Vitamine B3: une alliée contre les cancers cutanés

Chaque année, des millions de patients subissent l’exérèse d’un carcinome basocellulaire ou épidermoïde, les deux cancers cutanés les plus fréquents. Aux États-Unis, on estime à près de 6 millions le nombre de personnes traitées annuellement pour un cancer cutané non mélanome, pour des coûts dépassant 8,9 milliards de dollars US. Au Canada, environ 80 000 nouveaux cas de carcinomes cutanés sont diagnostiqués chaque année, et leur incidence est en constante augmentation avec le vieillissement de la population et l’exposition cumulative aux UV. Si la photoprotection et le traitement des kératoses actiniques constituent l’ossature de la prévention, leur efficacité dépend largement de l’adhésion des patients, souvent faible: les enquêtes montrent que moins de la moitié des gens respectent les recommandations d’usage régulier de l’écran solaire. La recherche d’un agent oral simple, peu coûteux et bien toléré reste donc une priorité en santé publique et en dermatologie.Dans ce contexte d’incidence croissante et de prévention incomplète, la nicotinamide – une forme de vitamine B3 déjà disponible en vente libre – attire l’attention comme adjuvant potentiel. Après des signaux encourageants issus d’essais de moindre envergure, une équipe américaine vient de livrer la plus vaste analyse à ce jour sur son efficacité en prévention secondaire.À lire aussi: Manger plus d’amandes peut aider à contrer les effets du stress oxydatifL’équipe de la dermatologue Kimberly F. Breglio (affiliée au Durham Veterans Affairs Medical Center et à l’Université du Michigan), en collaboration avec plusieurs centres de recherche américains, a exploité les données de la Veterans Health Administration. Leur étude, publiée récemment dans le JAMA Dermatology, a porté sur plus de 33 000 anciens combattants ayant déjà présenté au moins un cancer cutané. L’objectif: évaluer l’effet de la nicotinamide, un dérivé de l'acide nicotinique également appelée vitamine B3 ou PP, sur la prévention secondaire des carcinomes. «La nicotinamide a montré un potentiel chimiopréventif dans de petits essais, mais les données de grande ampleur faisaient défaut», rappellent les auteurs en introduction.30 000 patients au cribleLes chercheurs ont mené une étude de cohorte rétrospective appariée, en utilisant les dossiers électroniques de la Veterans Health Administration entre 1999 et 2024. Parmi les 33 822 patients inclus, 12 287 avaient reçu de la nicotinamide (500 mg deux fois par jour, pendant au moins 30 jours), et 21 479 n’en avaient jamais pris. Les groupes ont été appariés selon l’âge, le sexe, le nombre de cancers cutanés antérieurs, les comorbidités (dont la leucémie lymphoïde chronique, la transplantation d’organe) et l’exposition à d’autres thérapies préventives (acitretine, photothérapie, fluorouracile).Le critère principal était le délai avant l’apparition d’un nouveau carcinome, basal ou épidermoïde. Les analyses de survie ont été stratifiées en fonction du nombre de cancers cutanés déjà survenus avant l’introduction du traitement.Pour aller plus loin: Les lymphomes T cutanés, ces cancers de la peau méconnus, mais en augmentationDes résultats probants, surtout en prévention secondaireL’étude met en évidence une réduction globale de 14% du risque de nouveaux cancers cutanés chez les patients exposés à la nicotinamide (risque relatif [RR] 0,86; intervalle de confiance [IC] à 95% 0,82-0,89). Mais le signal le plus frappant apparaît lorsque la molécule est initiée après le premier diagnostic: le risque chute alors de 54% (RR 0,46; IC à 95% 0,39-0,49).Ce bénéfice s’estompe au fil des récidives et devient nul lorsque la prescription intervient après sept ou huit cancers successifs. «Le moment d’initiation du traitement était un facteur crucial: les patients qui ont commencé la nicotinamide tôt ont tiré le maximum de bénéfices», soulignent les chercheurs.Par type histologique, la protection est surtout marquée pour les carcinomes épidermoïdes cutanés, avec une réduction de 22% (RR 0,78; IC à 95% 0,75-0,82). Aucune diminution globale n’a été observée pour les basocellulaires (RR 1,00; IC à 95% 0,96-1,05), sauf lorsque la molécule était prescrite dès le premier ou le deuxième cancer.Chez les patients greffés d’organe solide (3,9% de la cohorte), l’effet global n’était pas significatif. En revanche, lorsque la nicotinamide était initiée après un ou deux cancers, le risque de carcinome épidermoïde était réduit de 53% (RR 0,47; IC à 95% 0,23-0,97).Pour les auteurs, ces résultats confirment le rôle de la nicotinamide comme outil de prévention secondaire, mais insistent sur l’importance de l’initier tôt. «L’utilisation de la nicotinamide était associée à une réduction du risque de cancer cutané, avec un effet maximal lorsqu’elle était commencée après le premier diagnostic», concluent-ils.Ils notent aussi que le bénéfice est visible même après ajustement pour d’autres mesures de prévention comme l’acitrétine ou la photothérapie, souvent moins bien tolérées. L’effet protecteur se manifeste dès 30 jours d’exposition.À lire aussi: Mélanomes: un risque accru chez les patients ayant plusieurs naevusUne place à reconnaître dans les pratiquesDans un éditorial accompagnant l’article, la Dre Sarah T. Arron insiste sur la portée clinique de ces résultats: «La littérature croissante suggère que nous devrions recommander la nicotinamide en prévention secondaire à tous les patients ayant déjà eu un cancer cutané, et que son initiation précoce en maximise l’effet.»La dermatologue associée à la Fondation médicale de Palo Alto, en Californie, rappelle toutefois que la prise de vitamine B3 doit s’intégrer dans une stratégie multimodale, associant photoprotection, éducation et traitements de champ. «C’est lors de l’annonce du premier diagnostic ou pendant la chirurgie que les patients sont le plus réceptifs: ces moments constituent une fenêtre idéale pour introduire la nicotinamide», écrit-elle.Quant aux transplantés, son éditorial souligne que les données demeurent incertaines. L’acitrétine reste mieux documentée, mais la nicotinamide pourrait être envisagée comme alternative ou complément si elle est prescrite précocement, souligne la Dre ArronSi la nicotinamide n’a pas encore intégré les lignes directrices officielles, elle est déjà recommandée par de nombreux dermatologues américains et incluse dans certains suppléments solaires. L’étude de la Dre Breglio et de ses collègues, par son ampleur inédite, apporte un argument de poids en faveur de sa diffusion.Pour la Dre Arron, l’enjeu est désormais d’intégrer cette option dans la pratique clinique, sans la considérer comme une panacée, mais comme une composante additionnelle de la prévention. Comme elle le souligne: «La nicotinamide est largement disponible, bien tolérée et peu coûteuse. Notre responsabilité est d’éduquer les patients à l’utiliser de façon appropriée, en complément des autres mesures.»RéférencesBreglio KF, Knox KM, Hwang J, et coll. Nicotinamide for Skin Cancer Chemoprevention. JAMA Dermatol. Publié en ligne le 17 septembre 2025. doi:10.1001/jamadermatol.2025.3238Arron ST. Nicotinamide for Skin Cancer Chemoprevention. JAMA Dermatol. Publié en ligne le 17 septembre 2025. doi:10.1001/jamadermatol.2025.3237

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