Une étude quantifie les bénéfices de l'élargissement du rôle des pharmaciens

Si le rôle essentiel des pharmaciens dans l’accès aux soins de première ligne et pour soutenir le système de santé n’est plus à démontrer, comment se traduit-il concrètement pour les citoyens? Alors que plusieurs provinces, le Québec en tête, œuvrent à élargir leur champ d’action, le centre de recherche Value-based Healthcare (VBHC) du Conference Board of Canada, un think tank à but non lucratif, a récemment mené trois recherches documentaires ciblées afin d’identifier le contexte, l’impact et les obstacles liés à l’expansion du rôle des pharmaciens communautaires.L’équipe de recherche a inclus au total 34 sources canadiennes et issues d’autres pays à revenu élevé, réparties sur les dix dernières années, dans sa revue dévoilée fin 20241. Cette dernière permet de démontrer à quel point l’élargissement des prérogatives des pharmaciens communautaires peut bénéficier à la population et, plus globalement, au système de santé, à travers les deux exemples du vaccin contre le zona et du dépistage de l’angine streptococcique. Accroître le taux de vaccination contre le zonaChaque année, 90 000 Canadiens âgés de 50 ans ou plus sont concernés par le zona, et le comité consultatif national de l’immunisation recommande que tous les adultes de cette tranche d’âge se voient offrir le vaccin contre le zona, sauf contre-indications; or, ils sont seulement 27% à être vaccinés au pays. De son côté, le Québec recense chaque année 27 000 cas de zona et 600 hospitalisations selon les dernières données du ministère de la Santé et des Services sociaux du Québec, la majorité des cas de zona survenant chez les personnes de 50 ans et plus, et les décès touchant principalement les personnes âgées de 80 ans et plus. Selon les chercheurs du VBHC, le coût, mais aussi l’accès au vaccin expliquent ce faible taux: 5 à 15% des personnes non vaccinées évoquent ainsi des problèmes de commodité ou d'accès, par exemple, le fait de devoir prendre rendez-vous ou de se déplacer pour consulter leur médecin.À lire aussi: Contribuer à combler le fossé en matière de vaccinationEn réalisant une analyse de cas pour estimer l'impact de l'élargissement de l'accès aux vaccinations contre le zona dans les pharmacies communautaires, les auteurs arrivent à la conclusion que, si les personnes qui acceptent d'être vaccinées par un pharmacien et qui ont déclaré que l'accès était un obstacle majeur se font vacciner dans leur pharmacie communautaire, les taux de vaccination provinciaux pourraient augmenter de 2 à 7%. Cela se traduirait par la vaccination de 300 000 à 800 000 personnes supplémentaires âgées de plus de 50 ans. Au Québec, cette hausse prévue du taux de vaccination serait comprise entre 2,1% et 5,9% chez les 50-64 ans – pour lesquels le taux de vaccination s’élève à 19%; et entre 2,3% et 6,2% chez les plus de 64 ans – pour lesquels le taux de vaccination s’élève à 21,6%.Jusqu’à 29 millions de dollars d’économies pour le système de santéAlors que le Canada a connu, en 2023, un nombre record d’infections invasives à streptocoque du groupe A (SGA) – plus de 4600 cas ont été envoyés au Laboratoire national de microbiologie de Winnipeg, soit une augmentation de plus de 40 % par rapport au sommet annuel précédent, en 2019, selon l'Agence de la santé publique du Canada –, les pharyngites, dont 30% sont streptococciques chez les enfants, sont l'une des raisons les plus courantes pour lesquelles les Canadiens consultent un prestataire de soins de première ligne, une clinique sans rendez-vous ou un service d'urgence. Pour l’instant, seules les provinces de l'Alberta, du Nouveau-Brunswick, de l'Île-du-Prince-Édouard, de Nouvelle-Écosse et de Terre-Neuve-et-Labrador autorisent les pharmaciens à prescrire un traitement antibiotique contre la pharyngite2; le Québec est en ordre de marche, puisque le projet de loi 67 récemment adopté le prévoit également. À lire aussi: «Notre inquiétude est que la loi 67 arrive trop vite»«Nous pensons que, s'ils en avaient la possibilité, de nombreux Canadiens souffrant de maux de gorge choisiraient de se faire soigner dans leur pharmacie de quartier», assurent les chercheurs du VBHC, qui sont parvenus à quantifier les économies que pourraient réaliser les patients s’ils avaient une offre plus large d’endroits où recevoir leur traitement. À partir du modèle développé par la pharmacienne Nina Lathia dans une étude publiée en 20183, l'équipe a mis à jour les estimations de la population, indexé les valeurs monétaires à 2023, exploré l'éventail des estimations potentielles d'économies de coûts et calculé les estimations pour le Canada et les 10 provinces.Résultat: si 60% des Canadiens souffrant de maux de gorge se rendaient en pharmacie pour un dépistage et une prescription au lieu d’un autre établissement de soins de santé, le système de santé pourrait économiser entre 14 et 29 millions de dollars selon les provinces. «Les coûts associés à la consultation d'une pharmacie de quartier sont nettement inférieurs à ceux engendrés par les visites dans les cliniques de soins primaires, les cliniques sans rendez-vous ou les services d'urgence», soulignent les auteurs.Un manque d’argent, d’infrastructures et de considération Mais l’étude souligne plusieurs obstacles à cet élargissement du champ d’action des pharmaciens et à leur meilleure intégration au système de santé: le financement des services et les modèles de rémunérationle manque d’infrastructures pour assurer la coordination et la continuité des soi, comme un dossier médical