Cancer: aidez vos patients à apprivoiser la peur de la récidive

Tous les patients ayant eu un cancer vivent, un jour ou l’autre, la peur de la récidive. Une réalité clinique omniprésente, mais longtemps sous-estimée. Lorsque Josée Savard a commencé à travailler en oncologie, elle a vite compris l’ampleur du phénomène. «Rapidement, c’est apparu que cette peur faisait partie des préoccupations majeures des patients», dit-elle. Ce sont d’ailleurs les infirmières pivots qui ont tiré la sonnette d’alarme. «Elles nous disaient: “On a beaucoup de patients qui vivent ça, et on n’a rien à leur offrir.”»C’est ce manque d’outils et de repères qui a poussé la psychologue clinicienne à écrire Apprivoiser la peur de la récidive du cancer avec l’optimisme réaliste, un ouvrage publié après 20 ans de pratique en psycho-oncologie. Un ouvrage destiné tant aux patients qu’aux professionnels de la santé. Au cœur de l’entrevue qu’elle nous a accordée, une distinction essentielle apparaît. «À peu près 100% des personnes vont vivre une peur de la récidive à un moment ou un autre, mais à des niveaux très différents», rappelle la professeure titulaire de l’École de psychologie de l’Université Laval (UL). La forme “normale” s’intensifie surtout avant les suivis ou en attendant les résultats, puis elle s’apaise. À l’inverse, la forme pathologique est quasi quotidienne, toujours en arrière-plan. «Beaucoup de patients disent qu’ils vivent avec une épée de Damoclès au-dessus de la tête.»Cette peur ne surgit pas seulement lorsque les traitements se terminent. Les études longitudinales montrent qu’elle est présente dès le diagnostic. «Elle est là dès le départ», observe la Pre Savard. Et lorsque son niveau initial est élevé, il a tendance à demeurer stable «pendant des mois, des années». Au fil du temps, différents déclencheurs peuvent raviver la peur: l’apparition d’un symptôme, le souvenir d’une expérience antérieure ou même l’annonce médiatique du décès d’une célébrité. Autant d’éléments qui entretiennent une inquiétude diffuse, parfois difficile à maîtriser.Facteurs qui amplifient la peurCertains patients sont plus vulnérables. «Les recherches ont identifié plusieurs facteurs de risque. Le fait d’être plus jeune en fait partie», explique la chercheuse au Centre de recherche sur le cancer de l’UL. Les femmes semblent aussi plus à risque. Les personnes ayant déjà vécu une récidive sont également plus susceptibles d’en redouter une autre. À l’inverse de ce que l’on pourrait croire, le type ou le stade du cancer pèsent peu dans la balance. «On peut avoir un excellent pronostic et une peur de la récidive très élevée.» Ce sont surtout des facteurs psychologiques, dont les antécédents anxieux, qui entretiennent cette appréhension.À lire aussi: Cancer: des progrès au Canada, un signal d’alarme pour le QuébecLes répercussions cliniques sont loin d’être anodines. La peur de la récidive entraîne souvent une recherche de réassurance qui devient presque un réflexe. «Dès qu’un symptôme apparaît, plusieurs patients ressentent le besoin d’obtenir une confirmation immédiate que ce n’est pas une récidive», observe la psychologue. Une stratégie efficace à court terme, mais délétère à long terme, car elle entretient l’anxiété et multiplie les consultations. «Les personnes qui ont une peur élevée consultent davantage et consomment plus de psychotropes.» Pour plusieurs, chaque douleur devient un signal d’alarme, alimentant une vigilance constante difficile à apaiser.