Un mimétisme inusité de l’arthrite

Le diagnostic différentiel de l’arthrite polyarticulaire est long, car il comprend l’arthrite auto-immune, les infections, le cancer, les réactions aux médicaments, l’arthrose et l’arthrite cristalline. Mais parfois, il faut sortir des sentiers battus! Tiffany (le nom a été changé) est une institutrice retraitée de 69 ans qui vit à Vancouver. Elle a toujours été en bonne santé, si ce n’est qu’elle a eu un cancer du sein dans la quarantaine, qui a été traité par chirurgie, chimiothérapie et radiothérapie. Ces traitements lui ont certes sauvé la vie, mais ils lui ont causé certains dommages iatrogènes, notamment l’ostéoporose, la neuropathie périphérique et une thrombose veineuse profonde (TVP). Elle mène une vie saine. Je suis son médecin de famille depuis la mi-2023.Elle m’a consulté fin 2023 pour une douleur légère et un gonflement des mains depuis six semaines, principalement au niveau des articulations interphalangiennes proximales et métacarpophalangiennes. Ces douleurs sont survenues deux semaines après une légère gastro-entérite. À l’exception d’une légère tuméfaction et d’une sensibilité, l’examen des mains était normal. La radiographie aussi était normale. Sa protéine C-réactive était de 6,7 mg/L (la normale est inférieure à 5, bien que la sienne était légèrement élevée au départ). Les anticorps anti-peptides cycliques citrullinés et le facteur rhumatoïde étaient inférieurs au seuil de détection.J’ai diagnostiqué une arthrite réactive provoquée par une gastro-entérite et lui ai prescrit un anti-inflammatoire non stéroïdien (AINS), qui l’a quelque peu soulagée. Elle avait un lien personnel avec un rhumatologue qui a accepté de la voir, et je l’ai encouragée à le consulter. Le rhumatologue a demandé des analyses complémentaires, qui se sont révélées négatives, notamment en ce qui concerne les anticorps antinucléaires et l’antigène leucocytaire humain B27. Il a reconnu qu’il s’agissait d’une arthrite réactive et a prescrit un autre AINS, qui a soulagé les symptômes de Tiffany, bien que ceux-ci aient persisté.Au cours des mois suivants, Tiffany m’a consulté pour un certain nombre de problèmes. Sa neuropathie périphérique est devenue plus difficile à contrôler et elle a demandé des bas de compression, qui l’avaient aidée dans le passé. Son interniste l’a mise sous gabapentine pour ces symptômes, et elle a signalé une prise de poids d’environ deux kilos ainsi qu’un œdème de la cheville comme effets secondaires de la gabapentine. Ses pieds ont commencé à être raides, et son rhumatologue et moi-même avons soupçonné qu’il s’agissait d’une arthrose des pieds, bien que les radiographies aient été relativement normales. Elle s’est plainte que sa jambe droite - le même côté que celui où s’est produite la TVP - était «lourde» lorsqu’elle faisait de la randonnée, qu’elle avait «l’impression de traîner un morceau de bois en haut de la colline» et qu’elle «n’avait pas l’impression que c’était (sa) jambe». Elle souffre d’un syndrome post-thrombotique dans cette jambe depuis de nombreuses années, mais celui-ci était plus grave que d’habitude. Ses extrémités ont été examinées et se sont révélées normales, à l’exception d’un léger œdème. J’ai procédé à une mesure de l’indice brachial de la cheville dans mon cabinet, qui était de 0,91 à la cheville droite et de 1,00 à la cheville gauche (1,0 -1,4 est normal, 0,91 -0,99 est limite).Testez vos connaissances: Que savez-vous de l'arthrose et de sa prise en charge?De plus en plus essouffléeAu milieu de l’année 2024, Tiffany est venue me voir parce qu’elle s’essoufflait plus facilement qu’à l’accoutumée et qu’elle n’arrivait plus à suivre ses amis en randonnée. Cette situation avait progressé au cours des derniers mois. Elle m’a signalé que son rythme cardiaque au repos avait augmenté jusqu’à atteindre les 60 (alors qu’il se situait auparavant dans les 50) et qu’elle avait des palpitations occasionnelles lorsqu’elle était allongée sur le côté gauche. Elle ne présentait aucun autre symptôme respiratoire ou cardiaque, et ses examens pulmonaires et précordiaux étaient normaux. Une radiographie du thorax et une spirométrie n’ont pas permis de clarifier la cause. Un électrocardiogramme a révélé une déviation de l’axe gauche et un bloc de branche droit. Les résultats des analyses de laboratoire n’étaient pas significatifs, à l’exception d’une facteur natriurétique de type B de 1820 ng/L (la normale étant inférieure à 125).J’ai soupçonné que son essoufflement était dû à une insuffisance cardiaque. Compte tenu de ses antécédents, le diagnostic le plus probable était la manifestation tardive d’une cardiomyopathie causée par la chimiothérapie ou la radiothérapie. Je l’ai mise à l’essai avec une faible dose de furosémide et j’ai demandé une échocardiographie, qui a révélé une dilatation sévère du ventricule gauche avec une fraction d’éjection du ventricule gauche de 48%, ainsi qu’un dysfonctionnement diastolique.Lire aussi: Un lien entre la polyarthrite rhumatoïde et la maladie de Parkinson?Je l’ai suivie pendant l’essai du furosémide et, après environ une semaine, elle a constaté une amélioration de son essoufflement, comme prévu. De manière surprenante, elle a également constaté une nette amélioration de sa douleur à la main. Son poids est revenu à la normale, sa jambe «lourde» s’est résorbée et ses nombreux symptômes périphériques, attribués selon les cas à l’aggravation de la neuropathie, à l’arthrose et aux effets secondaires de la gabapentine, se sont considérablement améliorés. Il se trouve que je pense que l’«arthrite réactive» et toutes ces autres affections ont été imitées par la surcharge volumique et l’œdème périphérique causés par l’insuffisance cardiaque congestive.Je l’ai orientée vers un cardiologue, qui lui a prescrit un test d’effort (équivoque) et un test de perfusion myocardique (normal). Il a reconnu qu’elle souffrait d’une insuffisance cardiaque causée par les traitements anticancéreux. Il a prescrit des thérapies d’amélioration du ventricule gauche et ses symptômes, respiratoires et autres, ont continué à s’améliorer.Le Dr Nicholas Steinberg est médecin de famille à Vancouver.

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