Un médecin peut-il refuser de pratiquer en l’absence d’équipement de protection adéquat?

Le Québec assiste à une aggravation de la crise du coronavirus avec des cas de transmission communautaire en augmentation. Or, des médecins qui travaillent en milieu hospitalier éprouvent de la difficulté à obtenir des visières de protection de leur établissement pour traiter les patients présentant des symptômes.«Le ministère nous assure qu’on ne manque de rien, que les visières sont disponibles, mais les échos du terrain que l’on reçoit nous disent qu’il en manque», déplore le président de l’Association des médecins d’urgence du Québec (AMUQ), le Dr Bernard Mathieu. «C’est le genre de choses que l’on ne veut pas voir, car nous ne sommes pas encore dans le pic de la pandémie.»Selon ce dernier, les lunettes ordinaires ne suffisent pas pour protéger les médecins et les infirmières des liquides et éclaboussures. Il y a deux semaines et même une semaine encore, le port de la visière n’était pas encore indiqué, a indiqué de son côté le président de l’Association des médecins spécialistes en urgence du Québec (ASMUQ), le Dr Gilbert Boucher, en entrevue à TVA le 23 mars. Comme il y avait un risque de pénurie de matériel, on le conservait pour faire face à une détérioration de la situation. Mais devant la multiplication du nombre de patients atteints qui se faufilent jusqu’aux urgences, il craint maintenant pour la sécurité et la santé des médecins et infirmières. Pour les cas de COVID-19, le masque, la visière et même la jaquette sont recommandés. Des hôpitaux au Québec en fournissent, mais pas tous. Certains prétextent que la santé publique n’a pas encore émis de règles à ce sujet.Inquiet pour le personnel soignant«Nous sommes extrêmement inquiets pour le personnel soignant, a commenté le Dr Boucher. Depuis jeudi dernier, nous recevons des informations à l’effet que des patients se présentent dans les urgences avec des détresses respiratoires après avoir passé à travers les mailles et finissent par être traités positifs pour le coronavirus (…). On s’attendrait à ce que le personnel dans les urgences puisse avoir une protection minimale par suite d’une transmission communautaire et malheureusement, ce n’est pas le cas.»À lire aussi: Médecins décédés de la COVID-19: «Ça fait froid dans le dos»Le président de l’ASMUQ affirme que tout le personnel des urgences doit porter un masque et une visière comme on l’a fait dans les autres pays après le début de la transmission communautaire. Or, il a reçu de ses membres des messages et courriels à l’effet que des hôpitaux refusaient de leur en fournir.Outre les visières, les masques N-95 n’abondent pas. Dans des hôpitaux, on doit les garder sous clé afin que le stock ne diminue pas trop rapidement et pour éviter les vols, comme des médias l’ont rapporté. C’est la responsabilité des établissements de fournir les équipements de protection à ses médecins et infirmières afin qu’ils puissent faire leur travail de façon sécuritaire. Le Dr Bernard Mathieu juge «étonnant» qu’il manque masques et visières dans certaines urgences alors que le Québec affronte sa plus grande pandémie en un siècle.Les orientations stratégiques pour contrer la COVID-19 mises en place par Québec prévoient la détermination d’une liste des produits essentiels, la réalisation d’ententes d’approvisionnement avec des fournisseurs et la constitution de réserves de produits nécessaires pour la pandémie.«Toutefois, ajoute le MSSS, comme la situation évolue rapidement, nous n’avons aucune information précise à livrer sur les visières pour le moment.» Donc, impossible pour le moment de savoir de ce côté à combien d’unités s’élève l’inventaire de visières dans la province et si on se dirige vers une pénurie.Refuser de pratiquer sans équipement adéquatUn médecin qui estime que son établissement ne lui fournit pas l’équipement de protection individuelle (EPI) requis pour assurer sa sécurité personnelle pourrait-il refuser de pratiquer?«Les hôpitaux et les cliniques ont généralement l’obligation de procurer un milieu de travail sécuritaire aux membres de leur personnel, conformément aux lois sur la santé et la sécurité au travail», rappelle à ce sujet l’Association canadienne de protection médicale (ACPM). Les cliniques et les cabinets ont la même obligation. «Dans des circonstances exceptionnelles, les médecins pourraient avoir le droit de refuser d’exercer s’ils estiment raisonnablement que le milieu de travail génère un risque inacceptable légitime qui n’est pas propre à leurs activités habituelles.»À lire aussi: COVID-19: la catastrophe new-yorkaiseEn refusant de travailler en raison d’un matériel de protection inadéquat, un médecin pourrait toutefois s’exposer à une plainte intrahospitalière ou à son Collège, indique l’Association. L’issue de cette affaire dépendrait de la situation. L’ACPM, dit-elle, sait que les Collèges prennent en considération la situation actuelle entourant la COVID-19 et qu’ils évalueraient toute plainte leur étant présentée en fonction de ce contexte.L’ACPM recommande de consigner les faits et les circonstances entourant les soins prodigués dans un tel contexte, y compris les mesures prises pour tenter d’obtenir un ÉPI, dans l’éventualité où des problèmes médico-légaux surviendraient ultérieurement.Comme dans toute situation où les ressources sont limitées, ajoute l’Association, on s'attend néanmoins à ce que les médecins déploient tous les efforts possibles pour leurs patients et qu'ils agissent raisonnablement dans les circonstances en s’adaptant à la situation et en faisant preuve d’ingéniosité.

Un médecin peut-il refuser de pratiquer en l’absence d’équipement de protection adéquat?

Pour accéder au contenu, connectez-vous ou créez un compte gratuit.

Catégories connexes