Santé mentale des médecins: de la stigmatisation à la prévention

Quand on regarde dans le rétroviseur, on mesure le chemin parcouru. Si on applique cette méthode au bien-être et à la santé mentale des médecins, on constate que les choses ont beaucoup changé ces trois dernières décennies. Particulièrement si on observe cette évolution à travers les lunettes du Programme d’aide aux médecins du Québec (PAMQ), qui fête cette année ses 35 ans.Au départ, le programme de soutien par les pairs ciblait ouvertement les praticiens aux prises avec des problèmes d’alcoolisme, de toxicomanie ou de santé mentale. En feuilletant des articles publiés dans les années 1990, la Dre Marie-Chantal Brien a été frappée par les mots employés à l’époque. «Premièrement, on les appelait des patients. Deuxièmement, on parlait d’eux comme si c’était des malades mentaux. On utilisait même ce terme», rapporte l’actuelle directrice de l’intervention, de la prévention et de la recherche au PAMQ. Avec du recul, elle signale que pour briser les tabous à la consultation chez les cliniciens en souffrance, il a fallu commencer par les «déstigmatiser».La recherche sur la santé des médecins a contribué à lever ces stigmates, en se développant fortement à partir des années 2000. Elle a notamment permis de mieux comprendre les facteurs de risques propres à la profession médicale, comme le stress chronique et l’épuisement professionnel. Elle a également montré que les médecins souffrent davantage de ces troubles que la plupart des travailleurs, laissant entrevoir des problématiques collectives, voire systémiques, plus que des problèmes d’ordre personnel.Médecin-conseil depuis 2006 au PAMQ, la Dre Sandra Roman se rappelle qu’à ses débuts, «l’épuisement professionnel n’était pas encore reconnu. On n’avait pas vraiment les mots pour le nommer.» La recherche progressant, «notre vision a évolué en même temps», relate la coordinatrice de la prévention de l’organisme. «On a pris conscience que l’épuisement professionnel n’était pas lié à un manque de résilience individuelle, mais qu’il découlait de facteurs en lien avec l’organisation du travail et aussi le climat de travail.»Parallèlement, la société et les mentalités ont considérablement évolué sur les enjeux de bien-être et de santé mentale, dans la vie de tous les jours comme dans la sphère professionnelle, où les stresseurs ont longtemps été banalisés ou déniés. «Il fut un temps pas si lointain où quand on était médecin, on était supposé être invulnérable, capable de faire face à tout, de tout encaisser. Cette vision-là du médecin, presque demi-Dieu, a elle aussi changé pour devenir plus humaine, plus vulnérable», souligne la Dre Roman.À lire aussi: Ne m’appelez pas docteurCes différents processus se sont naturellement répercutés dans les motifs de consultation du PAMQ, qui ont «évolué en congruence avec la société», observe la Dre Brien. Très fréquente au tournant des années 2000, l’anxiété de performance a, par exemple, été supplantée progressivement par les enjeux liés à la conciliation entre vie professionnelle et vie personnelle. Les conflits au travail sont toujours présents, «l’aspect relationnel a cependant pris le dessus sur la dimension individuelle, avec des problématiques qui dépassent la personne comme la toxicité d’un milieu de travail, du harcèlement moral ou sexuel, etc.» indique la médecin-conseil qui a vu poindre ces dernières années des demandes concernant la sécurité personnelle. Qu’il s’agisse de menaces et d’agressions de la part des patients ou de violence conjugale, «ce n’est pas si fréquent non plus, mais ce n’était pas des motifs qu’on voyait si souvent auparavant.»Lire aussi: Êtes-vous heureux au travail ou en proie au burn-out? Faites le test!Peur de l’erreur et de ses conséquencesDepuis une quinzaine d’années, les équipes du PAMQ ont observé deux tendances, la première en lien avec les enjeux médicaux légaux de la pratique. «Le fardeau de la responsabilité professionnelle et déontologique est plus lourd qu’auparavant», souligne la Dre Brien qui a constaté un changement de paradigme dans la justice disciplinaire. «On est passé de la simple tape dans le dos à des sanctions très sévères prises à l’issue de procédures très longues» qui usent les médecins.L’autre tendance qui se dégage est relative au réseau de la santé lui-même, ses ratés, sa complexité, ses lourdeurs administratives, ses réorganisations successives ou encore les compressions budgétaires qu’il subit. Depuis 2015, «c’est beaucoup plus nommé explicitement comme raison de leur appel», souligne la Dre Roman en ajoutant que cela pèse sur leur santé mentale tout en contribuant à une perte de sens. «Les médecins ont la perception que leur voix n’est plus entendue au sein de l’organisation, qu’ils ne font plus partie de la solution. Ils sont dans leur bureau avec leur patient, ils voient bien qu’il y a des choses qui ne fonctionnent pas, mais ils ne peuvent plus faire avancer la machine. Ce qui provoque un sentiment d’impuissance assez pernicieux.»À consulter: La solitude du médecinPoint plus positif que les précédents, le PAMQ reçoit de plus en plus de demandes pour des activités de prévention. «Elles émanent de chefs de service hospitalier qui veulent mettre en place des formations pour améliorer le climat de travail au sein de leur équipe ou organiser un atelier sur la supervision des apprenants», indique la Dre Brien en spécifiant que le Programme a développé une offre en réponse à ces besoins exprimés sur le terrain. Besoins qui témoignent aussi que la dimension bien-être et santé mentale des médecins est mieux considérée aujourd’hui qu’elle ne l’était il y a 30 ans. «Il y a moins de tabous, les gens nous consultent plus facilement, c’est évident. Mais il existe quand même encore une espèce de procrastination à nous contacter», remarque la directrice de l’intervention, de la prévention et de la recherche au PAMQ, qui continue de répéter le message qu’il ne faut pas attendre d’être complètement au bout du rouleau avant d’appeler à l’aide.

Santé mentale des médecins: de la stigmatisation à la prévention

Pour accéder au contenu, connectez-vous ou créez un compte gratuit.

Catégories connexes