Projet de loi 106: «Le vif émoi des médecins est tout à fait normal»

Après les escarmouches qui ont entouré le dépôt du projet loi 106 et son étude en commission parlementaire, l’heure semble à l’apaisement. Alors que les travaux de l’Assemblée nationale sont ajournés jusqu’au 16 septembre, la Fédération des médecins omnipraticiens du Québec (FMOQ) a tendu la main au gouvernement de François Legault. La veille de la Saint-Jean, elle l’a exhorté à «retrouver un climat favorisant la collaboration» pour négocier des solutions au manque d’accès aux soins de santé.De son côté, le sous-ministre adjoint à la santé physique et pharmaceutique, le Dr Patrice Bergeron, veut instaurer un dialogue qu’il espère constructif avec les médecins. Responsable du projet de loi 106, il dit avoir entendu leurs préoccupations et veut y répondre. Lors de son entrevue au long cours avec Profession Santé, il a convenu que «c’est un projet de loi qui apporte de gros changements. Et comme tout projet de loi, il est écrit dans un langage juridique. Il est donc nécessaire de bien l’expliquer. Parce que quand les choses sont claires, je pense qu’on est plus à même de comprendre.» Comme médecin, comprenez-vous le vif émoi que le PL 106 a suscité chez vos pairs? Avez-vous manqué de pédagogie pour mieux faire comprendre ses tenants et aboutissants?Je comprends leur vif émoi. C’est tout à fait normal dans un contexte de grande transformation, notamment lorsque cela touche la manière dont nous sommes rémunérés. Et ce genre de réaction n’est pas propre aux médecins; elle se rencontre chez tous ceux qui sont touchés par une telle transformation. On peut aussi se rappeler l’émoi et les réactions vives engendrées par l’introduction de la Loi sur l’assurance maladie au Québec, portée principalement par Claude Castonguay, qui touchait et transformait grandement notre rémunération. Pourtant, bien peu aujourd’hui remettraient en cause les avancées sociétales considérables qu’a engendrées cette loi.Les avis sont unanimes: notre système doit changer. Sa configuration actuelle a, en quelque sorte, atteint sa limite de la capacité associée à cette configuration. Il nous faut nous transformer pour faire encore mieux pour notre population. En tant que médecin, il est inadmissible de constater qu’aujourd’hui, au Québec, près de 600 000 patients vulnérables ayant une condition de santé précaire soient sans médecin de famille ni accès facile au réseau de la santé.Il est nécessaire de rediriger les efforts vers l’amélioration de la première ligne afin que chaque Québécois soit pris en charge et que l’accès aux services médicaux soit progressivement augmenté. Le projet de loi 106 est essentiel pour garantir un accès universel. Contrairement aux idées reçues, ce projet de loi ne cible pas les médecins. Il propose une révision du contrat social entre les médecins et la population pour assurer un meilleur accès, que ce soit en révisant leur mode de rémunération et en établissant des règles claires, équitables, modernes et conformes aux exigences actuelles d’imputabilité et d’efficacité Fondamentalement, quelle est l’intention à la base du PL 106? À performance égale, s’agit-il de réduire la rémunération des médecins? Ou s’agit-il d’augmenter la productivité à coût égal?Le projet de loi ne vise pas à réduire la rémunération des médecins, mais plutôt à introduire principalement deux éléments: la rémunération par capitation et l’association d’une partie de leur rémunération à des indicateurs d’accès, visant à encourager les médecins à collaborer pour atteindre les cibles d’accessibilité. Le projet de loi 106 a pour objectif de moderniser le système de rémunération des médecins au Québec en ajoutant une composante collective à la rétribution individuelle qui est en place depuis la création de la RAMQ en 1970. Certains médecins pourraient ainsi voir leur rémunération augmenter; d’autres devraient travailler différemment, mais, soyons clairs, pas nécessairement plus. Étant donné la nature de plus en plus collaborative de la prestation de soins, il est nécessaire de fournir un effort collectif pour améliorer les pratiques de soins primaires. Ainsi, tenir chaque prestataire individuellement responsable des résultats peut être moins pertinent. Il importe donc de concevoir différemment les notions de performance. Et il importe de les associer