Remise à niveau sur la catatonie: un trouble souvent oublié, mais courant

Souvent considérée comme un vestige des asiles victoriens, la catatonie est loin d'être une maladie révolue: c'est une condition réelle et urgente à traiter que les médecins d'aujourd'hui ne peuvent ignorer en raison de ses taux élevés de morbidité et de mortalité.«Il s'agit d'un trouble extrêmement important, souvent méconnu et parfaitement traitable», déclare en entrevue la Dre Patricia Rosebush. Neuropsychiatre, la clinicienne canadienne est largement reconnue pour ses travaux sur la catatonie et les troubles de l'humeur. Intitulé «What Internists and Neurologists Know and Think About Catatonia» (Ce que les internistes et les neurologues savent et pensent de la catatonie), un article publié en avril 2025 aux États-Unis a mis en évidence d'importantes lacunes dans les connaissances au sujet de la catatonie, en particulier dans l'identification de ses symptômes spécifiques. Les auteurs y soulignent que la catatonie peut être la principale manifestation clinique de nombreuses affections médicales ou neurologiques, en plus des troubles psychiatriques primaires. Ils notent aussi que les psychiatres ont tendance à passer à côté de la catatonie dans près de 90% des cas, et probablement davantage chez les praticiens des autres spécialités.Guérison miraculeuseLorsqu'elle a commencé à exercer à la fin des années 1980 et qu'elle a vu sa première patiente atteinte de catatonie, ainsi que la réponse rapide de celle-ci à un traitement simple, la Dre Rosebush s'est intéressée de près à ce trouble. «J'avais une patiente dans le service de psychiatrie qui était immobile. Il fallait regarder les draps pour voir si elle bougeait et si elle était en vie. Elle fixait le vide, ne mangeait pas, ne buvait pas et elle était incapable de coopérer. Je me suis souvenue d'un article que j'avais lu et je lui ai donné du lorazépam. Ce fut comme un miracle: en une heure environ, elle est revenue à la vie et s’est rétablie de façon spectaculaire»Dans un article de référence publié en décembre 2016 - «Catatonia: Our current understanding of its diagnosis, treatment and pathophysiology» (Catatonie: notre compréhension actuelle de son diagnostic, de son traitement et de sa physiopathologie) -, la Dre Rosebush et ses collègues, les Drs Sean Rasmussen et Michael Mazurek, ont synthétisé des décennies d'expérience clinique et ils ont passé en revue 220 cas de catatonie évalués en équipe ainsi que la littérature récente. Leur article souligne que la catatonie est un syndrome clinique complexe touchant plus de 10% des patients atteints de maladies psychiatriques aiguës et qu’elle est associée à de multiples complications potentiellement mortelles.À lire aussi: Québec lance un site web regroupant des applications validées en santé mentalePublié dans le World Journal of Psychiatry, cet article a joué un rôle essentiel pour faire sortir la catatonie de son association historique avec la schizophrénie tout en soulignant l'importance d'un traitement rapide.Trouble psychomoteur caractérisé par des anomalies dans les mouvements, la parole et le comportement, la catatonie a longtemps été considérée comme un sous-type de la schizophrénie. Elle était d’ailleurs définie comme telle dans le Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux (DSM) jusqu'en 2013.«Aujourd'hui, elle est davantage considérée comme un syndrome à part entière. Plus récemment, il a été démontré que les troubles de l'humeur, en particulier le trouble bipolaire, ainsi que la dépression majeure, sont les principaux troubles sous-jacents dans environ 60% des cas», la schizophrénie représentant environ 20% des cas, estime la Dre Rosebush, également responsable du service de psychiatrie (consultation-liaison) à l'hôpital St. Joseph's Healthcare Hamilton. Ce service est à l'interface entre la médecine et la psychiatrie et fournit des consultations psychiatriques aux patients admis dans les unités médicales et chirurgicales.«C'est très courant dans les services médicaux. Donc quand vous avez une personne qui ne mange pas, ne boit pas et ne bouge pas, vous devez réfléchir de manière globale aux conditions médicales qui pourraient être à l'origine de son état», indique la neuropsychiatre.La catatonie est considérée comme une urgence, mentionne la Dre Rosebush, en ajoutant qu’aux soins intensifs, les internistes et les neurologues sont souvent les premiers cliniciens à rencontrer des patients atteints de catatonie. Ils doivent ainsi en connaître les symptômes.Deux sous-types principaux ont été identifiés: le plus courant est la catatonie retardée. Moins courante, la catatonie excitée se caractérise par des épisodes d'agitation psychomotrice sévère, en plus des nombreuses caractéristiques communes à la catatonie retardée. Certains patients passent d'un type à l'autre. Un troisième type rare, la catatonie excitée maligne, peut survenir, évoluant généralement à partir d'une catatonie retardée, et s'accompagne de fièvre, de tachycardie et d'hypertension.La Dre Rosebush signale qu’avec ses collègues, ils ont constaté que les caractéristiques cliniques suivantes sont les plus fréquentes et les plus facilement observables dans la catatonie (type retardée). Elles permettent également de prédire une bonne réponse au traitement par lorazépam.Immobilité (dans 97% des cas)Mutisme (dans 97% des cas)Refus de manger ou de boire (dans 91% des cas)Regard fixe (dans 87% des cas)Négativisme (dans 67% des cas)Postures figées (dans 58% des cas)Rigidité musculaire (dans 54% des cas)«Si vous observez les trois ou quatre premiers symptômes, il s'agit probablement de catatonie. Parfois, la personne est tellement immobile qu'elle semble morte ou mourante. D'autres fois, elle arrive dans une posture bizarre et figée, mais cela est moins fréquent.»Bien qu'ils soient cités dans le DSM-5 (voir encadré ci-contre), «la flexibilité cireuse, la stéréotypie, l'écholalie et l'échopraxie sont présentes dans 25% des cas ou moins», signale la clinicienne chercheuse.La plupart des patients réagissent rapidement aux benzodiazépines à faible dose, en particulier au lorazépam, tandis que l'électroconvulsivothérapie (ECT) reste une option efficace pour les cas réfractaires, note la Dre Rosebush.Le diagnostic et le traitement sont essentiels, dit-elle, car dans de nombreux cas, il est nécessaire de traiter les symptômes catatoniques avant de pouvoir établir un diagnostic précis du trouble sous-jacent, qu'il soit psychiatrique ou non.À lire aussi: Épuisement professionnel: effectuer trop d’heures de travail peut altérer la structure cérébrale«La catatonie est associée à une morbidité et une mortalité élevées. Il est impossible d'obtenir des antécédents médicaux, d'effectuer certains tests ou de prendre soin des patients dans cet état», explique la Dre Rosebush, qui a récemment témoigné en tant qu'experte dans une affaire judiciaire où une complication liée à une catatonie non diagnostiquée était probablement la cause du décès.La catatonie est souvent liée à d'autres troubles. Elle nécessite un diagnostic et un traitement rapides, notamment car elle peut augmenter le risque de syndrome malin des neuroleptiques, une affection potentiellement mortelle qui ressemble étroitement à la catatonie maligne. L'immobilité et le refus de manger ou de boire observés dans la catatonie peuvent également entraîner de graves complications médicales, telles que la déshydratation, la malnutrition, la formation de caillots sanguins, des infections, des escarres et des contractures musculaires.Lorsque des symptômes catatoniques sont présents, la cause est probablement psychiatrique, mais des maladies neurologiques telles que les accidents vasculaires cérébraux, les néoplasmes ou la maladie de Parkinson peuvent entraîner une catatonie, tout comme les troubles auto-immuns, paranéoplasiques, infectieux ou métaboliques. Il en va de même pour l'exposition à certains médicaments ou poisons, voire le sevrage après une consommation régulière de benzodiazépines ou un effet secondaire des antipsychotiques.La catatonie est avant tout un diagnostic clinique qui ne nécessite pas de tests de laboratoire ou d'imagerie spécifiques, mais certains examens peuvent aider à déterminer l'étiologie sous-jacente de la catatonie. Un électroencéphalogramme (EEG) est recommandé lorsqu'un patient semble être dans un état de catatonie retardée, afin d'exclure d'autres troubles neurologiques, tels que des convulsions. L'EEG dans la catatonie est généralement normal, sauf en cas de trouble concomitant pouvant être à l'origine de l'anomalie. Une imagerie cérébrale, de préférence une IRM, est recommandée, et les examens de laboratoire doivent inclure une numération globulaire complète afin d'évaluer les affections concomitantes.Une caractéristique de la catatonie est sa réponse remarquable à de faibles doses de benzodiazépines. «L'EEG est un très bon test de distinction, et heureusement, l'administration de benzodiazépines ne présente pas beaucoup d'inconvénients, même si le diagnostic est erroné», souligne la Dre Rosebush. À lire aussi: Narcolepsie: un traitement «révolutionnaire» pourrait être bientôt disponible«Nous recommandons de commencer par 2 mg de lorazépam, administrés par voie intramusculaire, car de nombreux patients catatoniques sont incapables ou refusent de prendre des médicaments par voie orale. Pour les patients très jeunes, âgés ou fragiles, en particulier ceux chez qui un syndrome d'apnée du sommeil a été diagnostiqué ou est suspecté, une dose plus faible est recommandée.» La neuropsychiatre précise que s'il n'y a pas de réponse initiale, deux autres doses peuvent être administrées après trois heures, mais si la réponse est toujours absente, les médecins doivent revoir leur diagnostic.Environ 80 à 90% des patients répondent au traitement dans les trois heures s'ils souffrent effectivement de catatonie. Le patient reçoit alors une dose plus faible de manière continue pendant qu'il passe des examens diagnostiques ou suit un traitement pour les maladies sous-jacentes.Cependant, la cause de la catatonie reste encore mystérieuse, selon la Dre Rosebush. «Mais comme elle entraîne un taux de mortalité et de morbidité élevé, il est important d'en connaître les symptômes afin de pouvoir la traiter, puis de s'attaquer aux maladies sous-jacentes.»Références et lectures complémentairesJapsimran Kaur, Daniel D. Maeng, Joshua R. Wortzel, Mark A. Oldham. What Internists and Neurologists Know and Think About Catatonia. Prim Care Companion CNS Disord 2025; 27(2):24m03853Sean A Rasmussen, Michael F Mazurek, Patricia I Rosebush. Catatonia: Our current understanding of its diagnosis, treatment and pathophysiology. World Journal of Psychiatry 2016; 6(4):391-398Burrow JP, Spurling BC, Marwaha R. Catatonia. Catatonia. StatPearls Publishing [Internet]. Mis à jour le 8 mai 2023.

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