Vous devriez vous vanter

J’ai assisté à une réunion clinique et aidé à ranger les restes de nourriture dans l’espoir d’en rapporter pour mes enfants. L’adjointe de direction m’a dit: «Ah, Dre Yuan-Innes, je voulais vous dire que vous avez soigné [un membre de ma famille] qui était nerveux à l’idée de venir à notre hôpital. “Une petite docteure m’a vraiment écouté et a trouvé ce que j’avais!”»«Wow, merci beaucoup», a répondu la petite docteure.Ensuite, je suis allée à l’épicerie du coin chercher du brocoli pour cuisiner avec mon fils. Tous les bouquets étaient emballés dans du plastique. Bah. Alors que je me retournais pour partir, une personne familière m’a interpellée: «Êtes-vous Melissa? Je me souviens de vous. J’ai failli mourir. J’ai vu plusieurs médecins, et vous faisiez partie des meilleurs. Puis-je vous serrer dans mes bras?»Voilà une soirée riche en rétroaction positive. Le lendemain matin, j’en ai parlé à mon groupe d’entraînement de femmes médecins. «Je ne veux pas me vanter, mais…»«Laisse-moi t’arrêter là», m’a dit la Dre Rshmi Khurana. «Tu devrais te vanter. Prenons toutes un moment pour nous vanter à tour de rôle. Voici mon tour: je fais la meilleure salade de haricots noirs. Elle est délicieuse. Je ne peux pas m’arrêter d’en manger. Maintenant, à ton tour de dire quelque chose de bien sur toi.»Elles l’ont fait. Elles ont parlé de leurs progrès. L’une d’elles pouvait maintenant soulever plus que son fils de 19 ans.La Dre Zahra Saleh avait pris en charge un patient hospitalisé de longue date, avec des problèmes chroniques. On aurait dit quelqu’un qui vivait presque à l’hôpital depuis des mois, voire davantage. «J’ai écouté toute son histoire, ajusté quelques médicaments, et le patient est rentré chez lui.»Nous avons applaudi. «Tu as sauvé une vie!» me suis-je exclamée.Les médecins sont conditionnés à l’humilité. On nous fait honte si nous faisons preuve de fierté, surtout à titre individuel. Et cela commence très tôt. Je me souviens d’avoir rencontré une femme qui portait un t-shirt «Mac Medicine» parce qu’elle était étudiante en médecine à McMaster. Ma colocataire s’est demandé: «Ooooh, je ne sais pas si on a le droit de porter ça.»Hein? Nous étions en train de postuler en médecine. À ce stade, je me disais que si nous réussissions à atteindre ce graal, nous devrions faire des sauts périlleux et nous faire tatouer pour fêter ça.Mais j’ai vite appris que, pendant la formation, mieux valait se faire remarquer par d’excellentes évaluations – sans jamais donner l’impression de se vanter. On est censé dire: «C’est un travail d’équipe» et minimiser sa contribution.Et c’est encore pire quand on est une femme et (ou) une personne racisée. Ne fais pas ta fière. Ne sois pas trop bruyante ni trop présente. Garde la tête basse et rend service.À lire aussi: Rétroaction constructive: l’art de donner et de recevoirMais laissez-moi vous poser la question: à qui, exactement, cela rend-il service? La rémunération des médecins ne cesse de s’éroder, tandis que le coût de la vie – et la colère des patients – ne cessent d’augmenter.Notre humilité sert le système. Ils coupent, encore et encore, et nous, nous nous démènons pour aider les patients avec toujours moins de ressources. Nous servons et nous souffrons, soit en silence, soit en nous plaignant seulement entre nous.Eh bien, F… that.Je réfléchis beaucoup à la fierté ces temps-ci, car je réécris Orgueil et préjugés. Jane Austen parle abondamment de la fierté et de la vanité.Je sais que je vais recevoir des critiques pour avoir de la fierté – ou, comme on dirait aujourd’hui, de la confiance en soi.Deux lectrices du Medical Post (la publication sœur de Profession Santé ailleurs au Canada) s’en sont déjà plaintes après une de mes chroniques. J’aurais pu me fâcher ou me mettre sur la défensive.Cette fois, j’ai ri.Certaines personnes voudraient que je me fasse petite – pourquoi? Pour qu’elles se sentent mieux?Bien sûr, nous n’avons pas besoin de psychopathes. Mais ce n’est pas mon problème.Je ne suis pas leur tasse de thé. Pas mon problème non plus.Je n’ai pas à acheter ce qu’elles vendent. Et vous non plus! N’avalez pas leur poison.D’ailleurs, pour énerver encore plus les détracteurs, je vais partager ici un courriel envoyé à quelques-uns d’entre nous au printemps:Bonjour,Je tiens à vous féliciter pour les soins empreints de compassion offerts à une patiente lors de sa récente visite à l’urgence. Elle a séjourné dans notre zone d’observation et a appelé la Fondation de l’HGMH (Hôpital Glengarry Memorial Hospital) pour complimenter les soins reçus, ainsi que l’expérience globale.En raison des soins exceptionnels qu’elle a reçus, elle a choisi de faire un don généreux pour appuyer le projet de tomodensitomètre.Bravo à vous tous et toutes, et merci sincèrement pour votre dévouement envers nos patientes et patients!Lors d’une fête à l’hôpital un mois plus tard, j’ai demandé à la coordonnatrice de la Fondation: «Vous souvenez-vous du nom de la patiente? Vous pourriez m’envoyer son numéro de dossier médical.»«Je ne me souviens pas du nom », m’a-t-elle répondu. «Mais une autre de vos patientes a aussi pris rendez-vous avec nous.»À cette même fête, une autre famille m’a dit que j’étais la médecin préférée de leur proche, «qui veut seulement vous voir!»Et aujourd’hui, en arrivant au pique-nique de l’hôpital, quelqu’un m’a accueillie ainsi: «Êtes-vous la Dre Yuan-Innes? Vous m’avez soigné il y a quatre ans. J’ai compris à quel point il est important d’avoir un hôpital local, et maintenant je siège au conseil d’administration.»Je sais que je ne suis pas la meilleure urgentologue, mais je sais aussi que je fais une différence. Et vous aussi. Ne vous en excusez pas.Vantez-vous, mes amis.Aimez-vous.Soyez confiants.Négociez pour de meilleures conditions.Éloignez-vous des personnes et des milieux toxiques.Sauvez des vies, aimez fort, cultivez vos jardins, préparez vos salades de haricots.Et surtout, n’hésitez pas à parler de vos grandes, petites ou moyennes réussites dans les commentaires. Je vous applaudirai.La Dre Melissa Yuan-Innes est médecin urgentiste à Alexandria, en Ontario.

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