à des standards nationaux d’accessibilité clinique, dont l’atteinte, lorsqu’on la regarde sous l’angle strictement médical, ne reposerait plus uniquement sur chaque médecin de façon individuelle, mais plutôt sur l’ensemble des médecins d’un même territoire, d’une même association, voire de l’ensemble des membres.Le PL 106 introduit également un nouveau mode de rémunération, incluant une dose de capitation, qui sera mieux appropriée aux exigences de la médecine de première ligne, puisqu’il s’adapte bien mieux à un travail en collaboration interprofessionnelle et en pertinence auprès d’une clientèle souvent plus âgée et malade. Il faut bien comprendre que le paiement par capitation, discuté depuis 30 ans et désiré par un grand nombre de médecins de première ligne, ne pouvait se faire en vertu de la loi actuelle. Sa mise en place nécessitait que celle-ci soit modifiée par une autre loi.Lire aussi: Le CMQ s’oppose à la rémunération des médecins à la performanceQuels gains le PL 106 va-t-il procurer aux médecins ou quels bénéfices vont-ils en retirer? Dans quelle mesure va-t-il améliorer leur pratique, la qualité de leur relation avec les patients ou leur charge et leur temps de travail?De nombreux médecins de famille m’ont souligné le fait que la rémunération actuelle, à l’acte, ne considérait pas à juste titre la lourdeur de la prise en charge d’une clientèle vulnérable. Et aussi qu’elle ne valorisait pas adéquatement la collaboration interprofessionnelle et les heures de travail effectuées pour le patient, mais en l’absence de celui-ci.Actuellement, le paiement à l’acte est le mode dominant chez les médecins de famille québécois. S’il favorise le volume, il peut être associé à une détresse professionnelle, particulièrement chez les jeunes médecins et les femmes, en raison de la pression de productivité, du manque de contrôle sur l’horaire, et d’un sens du travail parfois altéré. Il peut également être associé à une perte de sens clinique, particulièrement dans un contexte de soins chroniques et de vieillissement de la population, qui exigent du temps, de la coordination et de la continuité. Le modèle actuel de rémunération est aussi à potentiel de fragiliser les vocations, la collaboration interprofessionnelle et de nuire à l’attractivité de la pratique de première ligne. Il est jugé dépassé dans la majorité des systèmes de santé publics modernes.Dans le modèle proposé pour les médecins omnipraticiens, la rémunération à l’heure permettra de reconnaître le travail indirect associé à la pratique médicale et les heures liées à l’enseignement, essentiel au transfert des connaissances, et à la recherche. La capitation encouragera les médecins à se concentrer davantage sur les besoins des usagers et à offrir des soins adaptés à chacun d’entre eux. Il s’agit par ailleurs d’une source de revenu stable et prévisible, indépendamment du nombre de consultations ou autres actes médicaux réalisés. Les règles de ventilation peuvent avoir pour objet d’encourager l’accès aux services de première ligne, notamment en tenant compte de la contribution de chaque médecin impliqué à l’offre de ces services aux personnes affiliées à son milieu de pratique. Quant à la facturation à l’acte, elle sera simplifiée en raison d’une réduction considérable du nombre d’actes en première ligne.À cela s’ajoute le filtre de pertinence, en déploiement actuellement, qui permet d’optimiser l’accès aux soins en orientant les patients vers le professionnel le plus approprié à leur besoin (infirmière, infirmière praticienne spécialisée, pharmaciens ou autres), sans passer systématiquement par le médecin de famille. Cela lui libérera du temps pour les cas nécessitant son expertise clinique et améliore l’efficacité globale des cabinets médicaux. L’objectif est d’éviter que le médecin soit sollicité pour des problèmes qui ne relèvent pas spécifiquement de son champ de compétence, lui permettant ainsi de se concentrer sur les «bons cas» et d’avoir la disponibilité pour voir les usagers au bon moment.Pour les médecins de famille et les médecins spécialistes, le supplément collectif associé aux objectifs encourage la mise en commun des forces de tous pour favoriser un meilleur accès, plus équitable, pour les usagers. Les collectivités médicales [à l’échelle provinciale, d’un établissement, d’un centre hospitalier, d’un GMF