Québec veut sabrer les tarifs des téléconsultations offertes par les omnipraticiens

De 6,22$ à 9,95$ par tranche complète de 5 minutes. C’est l’offre mise sur la table par le gouvernement Legault dans le cadre de ses négociations avec la Fédération des médecins omnipraticiens du Québec (FMOQ) relatives au renouvellement de l’entente sur la rémunération des services médicaux effectués en télémédecine. Entente qui arrive à échéance le 31 décembre prochain. Cette proposition, déposée conjointement par le Conseil du trésor et le ministère de la Santé et des Services sociaux (MSSS), constitue une diminution drastique du tarif des téléconsultations, qui avait été fixé durant la pandémie de Covid-19. Qu’elles se fassent en visioconférence ou par téléphone, elles étaient jusqu’ici facturables au même tarif qu’une visite de suivi en présentiel, soit de 32,25$ pour un patient inscrit non vulnérable reçu en GMF-U ou en CLSC à 68,85$ pour un patient inscrit vulnérable reçu en clinique.Le Dr Kevin Girard a d’abord pris l’offre du gouvernement comme une «insulte». Avec quelques jours de recul, le président de l’Association des médecins omnipraticiens du Saguenay Lac-Saint-Jean (AMOSL) la juge «méprisante». Il estime qu’«elle dénote du mépris» et qu’elle témoigne «une nouvelle fois de l’incompréhension de la réalité» des médecins de famille. Au bureau ou en téléconsultation, «c’est la même job», affirme le clinicien. «Je viens de faire le suivi par téléphone d’une patiente hypothyroïdique. C’est le même travail cognitif, la même démarche clinique, la même responsabilité et on y passe autant de temps», souligne le Dr Girard pour qui la différence de tarif entre une consultation au bureau et une téléconsultation est «injustifiable».Son homologue de l’Association des médecins omnipraticiens du Sud-Ouest (AMOSO), le Dr Sylvain Dufresne, a vite fait le calcul. «Si je fais une journée complète de téléconsultations, je vais facturer 500$ environ. Ça ne me qualifierait même pas pour une journée travaillée selon les critères de la RAMQ [Régie de l’assurance maladie du Québec]. Le ministre (Christian Dubé) va encore pouvoir nous dire qu’on ne travaille pas assez», anticipe le médecin de famille qui signale par ailleurs que les mêmes frais de bureau s’appliquent qu’il téléconsulte depuis sa clinique ou chez lui.Dans le détail, l’offre présentée à la FMOQ prévoit une rémunération par période de cinq minutes complétée qui varie selon le mode de communication et le milieu: 9,95$ en vidéo et 7,46$ au téléphone en cabinet; 8,29$ en vidéo et 6,22$ au téléphone en établissement ou à domicile.À lire aussi: Reconnaître les expertises Parmi les considérations qui justifient l’offre du Conseil du trésor et du MSSS, il est mentionné «que la durée des visites réalisées à distance est moindre et que ces visites ne permettent pas d’apprécier tous les aspects du patient, particulièrement pour l’examen physique de celui-ci.» Il est également précisé que le gouvernement a des préoccupations «quant à la saine utilisation de la télémédecine» et «quant à la qualité, la pertinence et la valeur des services médicaux réalisés à distance.»Ces derniers mois, des enquêtes journalistiques ont révélé qu’il est possible d’obtenir en quelques clics une ordonnance d’Ozempic ou de recevoir en moins d’une heure un diagnostic du trouble déficitaire de l’attention avec ou sans hyperactivité (TDAH) via des plateformes de télésanté québécoises. «Pourquoi le gouvernement se mêle de ça?» se demande le Dr Dufresne qui considère qu’un tout petit nombre de médecins et d’infirmières praticiennes spécialisées semblent abuser. «S’il y a des lacunes, il revient au Collège des médecins et à l’Ordre des infirmières de s’en soucier».Lire aussi: Quand le mépris exacerbe l’exode des médecins de familleJour de la marmottePour le président de l’AMOSO, c’est ni plus