Sexualité féminine: briser le tabou de la douleur pour mieux soigner

Selon les estimations de l'Organisation mondiale de la santé (OMS), jusqu’à une femme sur cinq souffrirait au cours de sa vie de dyspareunie, soit des douleurs vulvo-vaginales aiguës et récurrentes pendant ou après des rapports sexuels. Ces douleurs affectent les femmes dans leur vie sexuelle et conjugale, leur santé psychologique et leur qualité de vie. Pourtant, le sujet demeure souvent tabou, incluant dans les cabinets des médecins.La prévalence de la dyspareunie est de 12% à 21% chez les jeunes femmes âgées de 18 à 29 ans, selon des études. Ce problème de santé pourrait également affecter plus du tiers des femmes en période post-partum. Et plus particulièrement les femmes en pré-ménopause et en ménopause, celles souffrant d’endométriose, ainsi que les survivantes d’un cancer gynécologique.La douleur peut avoir plusieurs causes et affecter différents types de tissus. «Il peut y avoir de la dyspareunie provoquée, ou de la vestibulodynie, qui fait en sorte que les tissus (à l’entrée du vagin) sont plus sensibles», explique la Dre Annick Pina, professeure adjointe de clinique au Centre hospitalier de l’Université de Montréal (CHUM). «On peut avoir de la dyspareunie liée à une contraction des muscles du plancher pelvien, qui est va être en lien avec une composante psychologique de stress par rapport à la sexualité. Plus les femmes vont avoir de la douleur, plus elles vont se contracter lors des relations. S’il y a eu de la radiothérapie, par exemple, ça va changer les tissus de la patiente. Chez certaines patientes traitées pour un cancer de la vulve, l’exérèse peut entraîner une quantité importante de tissu cicatriciel.»À lire aussi: La santé sexuelle des femmes, entre tabou et manque d’accès aux soinsRééduquer le plancher pelvienUne approche assez simple est préconisée pour traiter la dyspareunie: la rééducation périnéale et pelvienne (REPP). Selon l’Institut national d'excellence en santé et en services sociaux (INESSS), la REPP est «habituellement employée en première intention, avant d’avoir recours à des interventions plus invasives comme la chirurgie».L’approche, tout autant indiquée pour le traitement de l’incontinence urinaire, est uniquement couverte pour les femmes vivant des complications à la suite d’une bandelette urinaire. Malgré son efficacité, la REPP n’est pas couverte par la RAMQ et reste majoritairement offerte dans le secteur privé dans la province.«Dans la majorité des cas de dyspareunie, il y a une augmentation de la tension musculaire, explique Marie-Josée Lord, physiothérapeute en santé pelvienne. Il faut leur montrer comment relâcher cette musculature, faire des étirements, avec des techniques d’insertion avec dilatateurs. Dans les cas de dyspareunie superficielle, on voit des résultats après quelques consultations seulement.»La physiothérapeute, qui forme depuis plusieurs années des professionnels de la santé aux dysfonctions pelviennes, constate une évolution positive mais encore lente dans l’intégration en pratique clinique. «Il y a plus de médecins-gynécologues qu’auparavant qui vont reconnaître les problèmes de dyspareunie. C’est plus connu que c’était, mais ça prend au moins 15 ans avant que ce qui est prouvé en recherche soit utilisé dans les pratiques cliniques», observe-t-elle. «Je pense qu’il y a un changement dans le paradigme et qu'on est de plus en plus enclin à parler de sexualité avec les patients, commente la Dre Pina. Certains professionnels sont encore un peu gênés d'aborder la sexualité. Il faut comprendre que, parfois, on n'a pas énormément de temps dans nos visites, et qu’on a d’autres enjeux à gérer et qu’on ne va pas aborder la sexualité. Je ne sais pas ce qui se passe dans les autres cabinets d’examen, mais la physiothérapie fait partie des options qu’on a maintenant.»Un silence aux conséquences bien réellesDe nombreuses femmes vivent avec la douleur pendant des années sans savoir qu’il existe des traitements efficaces. «Souvent, on a des bons succès avec la physiothérapie et les femmes se demandent pourquoi elles ne connaissaient pas (cette option)», observe Marie-Josée Lord.«Plusieurs femmes ne savaient pas qu’il existe des solutions pour soulager la douleur, et n’étaient pas portées à demander de l’aide», renchérit Mélanie Morin, professeure à la Faculté de médecine et des sciences de la santé de l’Université de Sherbrooke. «Dans les études, les femmes nous disent qu’elles aimeraient que les médecins abordent le sujet.»«Je pense qu'on doit demander: est-ce que vous avez de la douleur à la pénétration?, suggère Marie-Josée Lord. Souvent, la question n'est pas posée, parce qu’on ne sait pas comment intervenir. À ce moment-là, la réponse devrait être: aviez-vous pensé consulter en physiothérapie? Même si la personne dit qu’elle n’a pas le budget pour ça, on peut quand même lui montrer, en une ou deux sessions, comment au moins relâcher (les muscles). Après ça, elle décide si elle veut continuer ses traitements.»Une approche qui continue de faire ses preuvesDepuis le début des années 2000, des chercheuses québécoises à l'instar de Sophie Bergeron, professeure au Département de psychologie de l’Université de Montréal, s’intéressent au traitement de la dyspareunie. Une équipe interdisciplinaire de Sherbrooke et de Montréal a, par exemple, développé une approche de physiothérapie du plancher pelvien spécifique aux survivantes d’un cancer gynécologique. Les effets bénéfiques sur les patientes ont été documentés dans sept publications scientifiques, parues entre 2020 et 2022. «Malgré ces avancées, on a réalisé que ça n’avait pas percolé dans les milieux cliniques», souligne Mélanie Morin, co-auteure des études.Le protocole d’intervention prévoyait, pendant trois mois, une séance hebdomadaire de 60 minutes menée par des physiothérapeutes. Le traitement combinait de la thérapie manuelle (étirements, relâchement myofascial, pression et massages intra- et extra-vaginaux), des exercices de renforcement du plancher pelvien avec biofeedback, et des exercices à domicile.Les survivantes d’un cancer gynécologique participantes ont reçu de l’information sur la physiopathologie de la dyspareunie, l’usage de lubrifiants et d’hydratants vaginaux, et ont été encouragées à reprendre progressivement des activités sexuelles non douloureuses. Leurs partenaires ont également été invités à participer à une séance éducative.Les résultats ont montré une réduction significative de l’intensité de la douleur, une amélioration des symptômes liés au plancher pelvien, ainsi qu’une meilleure qualité de vie.À lire aussi: Hausse des décès du cancer du col de l'utérus chez les 35-44 ans au Canada«Maintenant, est-ce que le gouvernement va accepter de mettre de l'argent pour rendre ça disponible, étant donné que la majorité des traitements sont disponibles en privé?», questionne Mélanie Morin, qui se réjouit toutefois de l’examen de la question par l’INESSS en 2023.«Je pense que le fait d'en parler, ça aide, partage Mélanie Morin. C’est un sujet tabou, comme toutes les problématiques de douleurs ou de troubles gynécologiques chez les femmes. Personne n'en parle».

Sexualité féminine: briser le tabou de la douleur pour mieux soigner

Pour accéder au contenu, connectez-vous ou créez un compte gratuit.

Catégories connexes