ou d’un CLSC] disposeront de nouveaux leviers pour se mobiliser et permettre d’atteindre des objectifs spécifiques d’accès aux soins et aux services médicaux. Des moyens d’agir collectivement en vue d’atteindre ces objectifs seront maintenant à leur disposition. Cette mesure encourage les prestataires de soins et services à centrer collectivement leur attention sur les résultats de l’ensemble de la population dont ils ont la responsabilité; ceci aurait donc pour effet de répartir les efforts entre eux et avec d’autres professionnels pour atteindre ces résultats. Lire aussi: Une réforme improvisée ou une stratégie délibérée?Selon les calculs de certains médecins de famille, le PL 106 pourrait entraîner une baisse de leur rémunération de 25 à 50%. Le ministère de la Santé et des Services sociaux (MSSS) a-t-il fait des simulations de l’impact du PL 106 sur la rémunération des médecins? Si oui, quels ont été les résultats de ces simulations: les médecins vont-ils perdre ou y gagner?Le projet de loi 106 n’a pas pour objet de réduire la rémunération des médecins. Je rappelle d’ailleurs que les enveloppes de rémunération des médecins ne sont pas déterminées par le MSSS, mais bien négociées entre le Secrétariat du Conseil du trésor et les fédérations médicales. La hauteur de la rémunération du médecin ne fait donc pas partie de la portée du PL 106. Des simulations ont néanmoins été produites quant à ses effets sur cette rémunération. Elles doivent être discutées avec les fédérations.Hormis le supplément collectif, la rémunération en médecine spécialisée n’est pas touchée par le projet de loi. De même, la rémunération des activités de médecine de famille en établissement (urgence, hospitalisation, accouchement, CHSLD, etc.) n’est pas non plus modifiée. Le changement dans le mode de rémunération, soit l’introduction d’une rémunération mixte incluant la capitation, ne vise que la médecine de famille de première ligne. La capitation permet et encourage une autre façon de pratiquer la médecine de première ligne. Ainsi, il serait injuste de comparer l’effet, sur la rémunération, de ce nouveau mode en l’appliquant à la manière actuelle de faire. Si aucun changement de pratique n’est attendu ou réalisé à la suite de l’introduction de la capitation, les efforts auront été vains.En fait, le PL 106 permet aux médecins de choisir comment ils s’attribuent entre eux la rémunération. Comme le souligne avec justesse la Commissaire à la santé et au bien-être dans son mémoire: «En confiant la responsabilité aux médecins eux-mêmes de décider comment répartir au niveau local les fonds alloués par capitation et pour les incitatifs collectifs, le projet de loi traduit l’intention du gouvernement de décentraliser les décisions et de redonner plus d’autonomie aux médecins et, par extension, aux milieux locaux via le leadership médical.»Au départ, lorsque le PL 106 a été présenté par le ministre Dubé, il était question de lier 25% de la rémunération des médecins à des indicateurs de performance. Dernièrement, La Presse et Le Devoir ont indiqué que la volonté serait plutôt de lier 12% de la rémunération des médecins à des indicateurs de performance. Quelle est l’heure juste à ce sujet?Précisons d’emblée que le projet de loi indique plutôt que le supplément collectif est d’un maximum de 25% du service assuré; puis prenons un exemple concret. La rémunération de base d’un médecin, pour un trimestre, est de 80 000$. Sa rémunération potentielle est quant à elle de 100 000$. Le supplément collectif maximal associé à ces services assurés est donc, au maximum, de 20 000$ (jusqu’à 25% du 80 000$).Or, le projet de loi 106 prévoit que le supplément collectif versé varie entre 10% et 25% de la rémunération. Ainsi, 10% de la rémunération de base de 80 000$ sera versé sans égard aux cibles atteintes, représentant un supplément collectif de 8000$ qui sera versé à la collectivité médicale (10% de 80 000$). S’il le juge à propos, un groupe de médecins pourra ainsi décider de donner une prime au collègue qui œuvre en heures défavorables (ex: une clinique le dimanche dans un GMF; une chirurgie élective réalisée en dehors des heures normales) ou selon un autre incitatif jugé utile. Le montant restant, soit jusqu’à 12 000$ sur 100 000$, sera versé selon l’atteinte des cibles d’accès. Cela signifie que le montant véritablement