«Il suffit de porter des lunettes claires et de percevoir la réalité telle qu’elle est, sans amplifier les aspects négatifs de la situation ni adopter un optimisme aveugle par rapport à celle-ci. C’est ce que nous appelons l’optimisme réaliste. L’optimisme réaliste, c’est percevoir la situation telle qu’elle est, voir tous les aspects possibles de celle-ci sans les exagérer négativement… ou positivement.» - extrait du livre Apprivoiser la peur de la récidive du cancer avec l’optimisme réalisteÀ cette réassurance excessive s’ajoutent deux mécanismes souvent invisibles aux yeux des cliniciens: la pensée positive et l’évitement. La Pre Savard insiste sur les risques du premier réflexe. «L’injonction à penser positivement peut générer beaucoup de culpabilité. Les gens se disent qu’ils ne doivent pas se sentir anxieux ou tristes parce que le cancer va revenir… et que ce serait de leur faute.» Quant à l’évitement, il offre un soulagement immédiat, mais renforce la peur. «On change de chaîne quand une émission parle du cancer, on arrête un film dès qu’un personnage tombe malade. Sur le coup, l’anxiété baisse, mais à long terme, ça la maintient.» L’effet boomerang est alors inévitable: plus on évite, plus la peur s’installe.Ni catastrophisme, ni pensée magiqueL’optimisme réaliste, au cœur du modèle proposé par la psychologue, vise justement à sortir de ces extrêmes. «L’optimisme réaliste, c’est percevoir la situation telle qu’elle est, voir tous les aspects possibles sans les exagérer négativement… ou positivement», écrit-elle. Cette posture ne nie pas les risques, mais elle évite de s’enfermer dans des scénarios catastrophiques, tout en résistant à l’illusion d’un avenir garanti. Selon elle, c’est une manière plus saine d’entretenir l’espoir; un espoir enraciné dans la réalité plutôt que dans la lutte mentale entre pensées négatives et pensées roses.Reste ensuite à apprivoiser l’incertitude, un enjeu central pour de nombreux patients. Beaucoup cherchent à tout contrôler, alors que «la vie est caractérisée par énormément d’incertitude». Pour la clinicienne, l’objectif n’est pas d’augmenter la certitude, mais la capacité d’y faire face. «On ne peut pas tout prévoir. L’important, c’est de se faire confiance dans sa capacité à s’adapter aux situations au fur et à mesure qu’elles surviennent.» Elle encourage des exercices progressifs: relâcher légèrement la planification, accepter qu’un symptôme puisse évoluer sur quelques jours, se rappeler que l’inquiétude n’a aucun pouvoir sur les événements. Autant de gestes qui rendent l’avenir moins menaçant.«Contrairement à certaines croyances, les inquiétudes n’ont pas d’impact sur les événements. En réalité, l’avenir est incertain et nous avons peu de contrôle sur les événements qui peuvent survenir. Le principal contrôle que nous ayons est sur notre manière de réagir aux événements.» - extrait du livre Apprivoiser la peur de la récidive du cancer avec l’optimisme réalisteSoutenir sans amplifier la peurPour les médecins de famille, l’accompagnement commence souvent par un message simple: une récidive ne signifie pas automatiquement la mort. «Beaucoup de patients ont l’impression que si le cancer revenait, ils allaient mourir de façon instantanée. Ce n’est pas le cas», rappelle la psychologue. Elle insiste aussi sur la nécessité de soutenir des changements d’habitudes de vie réalistes, sans encourager l’hypercontrôle. «On ne veut pas que les gens se mettent des barres trop hautes et tombent dans une spirale de découragement.» Enfin, la Pre Savard recommande d’aider les patients à devenir des observateurs attentifs de leurs symptômes, en évitant à la fois la négligence et l’hypervigilance.Bon à savoir: Cancer: enfin un répertoire des essais cliniques au CanadaL’information transmise en consultation joue aussi un rôle déterminant. La psychologue rappelle que les patients retiennent souvent «environ 30% des informations» discutées avec leur médecin. D’où l’intérêt d’être accompagné et, surtout, d’enregistrer la rencontre, avec l’accord du clinicien. «Les médecins devraient pouvoir dire à leurs patients: actionnez la fonction enregistrer de votre cell et vous pourrez réécouter ça tranquillement chez vous.» Cette pratique améliore la compréhension, réduit l’anxiété et, selon elle, a un autre effet bénéfique. «L’intervenant devient aussi meilleur quand il sait qu’il est enregistré, il est plus clair.» La Pre Savard encourage également à expliquer les statistiques avec précision, pour éviter les malentendus qui alimentent la peur.

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