Pour promouvoir la vaccination, miser sur l’émotion plutôt que la science

Montrer les conséquences d’une maladie évitable par la vaccination chez un enfant qui pourrait être le vôtre… On dit parfois qu’une image vaut mille mots, et une nouvelle étude pourrait bien s’en faire l’écho. Des chercheurs de l’Université Laval révèlent en effet que pour convaincre les parents de faire vacciner leurs enfants, tirer sur la corde sensible serait plus efficace que d’avoir recours à des arguments rationnels liés aux données probantes.Pour parvenir à cette conclusion, l’équipe de l’anthropologue Ève Dubé, chercheuse au CHU de Québec-Université Laval, a sélectionné 2000 parents d’au moins un enfant de 5 ans ou moins, issus d’un panel pancanadien de 400 000 personnes, et leur a présenté au hasard l’un de ces trois récits sous forme de courtes vidéos:des parents de jeunes enfants expliquant pourquoi ils ont finalement décidé de les faire vacciner avec les vaccins recommandés de manière routinière après avoir d'abord refusé en raison d'informations négatives en ligne sur les vaccinsla mère d’un enfant handicapé parlant des conséquences d'une maladie évitable par la vaccination (MPV) (maladie à méningocoque du sérogroupe B) pour son fils et appelant à l'action pour la vaccinationle récit d'un pédiatre et spécialiste des maladies infectieuses de renommée publique sur des cas de MPV rencontrés dans son travailUne autre vidéo témoin, diffusée à tous les participants, montrait des pédiatres et des médecins de famille expliquant l’importance et les bienfaits de l’activité physique chez les enfants avec des images de parents et d’enfants physiquement actifs.Pour progresser dans le questionnaire, les parents ont été invités à fournir le prénom (réel ou fictif) de leur enfant de moins de 5 ans, qui a ensuite été utilisé pour personnaliser les éléments sur les attitudes et comportements parentaux concernant la vaccination. Les deux principales mesures de résultats étaient l'intention d'accepter les futurs vaccins de routine et les attitudes à l'égard des vaccins.À lire aussi: Le contexte, un outil essentiel pour éduquer nos patientsLors de l'enquête préalable, une majorité des répondants (86,6%) a indiqué avoir l'intention de suivre fidèlement le calendrier de vaccins de routine recommandé (excluant ainsi le vaccin contre la COVID-19). La plupart des participants avaient une attitude positive à l'égard de la vaccination des enfants et la plupart des enfants ont été vaccinés. Moins de 20% ont déclaré être très ou quelque peu hésitants ou craintifs à l'égard des vaccins.Les mesures pré-post révèlent un impact relativement modeste mais positif des récits sur les attitudes et l’intention des parents de vacciner leur(s) enfant(s). Les résultats suggèrent également que les récits à contenu plus émotionnel peuvent être plus efficaces pour influencer positivement les attitudes à l’égard des vaccins que les récits plus factuels, écrivent les auteurs de l’étude, publiée dans la revue Human Vaccines & Immunotherapeutics. L’utilisation de récits pour promouvoir la vaccination peut donc influencer positivement les opinions et les intentions des parents à l’égard des vaccins infantiles, mais des recherches sont encore nécessaires pour identifier les meilleurs composants de ces interventions.«Si on oppose la science à la crainte, ça ne fonctionnera pas»Des constats qui n’étonnent pas vraiment le professeur Arnaud Gagneur, médecin néonatalogiste au CIUSSS de l'Estrie et spécialiste de l’entretien motivationnel. «L’entretien motivationnel consiste à s'adapter à la réalité de la personne et de cheminer avec elle dans cette réalité. Évidemment, c'est initialement pour motiver le changement grâce aux propres ressources de la personne.» Cette intervention est au cœur du programme EMMIE (Entretien Motivationnel en Maternité pour l’Immunisation des Enfants), créé par le Pr Gagneur en 2018 et désormais implanté dans toutes les maternités de la province. L’entretien motivationnel se base en effet sur ces quatre principes:le partenariat avec la personnel’empathiela motivation vers un cheminement décisionnell’absence de jugement Cette approche est d’autant plus importante sur un sujet aussi sensible que la vaccination, affirme le médecin. «La vaccination est une mesure préventive, c’est difficile de se motiver face à un danger hypothétique. Et puis les maladies concernées ne sont pas visibles, surtout chez les enfants, comme la diphtérie, la poliomyélite…» Un autre paramètre crucial est à prendre en compte: la révolution sociétale qu’incarnent les médias sociaux. «On a une surdose d’information qui se transforme en désinformation. Et une personne qui ne sait pas ou qui a un peu peur peut vite être submergée.» À lire aussi: Vos patients comprennent-ils les informations que vous leur donnez?Et selon le Pr Gagneur, on ne soigne pas la peur par la science. «Si on oppose la science aux émotions, ça ne fonctionnera pas. Quand j’ai commencé les entretiens motivationnels, toutes les études montraient que donner de l’information ne fonctionnait pas. Mais moi, j’étais convaincu que c’est parce qu’on ne la donnait pas comme il faut, sans répondre aux besoins de la personne.» Il explique qu’une fois que la personne a été entendue et a pu s’exprimer sans crainte d’être jugée, elle baisse la garde et est beaucoup plus réceptive à l’information. «Il est plus facile pour un professionnel d’aborder l’hésitation vaccinale quand on est dans une collaboration avec le patient, pas dans un conflit.»Rendre l’approche systématiqueMais est-il possible d’appliquer une telle approche à des campagnes de santé publique ponctuelles et à large échelle, comme le proposent les chercheurs de l’Université Laval dans leur étude? «Actuellement, les campagnes sont encore basées sur des principes de marketing. Je ne sais pas si c’est la meilleure solution. Il ne faut pas donner envie à quelqu’un d’acheter quelque chose. Pour moi, on ne peut pas aller sur ces ressorts pour motiver les gens à se faire vacciner», observe le Pr Gagneur. S’il reconnaît que les messages scientifiques ne sont pas les meilleurs slogans pour motiver le grand public, un contenu davantage tourné vers l’émotion n’aura pas selon lui un plus grand impact sur le processus décisionnel dans un contexte de campagne de santé publique. C’est pourquoi il appelle à systématiser l’approche EMMIE auprès de tous les jeunes parents – une stratégie partagée par le Comité d’immunisation du Québec. «Des conseillers en vaccination formés à l’entretien motivationnel vont rencontrer les parents pendant 10 à 15 minutes, et répondre à leurs questions. Nos études ont démontré que cela permettait d’augmenter significativement la couverture vaccinale des jeunes enfants», souligne le néonatalogiste. C'est surtout une approche individuelle qui aura un impact populationnel, selon lui. «En dix ou quinze ans, nous aurons rencontré tous les parents au Québec. C’est un travail de l'ombre et de longue haleine qui aura plus d’impact que des campagnes ponctuelles.»Actuellement, on dénombre environ 200 conseillers en vaccination dans la province. S’il s’agit principalement d’infirmières, les effectifs incluent aussi des physiothérapeutes, des nutritionnistes ou encore des travailleurs sociaux, tous exerçant en maternité. «Toute personne qui a une formation scientifique peut appliquer», rappelle Arnaud Gagneur. Ce dernier a par ailleurs développé une formation spécifique sur les entretiens motivationnels et l’hésitation vaccinale, destinée aux professionnels de la santé. Elle devrait être disponible en ligne au printemps 2025.

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