impacté par l’atteinte ou non des cibles d’accès est de 12% de la rémunération potentielle.Donc, pour un médecin avec une rémunération de base de 80 000$ dans un trimestre, le supplément collectif versé variera entre 8000$ et 20 000$, pour une rémunération totale entre 88 000$ et 100 000$. Je le répète: ce modèle vise à instaurer un effort collectif afin d’assurer une meilleure prise en charge de la population et un meilleur accès aux services médicaux spécialisés.Lire aussi: Legault tend la main aux médecins, mais leur demande de démontrer de l’ouvertureDe quelle nature seront les indicateurs de performance auquel une partie de la rémunération des médecins sera liée? Et s’agira-t-il de cibles collectives ou individuelles?Le projet de loi prévoit que les indicateurs doivent être des indicateurs d’accès. De plus, il prévoit que les cibles doivent être collectives et non individuelles. Ces objectifs peuvent être nationaux, territoriaux ou locaux. Rappelons aussi que le projet de loi prévoit l’obligation de consulter les parties prenantes concernées par les objectifs et que les cibles feront l’objet de discussions avec les fédérations médicales avant d’être définies par règlement.Évidemment, des travaux sont en cours afin de s’assurer que les indicateurs soient réalistes. Il est prématuré de dire lesquels seront retenus. Répétons également que le supplément collectif s’ajoute à la rémunération des médecins prévue par les ententes négociées. Ce n’est pas qu’une récompense pour le rendement des collectivités médicales, c’est aussi un moyen financier mis à la disposition des médecins pour se donner des leviers afin d’atteindre les objectifs fixés. Les médecins dans une collectivité pourront déterminer des règles de fonctionnement et de versement qui pourront tenir compte de divers facteurs comme les années de pratique. Ce qui est intéressant avec le supplément collectif, c’est que chaque collectivité médicale peut déterminer la manière de distribuer les sommes en fonction de leurs réalités, de leur besoin, de leur territoire.En confiant la responsabilité aux médecins de décider eux-mêmes comment répartir les fonds alloués tant pour la capitation que pour les incitatifs collectifs, le projet de loi traduit clairement notre intention de décentraliser les décisions et de redonner plus d’autonomie aux médecins et, par extension, aux milieux par le leadership médical.En commission parlementaire, plusieurs experts et chercheurs ont exprimé des réserves sur la nature des indicateurs de performance envisagés en regrettant qu’ils soient essentiellement quantitatifs. Allez-vous leur ajouter une dimension qualitative?J’ai eu la chance d’être assis à côté de Christian Dubé durant l’examen du projet de loi 15. J’ai vu un ministre qui était à l’écoute et qui, suite au dépôt de son projet de loi initial, y a apporté quantité d’amendements. Ce printemps, il a de nouveau fait preuve d’une écoute active. Des discussions vont avoir lieu cet été, il va recevoir les conseils puis il décidera s’il est opportun ou non de s’ouvrir à des indicateurs autres que ceux qui ont été proposés initialement. C’est à ça que ça sert l’exercice parlementaire, à écouter les différents groupes et entendre les questions des députés de l’opposition lors de l’étude du projet de loi article par article. Mais vous, quel est votre avis personnel? Doit-on introduire une dimension qualitative dans les cibles d’accès à atteindre?Pour éviter un outrage au Parlement, je ne me prononcerai pas sur les recommandations que j’ai ou que je n’aurai pas face à cela. Vous comprenez que j’ai un certain devoir de réserve là-dessus. J’ai entendu ce qui a été dit, puis j’ai échangé avec les experts.Lire aussi: Projet de loi 106: tous les mémoires et les auditionsAutre aspect qui préoccupe les médecins: les codes de vulnérabilité définis par l’INESSS vont-ils être conservés pour déterminer la rémunération par capitation des médecins de famille?D’entrée de jeu, rappelons qu’en aucun cas, il est prévu de définir l’accès d’un patient en fonction de sa cote de vulnérabilité. La vulnérabilité d’un patient sert uniquement à définir la rémunération du milieu auquel il est affilié, à évaluer les besoins de la population et à planifier les ressources pour répondre à ces besoins.Actuellement, la rémunération des médecins de première ligne est partiellement