On aurait dû se lever avant

Bon dimanche à tous et surtout, merci d’être là.Mes amies et collègues organisatrices m’ont demandé de parler pendant deux ou trois minutes (ceux qui me connaissent doivent déjà rire dans leurs barbes) et de le faire avec mon cœur. Ben je dois vous dire qu’il est rempli de vous voir ici en si grand nombre. Et je remercie trois de mes cinq enfants qui sont ici et qui m'ont aidée à préparer des pancartes tout le week-end, même pour mes collègues.Habituellement je ne lis pas mes mots directement de mon téléphone, mais en toute honnêteté, je suis émotive ici aujourd’hui et ça sera plus facile de vous passer mon message si je m’aide de mes notes.Je suis médecin de famille.Je suis une fille d’ici, de l’Outaouais.Je suis revenue soigner mon monde d’ici, dans une petite niche de pratique, en soins à domicile, auprès de patients âgés, souvent en soins palliatifs… des patients qui font partie des plus vulnérables de notre société, à bien des égards. J’ai été médecin en GMF et à l'hôpital pendant plusieurs années, mais avec la pandémie, j’ai choisi de me consacrer uniquement au soutien à domicile.Au CLSC, ma petite niche de pratique manque de tout. Elle manque de mes collègues précieux de toutes les autres professions, des ergos aux physios en passant par les TS et les incontournables infirmières, les inhalos, les nutris et j’en passe. Plusieurs sont d’ailleurs présents avec nous cet après-midi, parce qu’ils ont compris depuis longtemps, eux autres, que notre job est non seulement la plus belle du monde, mais que c’en est une qui se fait en équipe.Notre niche de soins manque de tout partout, mais c’est encore plus vrai ici, en Outaouais, comme d’habitude. Elle manque de support administratif, d’effectifs de toutes sortes et oui, elle manque de docteurs.Et ce travail, je l’ai choisi même s’il était parmi les moins rémunérés de toute la profession médicale. Alors bien qu’on ne soit pas ici pour parler d’argent, je voulais le mentionner quand même parce que pour moi, comme pour plusieurs de mes collègues, ça n’a jamais été l’enjeu principal au centre de nos soins ou de notre choix de devenir médecin.On ne fait pas cette job pour l’argent. On la fait pour les patients, véritablement et sincèrement. Je L’AIME, ma job.Je sais qu’on peut en dire des choses sur les sous des docteurs, mais je peux vous garantir que dans cette loi 2, c’est pas l’argent qui nous inquiète le plus et c’est pas ça qui devrait vous inquiéter le plus non plus.Oui, c’est important de parler de la rémunération des médecins. Elle doit être revue et on est tous d’accord depuis longtemps avec ça. Mais la manière de le faire de la CAQ, ayoye.Le gouvernement a mis l’accent sur l’argent, après des mois d’intimidation à notre égard, des mois de négociations qui n’étaient clairement pas sincères, pendant qu’il préparait cette loi en catimini et détournait les regards loin de ses propres échecs, en santé, mais aussi en éducation et ailleurs, avec des dépenses écœurantes jetées aux vidanges pour des projets qui ne sont clairement pas la priorité des Québécois… mais qui semblent certainement être celles de ce gouvernement!Savez-vous ce qui n’est pas la priorité de la CAQ?Vos soins DE QUALITÉ!Des soins prodigués par des soignants dédiés, de cœur, qui viennent manifester, un dimanche après-midi avec leurs p’tits en d’sous du bras, pour sauver nos soins, après avoir passé une partie de la nuit à finir des pancartes.Des soignants dédiés qui prennent le temps de vous soigner du mieux qu’ils peuvent malgré un système qui leur met non seulement des bâtons dans les roues, mais qui leur tape sur la tête après avec, leur coupe les jambes et leur enfonce des bâillons de travers dans la gorge en pleine nuit au lieu de leur tendre la main ou de leur fournir les bras nécessaires pour le faire, leur si beau travail.Je L’AIME, ma job!Je l’aime même si c’est pas simple, soigner notre population vieillissante, plus malade et qui se relève à peine d’une pandémie.Il ne faut pas oublier que nous sommes des humains, nous aussi, à travers tout ça. Nous aussi, on se relève