Curcuma et curcumine: promesse anti-inflammatoire ou complément alimentaire surestimé?

Le curcuma est une plante de la famille du gingembre qui est utilisée depuis des siècles dans la cuisine indienne. Il est surtout connu comme l'épice jaune vif qui entre dans la composition du curry en poudre. Traditionnellement préparé à partir de ses tiges et racines séchées, le curcuma est reconnu non seulement pour sa saveur et sa couleur, mais aussi pour ses potentielles propriétés anti-inflammatoires. Au cœur de l’intérêt pharmacologique du curcuma se trouve la curcumine, un composé polyphénolique jaune étudié pour ses propriétés antioxydantes et anti-inflammatoires, en particulier dans le cas des douleurs articulaires. Le régime alimentaire indien moyen comprend environ 2000 mg de curcuma par jour, ce qui équivaut à environ 60 mg de curcumine par jour. Cependant, en dépit de certaines preuves soutenant son rôle possible dans la réduction de la douleur et de l'inflammation, l'utilisation thérapeutique de la curcumine est considérablement limitée par sa faible biodisponibilité orale. Cela s'explique principalement par une faible absorption intestinale et un métabolisme hépatique rapide, deux facteurs qui réduisent l'exposition systémique après l'ingestion. Une stratégie pour augmenter l'absorption de la curcumine consiste à utiliser une substance appelée pipérine, présente dans le poivre noir. Il a été démontré que la pipérine augmente de manière significative la biodisponibilité de la curcumine, dans certains cas jusqu'à 2000% par rapport à la prise de curcumine seule. Cette synergie pharmacocinétique remarquable a mené à la recommandation généralisée d’associer la curcumine au poivre noir, tant dans les formulations de suppléments que dans les conseils alimentaires relayés par les médias populaires. Toutefois, si cette association améliore considérablement l'absorption, elle n'est pas sans inconvénients potentiels, avec notamment des interactions entre médicaments et nutriments.L'effet du poivre noir: une absorption accrue, mais à quel prix?Si la pipérine, le composé actif du poivre noir, contribue à augmenter la biodisponibilité de la curcumine, il a également été établi qu'elle inhibe des enzymes clés du métabolisme des médicaments, telles que le CYP3A4, le CYP2C9 et la glycoprotéine P (PGP). Des études cliniques suggèrent que la pipérine, généralement à des doses d'environ 20 mg/jour, peut entraîner une augmentation modérée des concentrations plasmatiques des médicaments métabolisés par ces voies, notamment la carbamazépine, le midazolam, le diclofénac, la phénytoïne, la warfarine, la fexofénadine ou encore la digoxine. Bien que l'importance clinique du poivre noir alimentaire reste incertaine, des doses élevées sous forme de suppléments peuvent augmenter le risque d'accumulation de médicaments et d'effets indésirables potentiels.Sécurité et interactions médicamenteusesÀ des doses inférieures à 2000 mg/jour, la curcumine est généralement bien tolérée. Cependant, une utilisation à long terme ou à forte dose peut provoquer des troubles gastro-intestinaux. Des cas d'augmentation des lésions hépatiques et rénales dus à des doses élevées de compléments alimentaires à base de curcuma et de pipérine ont ainsi été rapportés dans la littérature scientifique. En ce qui concerne la curcumine en particulier, les interactions médicamenteuses constituent une préoccupation clinique supplémentaire, car elle a de légères propriétés antiplaquettaires et peut prolonger le temps de saignement. Pour cette raison, les cliniciens doivent faire preuve de prudence avec les personnes qui prennent les classes de médicaments suivantes en raison du risque de complications hématologiques:AnticoagulantsAgents antiplaquettairesAINSInhibiteurs sélectifs de la recapture de la sérotonine (ISRS)ThrombolytiquesPreuves cliniques: avantages et limitesUne méta-analyse1 de huit essais randomisés a révélé que la prise quotidienne de 1000 mg de curcumine pendant trois mois entraînait une amélioration significative des symptômes de la polyarthrite rhumatoïde. Dans certains cas, ces effets étaient comparables à ceux des anti-inflammatoires non stéroïdiens (AINS), ce qui suggère un potentiel rôle complémentaire pour les patients à la recherche d'alternatives à l'utilisation à long terme des AINS. Toutefois, des essais cliniques à plus grande échelle et plus rigoureux sont nécessaires pour clarifier le rôle de la curcumine dans les affections inflammatoires telles que la polyarthrite rhumatoïde.Cela dit, tous les résultats ne sont pas prometteurs. Une étude canadienne2 menée dans 10 hôpitaux a examiné l'effet d'une dose élevée de curcumine (2000 mg deux fois par jour pendant quatre jours) chez des patients subissant une réparation d’anévrisme de l’aorte. L'étude a révélé une incidence plus élevée de lésions rénales postopératoires dans le groupe curcumine que dans le groupe placebo, ce qui soulève des questions quant à l'innocuité d'une supplémentation à forte dose dans le cadre de soins aigus ou chirurgicaux.Lire aussi: 9 signes d'inflammation dans l'organisme. Un régime anti-inflammatoire peut-il aider?Gestion de la douleur: l'importance de l'activité physique et de l'alimentationSi le curcuma peut potentiellement jouer un rôle complémentaire dans la gestion de l'inflammation et la réduction de la douleur, des recherches supplémentaires sont nécessaires afin de formuler des recommandations spécifiques pour les patients.Il est également vrai que les stratégies basiques, fondées sur des preuves, en matière de mode de vie restent essentielles. L'activité physique, qu'il s'agisse d'exercices aquatiques, de danse ou d'exercices réguliers à faible impact, stimule la production de liquide synovial, nourrit le cartilage et préserve la fonction articulaire. L'alimentation joue également un rôle central dans la modulation de l'inflammation. Il a également été démontré qu'une alimentation riche en oméga-3, en huile d'olive, en fruits, en légumes et en aliments peu transformés contribue à réduire l'inflammation systémique.À mesure que la recherche progresse, le curcuma pourrait s'imposer comme une option complémentaire dans le cadre plus large des soins fondés sur des données probantes pour la douleur chronique et l'inflammation. Si les premières données suggèrent des bénéfices potentiels dans des affections telles que la polyarthrite rhumatoïde, des considérations importantes, telles que la dose, la formulation et les facteurs individuels propres à chaque patient, notamment la sécurité et les interactions médicamenteuses potentielles, doivent être soigneusement évaluées avant de formuler des recommandations officielles.Lindsay Dixon (BSP, RPh) est pharmacienne, communicatrice scientifique et créatrice de contenu sur la santé. Elle est ambassadrice de la santé publique pour Heart Pharmacy Group et fondatrice du balado Friendly Pharmacy 5. Pour toute collaboration ou service de consultation, écrivez à friendlypharmacy5@gmail.comRéférencesEfficacy of Turmeric Extracts and Curcumin for Alleviating the Symptoms of Joint Arthritis: A Systematic Review and Meta-Analysis of Randomized Clinical TrialsOral curcumin in elective abdominal aortic aneurysm repair: a multicentre randomized controlled trialAutres ressources (en anglais)Liver Injury Associated with Turmeric—A Growing Problem: Ten Cases from the Drug-InducedLiver Injury Network [DILIN]Can turmeric benefit people with arthritis?Piperine Drug Interactions

Curcuma et curcumine: promesse anti-inflammatoire ou complément alimentaire surestimé?

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