déterminée en fonction de la vulnérabilité des patients selon une entente particulière. Les patients sont classés en différents groupes de vulnérabilité en fonction du nombre de catégories de problèmes de santé identifiées. Ces catégories ont été négociées avec la FMOQ [Fédération des médecins omnipraticiens du Québec]. Il y en a présentement quatre qui visent plus de vingt problèmes de santé allant de la santé mentale aux problèmes cardiaques, en passant par le cancer ou le diabète. Lors de l’inscription d’un patient, le médecin identifie, s’il y a lieu, une ou plusieurs catégories. Il peut, en tout temps, identifier une nouvelle catégorie pour un patient déjà inscrit ou modifier une catégorie existante. Et il doit aviser la RAMQ au plus tard 90 jours suivant l’examen au cours duquel le problème est identifié ou modifié. Pour le versement des forfaits de prise en charge, l’évaluation se fait annuellement. Le patient doit être considéré comme un patient vulnérable actif au 1er janvier de l’année d’application en cause, c’est-à-dire au 1er janvier de l’année du versement du forfait annuel. Est considéré comme vulnérable actif, le patient qui a rencontré son médecin au cours des 12 mois précédents.Le projet de loi prévoit plutôt que la capitation soit modulée en fonction des critères de vulnérabilité selon la méthodologie Grouper (rouge, orange, jaune et vert) utilisée par l’INESSS, qui utilise diverses bases de données, dont les données hospitalières et les diagnostics fournis par les médecins, pour établir la vulnérabilité. Le PL 106 offre par ailleurs de la souplesse permettant d’adapter, au besoin, le système de classification afin de refléter au mieux possible la vulnérabilité réelle de l’usager. Cette segmentation permettra d’évaluer les besoins de la population et de planifier les ressources pour répondre à ces besoins. De plus, il est prévu de tenir compte de la segmentation de la population pour déterminer les tarifs de rémunération médicale (pour la portion capitation). Selon le PL 106, il est prévu que la RAMQ détermine annuellement le niveau de vulnérabilité d’une personne assurée, entre autres à partir des diagnostics inscrits aux relevés d’honoraires. Cette mise à jour annuelle fera l’objet de discussions.Lire aussi: Projet de loi 106: les médecins confrontent Dubé en commission parlementaireQue répondez-vous aux médecins qui affirment que le PL 106 porte atteinte à leur liberté professionnelle dans le sens où il influence leur exercice, en leur indiquant par exemple quels patients privilégier?Le projet de loi ne remplace en aucun cas le jugement clinique et la décision du professionnel de la santé. Peu importe les recommandations du système de référencement, le jugement clinique du professionnel reste prépondérant. Si un médecin estime qu’un patient doit faire l’objet d’un suivi régulier, il peut et doit le faire! Rappelons que de nombreux patients vulnérables ne sont actuellement pas pris en charge et qu’il importe de remédier collectivement à cette situation.Le PL 106 ne comporte aucune interdiction d’inscrire individuellement un patient, peu importe sa couleur de vulnérabilité. Par ailleurs, c’est la condition clinique du patient qui justifie l’accès au professionnel, et non sa couleur. En clair, ce n’est pas le statut rouge, orange, jaune ou vert qui fait en sorte que l’on consulte, ou non, un médecin; c’est le besoin clinique du patient qui est à la base de tout.J’insiste: la méthodologie Grouper permet de classifier les personnes selon leur profil de santé, et l’utilisation de cette segmentation ne sert qu’à évaluer les besoins de la population afin de planifier les ressources et de moduler les tarifs de la rémunération médicale pour la portion de la capitation. Le projet de loi 106 ne vise que les médecins. Ces derniers sont-ils les seuls responsables de l’accès? Autrement dit, quelle sera l’imputabilité des autres professionnels de la santé qui concourent à l’accessibilité? Par exemple, les infirmières praticiennes spécialisées (IPS) vont-elles aussi devoir atteindre des cibles de performance?Le fait de dire que les médecins ont une responsabilité populationnelle n’implique pas que les autres professionnels soient dégagés d’une telle responsabilité. Cette responsabilité de prendre en charge l’ensemble des besoins de santé et de services sociaux de la