Quand les couples partagent une même vision du monde, leur vie prend davantage de sens

La littérature scientifique a établi à maintes reprises que les gens ont besoin de donner un sens à leur vie pour y trouver une forme de but et de cohérence. Des décennies de recherches ont également exploré le concept du «sens dans la vie» et les façons dont les individus peuvent accéder à ce sentiment, que ce soit par des moyens intrapersonnels – en se fixant des objectifs à atteindre – ou interpersonnels – à travers le sentiment d’appartenance, par exemple.Une autre perspective suggère que les relations humaines permettent aussi d’accéder à un sentiment de sens. Des chercheuses en psychologie à l’Université McGill ont ainsi exploré un nouvel angle: comment les processus interpersonnels dans les relations amoureuses peuvent favoriser le sens de la vie à travers la réalité partagée. Dans leur étude publiée dernièrement dans le Journal of Personality and Social Psychology, les auteures démontrent que la réalité partagée au sein d’un couple, c’est-à-dire percevoir des pensées, des émotions ou des croyances similaires à son conjoint, est liée à une réduction de l’incertitude – et potentiellement du stress associé –, renforçant ainsi le sens ou la direction donnée à la vie. À consulter: Vaginose bactérienne: le traitement simultané du conjoint peut réduire le taux de récidive chez la femme«Lorsqu’un couple regarde un film d’horreur et que les partenaires (ou un seul) se rendent compte qu’ils le trouvent tous les deux effrayant, ils partagent alors la même réalité», explique dans un communiqué l’auteure principale de l’étude, Catalina Enestrom, qui était alors doctorante en psychologie à l’Université McGill. Toutefois, il ne faut pas nécessairement une expérience commune pour créer une réalité partagée, précise celle qui est aujourd’hui chercheuse postdoctorale à l’IESE Business School de Barcelone. «Par exemple, si l’un des partenaires décrit un événement stressant qu’il a vécu et que l’autre partenaire le ressent de la même manière, leur perception commune peut aussi contribuer à créer une réalité partagée. À mesure que les couples accumulent ces perspectives partagées, ils en viennent à voir le monde de la même manière.»Pour parvenir à cette conclusion, l’équipe de recherche a mené cinq études en parallèle qui ont inclus près de 1 300 participants:Étude en laboratoire auprès de 103 couples: mesures de réalité partagée (auto-rapportée et codée à partir d’une interaction filmée) du sens de la vie et de la satisfaction conjugale; analyse des comportements verbaux de réalité partagée (par exemple finir les phrases, exprimer un accord).Étude en ligne sous forme de sondage réalisé dans l’année suivant le meurtre de George Floyd auprès de 190 répondants noirs américains en couple: évaluer si la réalité partagée avec le partenaire réduit l’incertitude face au racisme et au climat sociopolitique, et augmente le sens de la vie.Étude longitudinale pendant les deux premières vagues de la COVID-19 auprès de 139 travailleurs de la santé en couple: tester si la réalité partagée perçue au début de la pandémie peut prédire une réduction de l’incertitude professionnelle six mois plus tard, et une augmentation du sens au travail.Expérience en ligne auprès de 364 participants: ils devaient se remémorer une interaction avec leur partenaire où ils s’étaient sentis (ou non) en réalité partagée, avec des mesures subséquentes d’incertitude et de sens.Étude expérimentale auprès de 389 participants: les auteures ont manipulé la perception de réalité partagée pour tester son impact sur l’incertitude et le sens de la vie.Principaux résultatsDans les études corrélationnelles (1 à 3), les chercheuses observent que plus les gens perçoivent une réalité partagée généralisée avec leur partenaire, plus ils rapportent un sentiment de sens dans la vie et au travail. Cet effet s’accompagne par une réduction de l’incertitude face au monde – climat social ou environnement professionnel par exemple.Leurs études expérimentales (4 et 5) montrent par ailleurs qu’induire le souvenir ou la perception d’un moment de réalité partagée avec le partenaire réduit l’incertitude et accroît le sens de la vie. Cela confirme un lien causal: c’est bien la réalité partagée qui produit ces effets et non l’inverse.En définitive, les cinq études convergent vers un même constat: une réalité partagée forte réduit l’incertitude et augmente le sens perçu dans la vie ou le travail, indépendamment de la satisfaction conjugale.Lire aussi: L’hypertension artérielle, un problème de coupleCes conclusions pourraient éventuellement ouvrir la voie à de nouveaux leviers thérapeutiques. En psychothérapie de couple, travailler sur la vision partagée du monde pourrait favoriser le sens et renforcer l’adhésion à la thérapie. Intégrer la dimension relationnelle dans des interventions psychoéducatives pourrait aussi renforcer l’effet des médicaments d’appoint. Enfin, en pharmacie, comprendre le rôle de la dynamique de couple sur l’adhésion ou la motivation des patients pourrait offrir une opportunité d’approche holistique pour la prise en charge de maladies chroniques tels que le diabète ou l’hypertension.Pour confirmer ces avenues, d’autres recherches seront nécessaires, car les cinq études en question ont été menées principalement auprès de personnes hétérosexuelles en Amérique du Nord. De plus, les effets à long terme de la réalité partagée n’ont pas encore été documentés: seront-ils durables ou fluctuent-ils selon le contexte conjugal et/ou l’environnement sociopolitique mouvant?RéférenceEnestrom C., Rossignac‑Milon M., Forest A. L., Lydon J. E. Meaning‑making with romantic partners: Shared reality promotes meaning in life by reducing uncertainty, JPSP Interpersonal Relations, 2025. DOI : 10.1037/pspi0000472

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