Quand les objectifs du patient et son traitement oncologique divergent

Il est de plus en plus question de mettre le «patient au centre des soins» et de «prise de décision partagée». Mais comment ces concepts s’articulent-ils dans la pratique quotidienne? Une étude publiée dans la revue Cancer montre que, pour de nombreux patients atteints d’un cancer avancé, les traitements qu’ils reçoivent ne correspondent pas forcément à leurs attentes prioritaires.Les auteurs rappellent en introduction que «les soins de haute qualité en oncologie doivent être guidés par les objectifs du patient, particulièrement lorsque les options thérapeutiques n’offrent que des bénéfices modestes et peuvent entraîner des effets indésirables significatifs». Pourtant, peu d’études ont mesuré la concordance réelle entre objectifs exprimés et perception de l’intention thérapeutique.Pour ce faire, l’équipe dirigée par le Dr Manan Shah, hémato-oncologue au UCLA Health Center, à Los Angeles, a mené une enquête transversale auprès de 543 patients atteints d’un cancer avancé dans plusieurs hôpitaux américains. Chaque participant devait préciser son objectif principal – prolonger la vie ou privilégier le confort – puis indiquer ce qu’il croyait être l’intention de son traitement en cours. Une discordance était définie par un écart entre objectif personnel et perception de l’intention thérapeutique.Cet article pourrait vous intéresser: Fin de vie: les personnes atteintes de cancer se sentent obligées de se battre Près d’un patient sur trois (31%; IC à 95% 27,2–35,0) a ainsi rapporté une discordance entre son objectif déclaré et l’intention perçue du traitement. Chez ceux qui privilégiaient la qualité de vie, 22% (IC à 95% 16,6–28,3) croyaient malgré tout recevoir un traitement destiné avant tout à prolonger la survie. À l’inverse, 35% des patients (IC à 95% 29,3–40,9) qui souhaitaient gagner du temps percevaient leur traitement comme centré sur le confort. Cette discordance était plus fréquente chez les plus jeunes et les patients issus de minorités (p < 0,01). Elle s’accompagnait d’une satisfaction moindre des soins (rapport des chances ajusté 0,54; IC à 95% 0,39–0,75; p < 0,001) et d’une perception réduite de la qualité de la communication avec l’équipe médicale (rapport des chances ajusté 0,48; IC à 95% 0,35–0,66; p < 0,001).Les auteurs résument ce constat en soulignant qu’«une proportion relativement importante de patients atteints d’un cancer avancé ont déclaré que leur traitement était axé sur la longévité plutôt que sur le confort, alors qu’ils souhaitaient privilégier le confort plutôt que la longévité».À lire aussi: McGill: une découverte pourrait prédire l'efficacité de la chimiothérapieUn problème de communication au cœur des soinsPour le Dr Manan Shah, ces données révèlent une faille fondamentale. «Nous avons découvert que de nombreux patients reçoivent des traitements qui ne correspondent pas à leurs propres objectifs. Cela peut signifier des soins plus agressifs qu’ils ne le souhaitent, ou au contraire moins de traitements qu’ils espéraient», indique le médecin.Les chercheurs insistent sur les conséquences de ce décalage. «Lorsqu’un patient pense qu’il reçoit un traitement visant à prolonger sa vie alors qu’il privilégiait le confort, il peut ressentir un manque de contrôle et une déception face à ses soins», écrivent-ils. Cette perception fragilise la relation thérapeutique et complique les décisions futures.Pour y remédier, l’étude propose de renforcer la communication et la documentation des priorités de vie. Les auteurs recommandent notamment de:instaurer des conversations régulières et explicites sur les objectifs de soins lors des moments clés (diagnostic, progression, changement de traitement);former les cliniciens à clarifier explicitement l’intention thérapeutique de chaque ligne de traitement;intégrer les objectifs déclarés dans le dossier médical pour guider les décisions subséquentes.Comme le souligne le Dr Shah, «la meilleure chimiothérapie ou le meilleur traitement ciblé n’est pas vraiment le bon si l’intention qu’y voit le patient n’est pas celle qu’il souhaite».Cette étude rappelle qu’en oncologie avancée, la précision du dialogue importe autant que la précision du protocole. Elle ouvre la voie à des pratiques plus attentives aux priorités de vie, invitant cliniciens et équipes interprofessionnelles à revisiter leurs façons de communiquer. À lire aussi: Percée pour prévenir les rechutes de cancer du seinLes médecins, en première ligne des décisions thérapeutiques, et les pharmaciens, souvent sollicités pour expliquer les traitements, peuvent ainsi jouer un rôle clé pour s’assurer que les patients comprennent bien l’intention réelle de leurs soins. Car au-delà des molécules et des protocoles, ce qui compte le plus demeure la cohérence entre les objectifs de vie du patient et la trajectoire de soins qu’il emprunte.Référence:Shah MP, Wenger NS, Glaspy J, et coll. Patient-reported discordance between care goals and treatment intent in advanced cancer. Cancer. 2025;e35976. doi:10.1002/cncr.35976

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