de la même pandémie.Pandémie pendant laquelle on a tout donné ce qu’on a pu, notre propre santé comprise.Mais on va se le dire, c’était une pandémie pendant laquelle on s’est fait louanger, pour une rare fois. On était des anges, pour un instant.Faut comprendre qu’on revenait de l’ère Barrette aussi, d’une période sombre de dévalorisation, notamment en médecine familiale.On a eu l’impression d’être vus, pour un instant, pendant la pandémie. Et c’était doux. Ça remplissait d’espoir.Pis regardez où on est, aujourd’hui.En plein retour du cycle de violence, après qu’on vous ait complimenté seulement pour mieux vous assommer après.C’est pas mêlant, y’a encore dans l’hôpital en arrière de moi des affiches qui nous disent de venir «être des héros au CISSSO»! Ben j’vais vous dire qu’on essaie en tabarnouche.La vérité, c’est que non seulement la manière de faire adopter cette loi était tout sauf correcte, mais la loi elle-même brime des droits et libertés normalement protégés par la constitution. On habite toujours bien au Canada, que je sache? Pis nous, on est juste l’autre bord du pont d’Ottawa, en plus. Ça nous empêche pas d’être encore oubliés, en Outaouais. Mais ça nous donne une porte de sortie proche en maudit, par exemple. Ça, on devrait certainement pas l’oublier.Au Québec, la CAQ nous muselle, nous empêche de dénoncer, de manifester, de quitter ou encore de diminuer notre pratique, si «God forbid», on en avait besoin. On nous force par cette loi à espionner nos collègues, rapporter les méchants docteurs qui dévieraient des objectifs irréalisables de Dubé, pour les punir à coups d’amendes salées.J’ai dit qu’on était humains aussi.On est humains, aussi! Des humains qui avons crié après nos p’tits d’aller se brosser les dents et de finir de s’habiller, pour arriver à temps, tantôt.On est humains!Des humains qui tombent malades. Qui ont des cancers. Des humains qui ont aussi des enfants qui peuvent être malades et qu’il faut aussi aller chercher à la garderie. Nos parents à nous aussi vieillissent. NOUS AUSSI, on vieillit!Et nous AUSSI, on est des patients! Y’en a une gang qui a l’air de l’avoir oublié. Nous aussi, on a besoin d’être soigné.Les soins qu’on tente de sauver, c’est ceux qu’on prodigue, mais c’est aussi ceux qu’on reçoit. Nous aussi, on a peur de ne pas les recevoir, nos soins. Plusieurs ici n’ont même pas de médecin famille, comme médecins. On est ENSEMBLE, là-dedans. Nous sommes humains, comme tous les Québécois. Faudrait pas l’oublier.Vous vous demandez pourquoi on quitte. Pourquoi on se lève finalement.Vous savez quoi? ON AURAIT DÛ SE LEVER AVANT. On aurait dû! On a fait ce qu’on a pu, je suppose. Parce qu’on est humains, souvenez-vous.Alors pourquoi maintenant, vous demandez?Peut-être parce que comme tout humain, on a atteint notre limite et on a «pogné notre deux minutes». Peut-être parce que ça va bien plus loin que nous autres ou notre profession et qu’on est vraiment inquiets de la dérive autoritaire actuelle et du précédent que ce gouvernement est en train de créer.C’est dangereux, la loi 2. Et ça va au-delà des sous des docteurs. Au-delà des soins qui sont compromis pour les décennies à venir. La loi 2 enlève des droits des citoyens qu’on prenait tous pour acquis dans notre démocratie.Aujourd’hui c’est nous, demain ça pourra être vous.Et on a beau virer ça de tous les bords et essayer de comprendre les raisons du gouvernement pour agir comme il l’a fait avec sa loi…Pour essayer de comprendre la raison pour laquelle on nous manquerait autant de respect et inciterait toute la population à suivre le même courant de contrôle et d’intimidation envers les médecins… Pour essayer de comprendre pourquoi le gouvernement passerait une telle loi qui brime non seulement nos droits, mais met tout le système en péril…Et vous savez quoi? Je pense qu’au final, la seule raison possible c’est simplement que ce gouvernement ne nous considère même pas comme des humains.Ce billet est tiré d'une prise de parole de la Dre Cynthia Lauriault lors d'une manifestation contre la loi 2, le 2 novembre devant l'hôpital de Gatineau.