Projet de loi 106: la FMSQ est «excessivement déçue»

Quarante-huit heures après le point de presse durant lequel Christian Dubé a reproché aux deux fédérations médicales de bloquer les négociations concernant leurs ententes-cadres, la Fédération des médecins spécialistes du Québec (FMSQ) se dit heurtée par ce qu’elle qualifie d’allégations trompeuses. Au cœur du litige: le projet de loi 106, qui prévoit de conditionner jusqu’à 25% de la rémunération des spécialistes à l’atteinte de cibles de performance. La FMSQ dénonce une approche «pénalisante» alors que, selon elle, les moyens nécessaires pour réduire les listes d’attente – personnel, salles d’opération, ressources administratives – ne sont pas au rendez-vous. Dans ce contexte tendu, sa vice-présidente, la Dre Corinne Leclercq, réagit aux propos du ministre.Avec un peu de recul, comment percevez-vous le point presse tenu par Christian Dubé mardi au sujet du projet de loi 106?Dre Corinne Leclercq: On a été quand même assez surpris et très déçus. C’est une déception par rapport aux allégations du ministre selon lesquelles, entre autres, la Fédération des médecins spécialistes du Québec n’était pas présente à la table des négociations. Je ne sais pas où lui était tout cet été, mais moi, je peux vous dire que j’étais présente à la table de négo avec le Conseil du trésor à un rythme quand même assez soutenu d’une à deux rencontres par semaine. On a essayé de trouver des pistes de solutions et on avait l’impression d’avoir proposé des idées qui auraient pu être intéressantes pour les deux parties concernant le plan de rattrapage des chirurgies en attente ou la liste d’attente des consultations en spécialité. On avait réussi à explorer le tout avec nos propres objectifs et les leurs aussi. On attendait leur retour et ce qu’on s’est fait répondre, c’est que le ministre veut aller de l’avant avec le PL 106. La FMSQ demande le retrait de ce projet de loi alors que Christian Dubé a clairement annoncé mardi qu’il ne l’abandonnerait pas. Quelle issue voyez-vous à cette impasse qui se profile?On ne comprend pas pourquoi le ministre s’entête. Il fait vraiment une fixation sur ce projet de loi. Pour nous, l’impasse, c’est d’une part les pénalités qu’il souhaite mettre en place si les cibles qu’il veut fixer ne sont pas atteintes. Et d’autre part, c’est de nous demander de travailler à un rythme soutenu afin de réduire les listes d’attente. Le problème reste qu’on ne nous donne pas les moyens d’atteindre cet objectif. Le ministre Dubé ne s’engage pas à ce sujet et cette impunité ne peut pas être à sens unique. Le plan de rattrapage en chirurgie qu’il est supposé mettre en œuvre est un raté monumental. L’argent est là, les médecins spécialistes sont au rendez-vous, mais il manque toujours de personnel et de salles d’opération disponibles. Donc depuis deux ans, ça ne fonctionne pas.Comme la FMOQ, demandez-vous un arbitrage pour sortir de cette impasse?Tout à fait, c'est une des solutions. On réclame un arbitrage comme cela existe dans toutes les autres provinces au Canada. Nous sommes la seule où ce n’est pas possible.Jusqu’ici, Christian Dubé a refusé cette solution. En réponse, la Fédération a annoncé vouloir accroître ses moyens de pression. Lesquels envisagez-vous?Effectivement, nous avons convoqué la conférence des présidents qui se réunira la semaine prochaine. Nous allons discuter des moyens de pression que nous mettrons en place. Jusqu’à maintenant, ils étaient quand même assez doux. C’est clair qu’ils vont être plus soutenus.Christian Dubé a accusé la FMSQ d’avoir demandé à ses membres de ne pas participer à la mise en œuvre du dossier de santé numérique (DSN) et donc de «saboter un projet aussi majeur». Pourquoi avoir choisi ce moyen de pression-là?On vise en fait les réunions médico-administratives, parmi lesquelles on discute entre autres du DSN. D’un côté, le ministre Dubé nous demande d’accélérer la cadence, de voir de plus en plus de patients, de diminuer les listes d’attente. Et c’est effectivement ce que nous faisons. Mais tout ce qui relève du médico-administratif doit se faire en dehors des heures ouvrables. Parce que lorsqu’on a des formations qui durent entre sept et huit heures par jour pour les médecins, à chaque fois ce sont des journées en moins où l’on peut voir des patients.