population repose sur l’ensemble des professionnels de la santé. J’ajoute que la responsabilité populationnelle incite et encourage les médecins à travailler en collaboration entre eux et avec d’autres professionnels de la santé, optimisant ainsi les ressources existantes et améliorant la performance globale du système de santé. Il est à noter que les patients qui sont actuellement inscrits collectivement resteront affiliés au milieu où ils sont présentement inscrits et les inscrits individuels demeureront associés à leur médecin.Concernant les IPS, leur contribution dans les services de proximité n’a fait qu’augmenter depuis leur arrivée en 2009 et leur apport constitue l’une des clés pour garantir à la population un meilleur accès à des services de santé en première ligne. La lettre d’entente LE389 entre le MSSS et la FMOQ, entrée en vigueur le 1er novembre 2024, contient ainsi diverses modalités relatives aux services attendus d’une IPS au sein d’une clinique médicale ou d’un CLSC.De plus, dans la version 2025 du programme de financement pour les GMF, les établissements sont invités à demeurer agiles dans l’utilisation du soutien financier qu’ils allouent aux ressources cliniques. Avec la collaboration du GMF, ils peuvent par exemple procéder à l’embauche d’autres professionnels du réseau de la santé. Le MSSS peut également autoriser le GMF à embaucher lui-même des ressources professionnelles hors établissement afin de remplacer temporairement un professionnel absent.Évidemment plusieurs professionnels de la santé sont des travailleurs salariés, dont les conditions de travail sont déterminées par les conventions collectives. Elles ne sont donc pas régies par la Loi sur l’assurance maladie, qui est la principale loi que vient modifier PL 106.Lire aussi: Lettre d’une profession au bord de la ruptureDans quelle mesure le PL 106 va-t-il favoriser la pertinence des soins à travers l’interdisciplinarité et la délégation aux autres professionnels de la santé de la première ligne?C’est le besoin clinique du patient qui déterminera l’accès dont il pourra bénéficier au sein de son milieu de soins et non son statut d’inscription ou sa couleur de vulnérabilité. Le milieu de soins aura la responsabilité d’organiser son offre de service, en collaboration avec l’ensemble des prestataires du territoire, afin de répondre aux besoins de sa patientèle affiliée. Un patient plus vulnérable sera de plus associé à un professionnel principal responsable d’assurer la coordination et la continuité des soins et des services, de même qu’un suivi longitudinal.Par ailleurs, pour que la rémunération ne soit pas une entrave à l’interdisciplinarité et à la délégation aux autres professionnels, on doit souligner que l’article 13 du PL 106 accorde le droit au médecin, en ce qui concerne la rémunération par capitation pour la prise en charge d’une personne assurée, d’être rémunéré «même s’il n’a pas fourni lui-même le service assuré».Pour finir, quelles sont les prochaines étapes à franchir avant que le PL 106 soit adopté?La première étape a été complétée au printemps avec l’étude du projet de loi en commission parlementaire. Avant de proposer des amendements ou pas, les discussions et les échanges vont se poursuivre avec les différents groupes, que ce soit les fédérations médicales, les experts, etc. À la lecture des mémoires qui ont été déposés, le ministre veut approfondir certains aspects. Il a demandé à ce qu’on améliore sa connaissance. À la rentrée, le projet de loi suivra le processus parlementaire habituel, avec son étude article par article.À travers tout ça, il faut se rappeler que ce projet de loi – et je pense que c’est un élément qui ne ressort pas suffisamment – est nécessaire. Il n’y a pas beaucoup de gens aujourd’hui qui disent que le mode actuel de rémunération des médecins, en l’absence de capitation, est compatible avec la médecine que l’on veut pour la première ligne en 2025. Les médecins eux-mêmes disent que la rémunération à l’acte n’est pas mauvaise en soi, mais qu’elle a atteint sa limite. Si on veut introduire d’autres modes de rémunération, plus compatibles avec la façon collective de soigner en 2025, il faut nécessairement procéder à des changements législatifs.

Projet de loi 106: «Le vif émoi des médecins est tout à fait normal»

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