ni moins «le jour de la marmotte». Il craint que l’on revive en fait «le même psychodrame que lors du renouvellement de l’entente sur le GAP (le guichet d’accès à la première ligne) au printemps dernier». L’offre gouvernementale précise en effet que les modalités de l’entente en vigueur sur la téléconsultation médicale ne seront pas reconduites après le 31 décembre et que «les travaux doivent être entamés rapidement et avec diligence afin que (la nouvelle) entente prenne effet à compter du 1er janvier 2025.»Selon le Dr Dufresne, «il y a une solution simple pour éviter de perdre du temps à s’obstiner maintenant. On renouvelle l’entente actuelle pour faire le pont jusqu’à la fin des négociations sur l’accord-cadre dans lesquelles on inclut les téléconsultations. Sinon, le gouvernement va prendre la population en otage.»Aux tarifs proposés par Québec, de nombreux médecins de famille expriment leur intention de cesser la télémédecine, même si ce service est plébiscité par les patients. «Dans ces conditions, mes membres et moi-même allons les faire revenir au bureau, c’est sûr», annonce le président de l’Association des médecins omnipraticiens de Laval (AMOL), le Dr Jean Rivest. «C’est ridicule, car c’était une belle avancée de la pandémie. Ça nous permet d’offrir davantage de rendez-vous en présentiel et ça évite aux patients de poser une demi-journée de congé pour venir nous voir pour de simples suivis», explique le praticien en mettant de l’avant les heures de travail épargnées par ces téléconsultations de 15 minutes ainsi que les émissions de gaz à effet de serre économisées. «Dans le cadre de la transition écologique, c’est un non-sens», insiste-t-il en signalant qu’il suit à distance des patients qui vivent à Mont-Laurier ou Shawinigan parce qu’ils n’ont pas retrouvé de médecin de famille depuis leur déménagement de Laval.Lire aussi: Médecine de famille: déception, colère, inquiétude et espoirUne offre basée sur «les meilleures pratiques qui existent ailleurs»Dans une déclaration écrite, la FMOQ signale que 12% des consultations sont actuellement réalisées à distance et «déplore la décision du gouvernement de réduire considérablement le financement de la télémédecine». Elle «exhorte le gouvernement à reconsidérer sa position», car selon la Fédération, «en pleine pénurie de 1500 médecins de famille, la télémédecine est un outil éprouvé qui facilite les suivis avec les patients, réduit les déplacements, et allège la pression sur le réseau de la santé».Dans un message adressé vendredi à ses membres, la FMOQ jugeait «dérisoire» l’offre gouvernementale. Elle les informait également que «si aucune entente n’est conclue sur la téléconsultation d’ici le 31 décembre et que le gouvernement refuse de prolonger celle qui a toujours cours, la téléconsultation ne sera plus tarifée. Puisqu’il s’agit désormais d’un service assuré en dehors de la couverture d’une assurance collective, vous ne pourriez donc pas facturer ce service aux patients.»Sollicité par Profession Santé, le cabinet du ministre de la Santé a renvoyé la balle vers la présidente du Conseil du trésor, Sonia Lebel, qui mène les négociations avec la FMOQ. Le cabinet de cette dernière a botté en touche en répondant que «puisque les discussions à ce sujet doivent se faire à la table, nous nous en tiendrons uniquement à la déclaration émise vendredi soir au sujet de la télésanté». Mme Lebel avait alors déclaré sur X (anciennement Twitter): «Nous reconnaissons tout à fait que la télésanté est une solution qui améliore l’efficacité du système et l’accès des Québécois aux soins de santé. Notre proposition, faite à la table de négos, se base sur les meilleures pratiques qui existent ailleurs. Nous prenons acte de la déclaration de la FMOQ, mais les discussions devront se poursuivre à la table.»

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