continue de s'améliorer de 75% (une victoire rare pour les patients souffrant de FM, qui est un trouble d'amplification du SNC). Elle a déclaré qu'elle n'avait plus peur de recevoir une étreinte ou une tape dans le dos de la part de son partenaire. Elle a des poussées occasionnelles, mais elle est capable de les gérer de manière appropriée et n'est pas paniquée par le risque que ces poussées commencent et ne s'arrêtent pas. Afin de réduire son stress, elle a fixé des limites à son travail de soir en PT de manière remarquable, en imposant le nombre d'heures et de jours qu'elle était prête à faire tout en conservant son travail de jour à temps plein. Elle s'est également inscrite dans un gym, ce qui est devenu important pour elle.Message à retenir: La sensibilisation centrale s'est développée progressivement après un certain nombre de blessures associées à un stress important au travail. La patiente a conservé une certaine fonctionnalité malgré ses symptômes et s'est montrée motivée, cherchant elle-même à se faire soigner. Une approche globale a permis à la patiente d'acquérir des compétences d'autogestion tout au long de sa vie et de mieux contrôler le stress lié au travail. Cela a considérablement et durablement réduit la sensibilité au toucher (un marqueur du «cerveau reconnecté»).CAS N°2Une femme de 51 ans s'est présentée avec des antécédents de douleurs depuis plus de 35 ans. À l'adolescence, elle a développé insidieusement des douleurs migratoires multisites, des maux de tête ainsi qu’une sensibilité à la lumière. Un rhumatologue lui a diagnostiqué une FM. Elle a ensuite développé d'autres douleurs multisites persistantes, aggravées par deux accidents de voiture au cours des dix dernières années. De multiples examens d'imagerie ont révélé de légères modifications dégénératives à plusieurs niveaux de la colonne vertébrale, de la hanche et du genou, une légère bursite à l'épaule et une possible endométriose. Elle a obtenu des scores extrêmement élevés sur les échelles de dépression, d'anxiété et d'invalidité, et a signalé des troubles du sommeil. Elle ne pouvait travailler que quelques heures par semaine depuis son domicile, et présentait en général une fonctionnalité et une motivation très faibles. Elle a révélé avoir subi d'importants sévices physiques et émotionnels pendant son enfance, ainsi que des facteurs de stress conjugaux et financiers permanents. Elle s'est montrée très sensible à la palpation douce, avec des douleurs dans toutes les amplitudes de mouvement. À lire aussi: Le jeûne prolongé peut atténuer les symptômes de la fibromyalgieNous avons confirmé le diagnostic de FM (douleur à médiation centrale/nociplastique). Nous avons constaté qu'elle avait des générateurs de douleur nociceptifs, mais ceux-ci ne pouvaient pas expliquer la totalité de sa douleur et son niveau d'invalidité. Nous lui avons recommandé ce qui suit: S’inscrire au nouveau portail gratuit Power Over Pain, qui propose de nombreux webinaires et d'autres ressources d'autogestion en ligne.Lire le livre The Way Out d'Alan Gordon et les podcasts associés, car les thérapies qu'ils décrivent sont efficaces dans le traitement des douleurs nocives.Commencer l'aquaforme pour se désensibiliser et améliorer sa condition physique.Si elle décide d'entreprendre une pharmacothérapie, nous lui conseillons d'essayer la Duloxetine.Si l'humeur et la fonctionnalité s'améliorent grâce aux suggestions ci-dessus, elle est invitée à revenir dans notre établissement pour reconsidérer un programme de gestion de la douleur sur place.Message à retenir: Les douleurs ont commencé à l'adolescence dans un environnement familial difficile et se sont ensuite propagées à l'ensemble du corps. La combinaison d'une sensibilisation centrale, d'une dépression non traitée (la patiente refuse les médicaments), de facteurs de stress conjugaux et financiers permanents et d'un manque de motivation a rendu la patiente inéligible à un programme complet de gestion de la douleur, qui exige une assiduité constante.CAS N°3 Un homme de 32 ans a développé insidieusement une douleur généralisée en février 2018, sans événement déclencheur. À l'époque, il vivait dans son pays d'origine et traversait une période très stressante de sa vie, perdant 40 livres en deux mois. Un médecin local respecté lui a diagnostiqué une FM. Des traitements réguliers de thérapie manuelle et d'acupuncture, associés à un changement des habitudes de vie et de facteurs de stress, ont permis d'atténuer la douleur de 80%. Il est ensuite venu au Canada pour ses études il y a deux ans (ce qu'il a décrit comme une période extrêmement stressante) et, en quelques mois, il a aggravé sa lombalgie en soulevant une boîte. Ses douleurs corporelles diffuses se sont profondément accrues. Il a obtenu un score assez élevé en matière d'invalidité et de dépression, évaluant sa douleur à 9/10 et fluctuant entre 7/10 et 10/10. Il a fait état d'un sommeil fragmenté, d'une photosensibilité, d'une phonosensibilité, d'acouphènes et de fatigue. Il a refusé de prendre des médicaments. Il présentait une sensibilité diffuse à la palpation douce et toutes les amplitudes de mouvement étaient douloureuses. Nous avons conclu qu'il souffrait de FM (douleur nociplastique d'origine centrale associée à une sensibilisation centrale) et avons estimé que le stress était un facteur incitatif majeur lors de l'apparition de la douleur et des poussées ultérieures. Nous lui avons expliqué le concept de FM, fait des recommandations similaires à celles du deuxième cas et l'avons invité à revenir pour un suivi, à condition qu'il ait suivi certaines de nos suggestions.Message à retenir: Remarquez que le seul facteur déclenchant a été le stress extrême responsable des symptômes et des poussées initiaux. Comme dans le cas n°2, le patient était très réticent à l'égard des médicaments. À moins que les patients ne soient prêts à s'éduquer au concept de la FM et à prendre les premières mesures pour améliorer leur humeur et leur fonctionnalité, le pronostic d'amélioration reste médiocre. «Vous pouvez amener le cheval à l'eau, mais vous ne pouvez pas le forcer à boire.»

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