À lire aussi: Projet de loi 106: «Le vif émoi des médecins est tout à fait normal»Les enjeux majeurs du projet de loi 106 semblent entourer les cibles de performance que Christian Dubé souhaite assigner aux médecins spécialistes. La FMSQ est-elle prête à négocier ces cibles ou s’y oppose-t-elle par principe? Vous avez raison, il y a plusieurs enjeux concernant les cibles. On ne peut pas être contre la vertu. On veut soigner des patients et qu’ils aient accès à la médecine spécialisée. On souhaite que le gouvernement et le ministre soient imputables des moyens qu’il nous donne pour atteindre ces cibles. Comme journaliste, on ne peut pas vous demander d’écrire plus d’articles et que votre rémunération soit associée à cet objectif en vous disant: «Je ne suis pas sûr que la connexion Internet va marcher. Peut-être que votre ordinateur va être plein ou pas. Mais débrouillez-vous pour atteindre vos cibles de production d’articles.» C’est le même principe pour nous. Si je n’ai pas plus accès aux salles d’opération, si je ne peux pas avoir des heures supplémentaires de clinique, parce qu’il manque d’infirmières ou d’agentes administratives pour donner les rendez-vous, accueillir les patients, comment voulez-vous qu’on fasse pour diminuer toutes ces listes d’attente?Le fait que le ministre veuille lier une partie de la rémunération des médecins spécialistes constitue-t-il, pour la FMSQ, un point de crispation dans la négociation?C’est un enjeu de négociation dans la mesure où on retranche 25% de notre salaire. Mais si on atteint les cibles, sans nous en donner les moyens, on va toucher 100% de notre salaire. Il n’y a pas une entreprise privée qui accepterait de fonctionner comme telle.Sur le principe, pourriez-vous transiger avec le gouvernement au sujet des cibles? Et si oui, quelle serait la nature des cibles que vous accepteriez?On n’est pas contre le fait d’avoir des cibles. Une nouvelle fois, il faut juste qu’on nous donne les moyens de les atteindre. Par exemple, les frais de cabinet demandés aux spécialistes quand ils consultent en clinique externe parce qu’il n’y a pas plus de place dans les hôpitaux. Ces frais-là ont beaucoup augmenté, alors que la compensation reçue par les spécialistes n’a même pas suivi l’inflation. On demande au gouvernement de nous aider et en contrepartie, on va augmenter la cadence pour voir plus de patients. Je pense qu’on doit trouver des solutions de part et d’autre.À lire aussi: «Si le projet de loi 106 est accepté, la FMOQ va le contester»L’autre question épineuse, c’est l’enveloppe budgétaire allouée aux spécialistes, actuellement de 5 milliards de dollars. La FMSQ demande son rehaussement tandis que Christian Dubé refuse fermement de l’augmenter. N’est-ce pas là le point crucial des négociations? Dans toute négociation, il y a forcément un plan financier qui vient avec. Comme notre président Vincent Oliva l’a déjà dit, on demande le même traitement qui a été accordé au reste du personnel du réseau de la santé. Depuis 2015, nous n’avons eu aucune augmentation ni aucun rattrapage par rapport à l’inflation. C’est sûr que l’on veut discuter de cela.Dans le document que le ministère de la Santé a dévoilé mardi, il est mentionné que le «gouvernement veut rééquilibrer la rémunération entre les spécialités, selon les besoins réels du système de santé et pour rétablir certaines iniquités» concernant les spécialités à dominante féminine. Trouvez-vous normal que le gouvernement se préoccupe de cet enjeu?Le ministre Dubé s’en soucie, mais nous, ça fait plus de deux ans et demi qu’on travaille là-dessus. Des experts ont été mandatés. Des études ont été faites. Et on est en train de finaliser ce travail qu’on appelle la VRA, la valeur relative de l’acte, dont le but est justement de diminuer les iniquités entre nos 36 associations et éventuellement entre hommes et femmes. La plupart des médecins spécialistes sont rémunérés à l’acte et les actes ne sont pas genrés. Cela dit, c’est sûr qu’on veut rétablir l’équilibre.Pour conclure, comment voyez-vous les choses dans les prochaines semaines? Allez-vous retourner à la table des négociations?On va attendre de voir jusqu’à quel point le gouvernement va tendre la main ou pas. Nous, on a toujours dit qu’on serait présent. On l’a été tout l’été, mais on attendait un retour plus favorable. Parce que là, on retourne à la case départ. On se retrouve au même point que lors du dépôt du projet de loi début mai. Donc on est excessivement déçus, vraiment.

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