Pénurie, remplaçants, bruit… Quels sont vos irritants en pharmacie?

Alors que le champ de pratique des pharmaciens québécois est en passe d'être considérablement élargi grâce au PL67 – dont les consultations particulières ont eu lieu mi-septembre –, toutes les conditions sont-elles réunies pour accueillir davantage de patients et fournir davantage d'actes cliniques et de suivis? Rien n'est moins sûr, à en croire la dernière enquête de l’Association professionnelle des pharmaciens salariés du Québec (APPSQ) dévoilée cet été par Profession Santé. Entre surcharge de travail, environnements peu optimaux et manque de communication avec les pharmaciens propriétaires, les pharmaciens salariés exprimaient ainsi plusieurs réserves. Si les changements apportés par le gouvernement restent globalement très bien accueillis par la profession, des pharmaciens rencontrés lors du Congrès 2024 de l'APPSQ nous ont fait part des quelques grains de sable restant dans leurs souliers. La pénurie en région éloignéeNancy Kahi, pharmacienne salariée au Jean-Coutu de New Richmond en Gaspésie. Il nous manque un pharmacien pour compléter notre équipe. Actuellement, nous ne sommes que trois en comptant le pharmacien propriétaire. Je suis en poste depuis un an et demi, et il était déjà à la recherche d’une autre personne! C’est compliqué pour moi de prendre le temps et de bien réaliser toutes les tâches et les suivis dans ces conditions. Nous avons beaucoup de personnes âgées et de patients orphelins qui nécessitent un suivi et une prise en charge, car plusieurs médecins de famille ont pris leur retraite. Les autres pharmacies de la région sont aussi en recherche de pharmaciens. Mais nous sommes en région éloignée, donc c’est moins attractif. Alors que la pratique en région présente beaucoup d’avantages! Notre pharmacien propriétaire est ouvert à faire le nécessaire pour un pharmacien qui voudrait venir s’installer ici, en termes de logement, de salaire, d'équilibre travail-famille.Nous avons beaucoup plus de pharmaciens remplaçants, qui sont donc de passage, alors que les patients veulent retrouver des visages connus, des interlocuteurs réguliers, qui connaissent leur dossier. Ça rend la prise en charge moins efficace, et ça me met aussi davantage de pression puisque, en tant que pharmacienne permanente, c’est moi qui vais aller répondre à ces patients. Mais heureusement, nous sommes en train de former des techniciennes pour renforcer l'équipe. Le bruitTri Minh Do – pharmacienne salariée à LongueuilL'organisation de nombreuses pharmacies de grandes bannières comme celle où je pratique restent centrées sur le commercial, et moins sur le clinique. Il y a donc beaucoup de bruit, de va-et-vient, de musique… C’est vraiment irritant, nous avons besoin d’un endroit calme pour recevoir et discuter avec les gens. Parfois, je ne suis même pas capable de parler au patient, car on ne s’entend pas! On ne devrait plus avoir ce genre de problème en 2024. Plus largement, tout est lié à l’infrastructure et à l'organisation de la pharmacie, qui n'est pas optimale. Pour effectuer des suivis et des consultations plus efficaces, ils nous faudrait un bureau de consultation, un espace séparé. Aujourd'hui, nous faisons la majorité de nos consultations sur la chaîne de travail. Les gens sont prêts à en faire davantage, mais pas les infrastructures. À lire aussi: Le travail en officine, petits gestes et gros inconfortsTrop de pharmaciens remplaçantsCharlotte Pelchat White, pharmacienne salariée à l’Uniprix de Mascouche Actuellement, mon principal irritant est [le recours trop grand] aux remplaçants. J'ai à cœur mes patients, ils ont le droit de voir un visage familier, c'est mieux pour leur traitement, on le sait. Je ne dis pas que les pharmaciens remplaçants ne sont pas capables de faire leur travail comme il faut, j’ai confiance en leurs compétences! Mais je trouve qu’en termes de relation avec le patient, pour leur montrer qu'on veut assurer de meilleurs suivis, c’est difficile. C'est dur d'être cohérent quand il y a toujours quelqu'un de différent derrière le comptoir. Ne serait-ce que dans nos façons de documenter, on essaie de standardiser, mais on ne peut pas enseigner à quelqu’un notre manière de fonctionner en deux minutes.Énormément de pharmaciens s’en vont vers le remplacement, c’est non seulement irritant mais aussi une tendance inquiétante pour la profession. Nous avons la problématique du manque de pharmaciens, mais je suis aussi dans un milieu un peu particulier avec beaucoup de congés de maternité. Reste que c’est difficile d’embaucher, et le remplacement devient tellement alléchant qu’on dirait que certains mettent de côté certaines valeurs au profit de l’intérêt financier.L’impatience du publicLouis*, pharmacien salarié et remplaçantPour moi, le principal irritant est l’obligation de fournir un service rapide et de gérer les attentes. Les patients qui se présentent sur place veulent avoir un service immédiat. On m’a d’ailleurs raconté une blague à ce sujet: un patient vient à la pharmacie et demande au pharmacien, «ça va être long pour avoir mon médicament?» Le pharmacien lui répond alors: «non monsieur, ici on est rapides et dangereux!» Je trouve que c’est assez parlant, dans le sens où il faut arrêter de mettre une pression sur les pharmaciens. À lire aussi: 3 raisons pour lesquelles les pharmaciens devraient rayer le mot «gratuit» de leur vocabulaireLes patients doivent comprendre que c’est correct de devoir attendre un petit peu plus longtemps en pharmacie ou de prévoir un 24h pour la préparation des médicaments. Ça va faciliter les choses et nous permettre de donner de meilleurs soins. Les nouveaux actes des pharmaciens pourraient créer de nouvelles attentes chez les patients, et augmenter le temps d'attente en pharmacie. Le problème, c’est d’arriver à bien intégrer ces actes dans les chaînes de travail, mais ce n’est pas encore le cas. Toutes les pharmacies n’ont même pas encore optimisé leur organisation par rapport aux lois 31 et 41. Mais bon, je ne pense pas qu’il faille attendre que tout soit optimisé pour ajouter de nouveaux actes, il faut simplement s’assurer de trouver un équilibre. Cela va aussi passer par une bonne communication auprès du public. Les pharmaciens ne peuvent pas tout faire. Et pour vous, quelles sont les principales sources de mécontentement ou d'agacement dans votre pratique au quotidien? Exprimez-vous en commentaires.*Le prénom a été modifié à la demande de l'intéressé

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