Une omnipraticienne déclarée coupable de «grossière négligence»

Le Dr Alain Côté a fait preuve de patience et de bienveillance. Responsable du GMF de Sainte-Rose, qui est affilié au CLSC du même nom, à Laval, il a tout fait pendant un an pour soutenir sa collègue la Dre Fanny Sutto et l’aider à rattraper son retard dans le suivi des résultats d’examens de ses patients. Plus ou moins en vain, avant que le syndic du Collège des médecins du Québec (CMQ) ne décide finalement de porter plainte contre la médecin de famille.Au printemps 2023, le Dr Côté s’aperçoit dans le DMÉ du GMF que la boîte de réception où atterrissent les résultats des tests sanguins et des radiographies prescrits par la Dre Sutto déborde littéralement. Celle-ci contient 1200 résultats, dont la moitié n’a pas encore été consultée et l’autre moitié n’a pas été approuvée, les plus anciens datant de 2018. Le Dr Côté appelle l’omnipraticienne pour lui offrir de l’aide. Cette dernière est consciente du problème, mais lui dit qu’elle va s’arranger et qu’elle n’a pas besoin d’assistance. Un mois plus tard, le Dr Côté examine à nouveau la situation. Elle demeure inchangée. Il en parle avec le Dr Alain Turcotte, à l’époque directeur des services professionnels (DSP) de la Cité-de-la-Santé et du CISSS de Laval. Ce dernier lui conseille différentes approches qui ne portent pas leurs fruits. Un mois plus tard, la boîte de la Dre Sutto n’a pas désempli.À lire aussi: Une chirurgienne plastique radiée six semainesLe Dr Côté et le Dr Turcotte conviennent alors d’annuler les gardes à l’hôpital de la Dre Sutto pour qu’elle vienne au CLSC «pour faire ses gardes» enfermée dans un bureau afin de régler ses 1200 résultats en attente. Leur nombre diminue ainsi à 600 ou 700. Un nouveau mois passe. Le Dr Côté fait un suivi et constate que «cela ne va pas mieux». Des réunions sont organisées avec la Dre Sutto, certaines en présence de la nouvelle DSP de la Cité-de-la-Santé, la Dre Martine Montigny. À chaque occasion, l’omnipraticienne se voit proposer de l’aide, mais répond qu’elle n’en a pas besoin.Sur ces entrefaites, le syndic du Collège est interpellé, en octobre 2023, par une patiente de la Dre Sutto qui éprouve de la difficulté à obtenir le renouvellement de ses ordonnances. Il prend contact avec le Dr Côté pour résoudre le problème. Le responsable du GMF en profite pour informer le syndic de l’enjeu concernant les résultats d’examens et de radiographies laissés en souffrance par l’omnipraticienne. Il lui mentionne avoir communiqué avec un service conseil du CMQ quelques semaines auparavant, car selon lui la situation n’a «pas d’allure» et qu'ils ont besoin de l’aide du Collège.Le 13 octobre 2023, le syndic ouvre une enquête et en informe aussitôt la Dre Sutto. Quatre semaines plus tard, il communique de nouveau avec le Dr Côté. Celui-ci lui indique que sa consœur se dit surmenée et qu’elle a des problèmes personnels. Il la décrit comme une «personne isolée» qu’il voit passer au bureau, sans la connaître véritablement. Le responsable du GMF apprend également au syndic que la médecin de famille a rattrapé son retard pour les années 2018 à 2021 et que sa boîte ne contient «plus» que des résultats datant de 2022 et 2023, soit environ 500 à 550 dossiers.Les 18 mois suivants, le nombre de résultats en attente dans la boîte de la Dre Sutto va fluctuer, sans jamais se résorber. Lors de son audience sur culpabilité devant le Conseil de discipline du Collège, le 16 avril dernier, son DMÉ contenait encore 250 résultats de tests non lus, dont quelques-uns portent la mention «anormal». De l’aveu du Dr Côté, «il n’y a pas eu beaucoup de progrès dans la situation de (l’omnipraticienne) depuis juillet 2024».Doublement inacceptableDevant ses pairs, la médecin de famille devait répondre d’un chef d’infraction pour entrave à l’enquête du syndic. Par choix, elle était absente lors de son audience. Elle n'a donc donné aucune explication ni défense au Conseil, a souligné le syndic qui n’en a pas eu lui non plus. La Dre Sutto a en effet ignoré ses six courriers et ses appels de relance lui demandant sa version des faits.Dans sa décision, le Conseil convient que répondre au syndic peut s'avérer lourd pour un professionnel lorsque sa charge de travail est déjà importante. Cependant «être très occupé ou même être surmené ou avoir des problèmes personnels ne constitue pas, en soi, une excuse pour avoir omis de répondre aux correspondances d’un syndic, dans les meilleurs délais». Cela dit, «sa conduite contrevient aux valeurs inspirées par l’éthique, l’honneur et la dignité nécessaire pour assurer la protection du public. Il s’agit d’un comportement inacceptable», affirment ses pairs.Lire aussi: Un médecin sanctionné pour le manque de salubrité de son cabinetLa Dre Sutto devait aussi répondre d’un chef d’infraction pour avoir «omis d’assurer le suivi requis pour divers patients», contrevenant ainsi à l’alinéa 1 de l’article 32 du Code de déontologie des médecins. «Le médecin qui a examiné, investigué ou traité un patient est responsable d’assurer le suivi médical requis par l’état du patient, à la suite de son intervention, à moins de s’être assuré qu’un autre médecin, un autre professionnel ou une autre personne habilitée puisse le faire à sa place.» - Article 32 du Code de déontologie des médecinsPour le Conseil de discipline, le comportement de la Dre Sutto est là encore inacceptable. «La consultation des résultats des tests est la première étape du suivi du patient. Tant qu'il n’a pas pris connaissance du résultat d’un test, le médecin ne sait pas si celui-ci présente réellement des anomalies ou requiert une intervention urgente», rappelle si besoin la décision du Conseil en signalant que de telles omissions peuvent naturellement nuire à la santé du patient ainsi qu’à ses chances de rétablissement ou de survie.«Une seule prise en charge tardive d’un patient découlant d’un retard dans la prise de connaissance des résultats de ses tests en est une de trop», considèrent les pairs de la Dre Sutto qui soulignent que ses patients n’ont pas à subir les conséquences de son manque de diligence ni de ses problèmes de surmenage. Selon eux, l’omnipraticienne «nuit à l’image et la réputation de l’ensemble de la profession de médecin. Elle pose un acte d’une gravité certaine qui attaque l’essence même de la profession.»La médecin de famille devrait connaître ses sanctions au début de l’année 2026.

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