électronique standard afin de faciliter la communication entre les différents prestataires de soins primairesl’agencement encore peu optimal des pharmacies, en particulier le manque d’espace physiquela perception désuète que les services dispensés en pharmacie communautaire ne font pas partie des soins primaires ou du système de santé public, malgré la prise de conscience amenée par la pandémie de COVID-19L'équipe du VBHC appelle à mettre en place des politiques nationales cohérentes pour permettre aux pharmaciens de travailler dans leur champ de compétences; à développer des parcours de soins qui incluent la pharmacie; à renforcer l'importance et l'efficacité de l'action des pharmaciens; à améliorer la collaboration avec d'autres prestataires et à démontrer l'impact sur la réduction des inégalités.Des freins aussi soulignés par les pharmaciens eux-mêmesLe manque de ressources, couplé au manque de temps et de formation, sont justement évoqués par les pharmaciens eux-mêmes comme des freins à l’expansion de leur rôle au Québec. C’est ce qui ressort d’une autre étude explorant le niveau de confort des pharmaciens à faire évoluer leur pratique un an après l’adoption du projet de loi 31, et publiée dans la Revue des Pharmaciens du Canada en juillet 20244.À lire aussi: Pénurie, remplaçants, bruit… Quels sont vos irritants en pharmacie?«À notre connaissance, aucune étude n’a été publiée sur la façon dont les pharmaciens communautaires du Québec ont intégré ces nouvelles activités de prescription dans leur travail quotidien», écrit l’équipe de Léonie Rouleau, docteure en pharmacie et chercheuse pour le Réseau québécois des pharmaciens de GMF (RQP GMF). Via une enquête en ligne menée du 25 mars au 28 mai 2021 auprès des pharmaciens communautaires du Québec, les chercheurs ont recueilli 146 réponses aux questions élaborées par le groupe de recherche du RQP GMF, regroupées en quatre thématiques: caractéristiques des répondantscharge de travail et milieu de travailniveau de confort et obstacles à l’ajustement de la médication et au suivi des traitements pharmacologiques (86 situations cliniques évaluées)obstacles généraux et facilitateurs à la mise en œuvreLa plupart des pharmaciens répondants (des femmes à 71,9%, des personnes de moins de 50 ans à 86,2%) travaillaient exclusivement en pharmacie communautaire (86,3%) et avaient plus de 10 ans d’expérience (56,8%). En effet, la charge horaire de travail pour les ordonnances délivrées était généralement de 20 à 40 ordonnances par heure de travail par pharmacien (64,3%), et seulement 6,2% des répondants assuraient avoir une période allouée aux suivis cliniques dans leur emploi du temps quotidien. La plupart des pharmaciens (61%) estimaient consacrer 10% à 29% de leur temps de travail aux suivis cliniques.Parmi les autres constats de l’étude:43,2 % des pharmaciens répondants indiquaient avoir de la difficulté à joindre les médecins.Les situations cliniques dans lesquelles les pharmaciens étaient généralement moins à l’aise étaient liées au trouble bipolaire, au trouble neurocognitif majeur, aux symptômes comportementaux et psychologiques de la démence, à la MPOC et à l’asthme.69,9 % et 68,5 % des répondants ont déclaré être mal à l’aise dans la gestion de l’hypothyroïdie chez les patients ayant subi une chirurgie récente de la glande thyroïde ou ayant des antécédents de cancer de la thyroïde, respectivement.45% des répondants se sont dits mal à l’aise concernant la gestion du diabète pendant la grossesse et 56,8% concernant la gestion de l’utilisation de traitements topiques contre la douleur.La plupart des répondants ont identifié l’amélioration de l’organisation du travail (54,1%) et la disponibilité d’outils de synthèse de suivi (50,7%) comme leurs principales pistes de solution.À l’aube d’un nouvel élargissement de leur champ d’action – adopté à l’automne, le projet de loi 67 entrera en vigueur une fois les règlements arrêtés –, les auteurs concluent que «les pharmaciens communautaires du Québec sont prêts à ajuster la pharmacothérapie et à assurer le suivi dans plusieurs situations cliniques», à condition que des changements s’opèrent «pour passer d’un modèle axé sur la distribution à une pratique axée sur la clinique». Via, par exemple l’automatisation ou la délégation de plus d’activités aux techniciens, ainsi que du mentorat et de la formation continue notamment. RéférencesConference Board of Canada, The. Community Pharmacy Integral to Delivering Primary Care: Impact and Opportunities for Value‑Based System Transformation. Ottawa: The Conference Board of Canada, 2024. [consulté le 6 janvier 2025]Association des pharmaciens du Canada, Pouvoir de prescription des pharmaciens au Canada. Juin 2024 [en ligne] [consulté le 9 janvier 2025] Disponible: https://www.pharmacists.ca/cpha-fr/assets/File/CPhA-on-the-issues/PharmacistPrescribingAuthority_June24_FR_web.pdfLathia, Nina, Karen Sullivan, Kathy Tam, Margaret Brna, Paula MacNeil, Deb Saltmarche, and Karen Agro. “Cost-Minimization Analysis of Community Pharmacy-Based Point-of-Care Testing for Strep Throat in 5 Canadian Provinces.” Canadian Pharmacists Journal : CPJ 151, no. 5 (August 17, 2018): 322–31. doi:10.1177/1715163518790993Rouleau L, Prince-Duthel L, Vanier MC, Dugré N, Maheu A, Guénette L. Niveau de confort des pharmaciens communautaires et obstacles à l'application d'un champ d'exercice élargi au Québec. Revue des pharmaciens du Canada / Canadian Pharmacists Journal. 2024;157(5):246-260. doi: 10.1177/17151635241264517

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