Patients partenaires: du modèle de Montréal au modèle du Québec

«Peut-on vraiment améliorer la qualité des soins sans écouter ceux qui les reçoivent?» La question peut sembler rhétorique. Pourtant, il y a quinze ans, l’idée que les patients puissent être considérés comme de véritables partenaires demeurait marginale. C’est à Montréal qu’a émergé un modèle aujourd’hui reconnu à l’échelle internationale: celui du partenariat avec les patients. «On aurait pu penser que c’était une mode, mais dix ans plus tard, le partenariat s’est intégré à tous les niveaux du système», constate la Dre Marie-Pascale Pomey, codirectrice scientifique du Centre d’excellence sur le partenariat avec les patients et le public (CEPPP) du Centre hospitalier universitaire de montréal (CHUM).Ce modèle dit de Montréal se distingue par une approche intégrée. «Ce qui est hyper novateur, explique la médecin spécialisée en santé publique, c’est d’avoir pensé un changement de culture capable de mobiliser tous les leviers à la fois.» Dans l’article qu’elle cosigne dans le Patient Experience Journal, les auteurs dressent le bilan de dix années de mise en œuvre et rappellent les quatre principes fondateurs du modèle québécois: reconnaître le savoir vécu des personnes atteintes; leur rôle actif dans la gestion de leur santé; leur statut de membre à part entière des équipes; et leur capacité à prendre des décisions pour elles-mêmes avec l’appui des proches et des professionnels.«C’est un modèle qui valorise des légitimités différentes: scientifique, professionnelle et expérientielle», souligne la Dre Pomey.D’une faculté à tout le réseauL’aventure commence en 2010 à la Faculté de médecine de l’Université de Montréal (UdeM), avec la création d’un bureau de l’expérience patient codirigé par la Dre Paule Lebel et Vincent Dumez, lui-même patient partenaire. Leurs efforts visent d’abord la formation interprofessionnelle. En quelques années, plus de 250 patients partenaires sont intégrés aux cours de sciences de la santé.Puis le mouvement s’étend. Les trois autres facultés de médecine du Québec emboîtent le pas. Le référentiel national CANMEDS inclut le partenariat comme compétence médicale centrale. Dans les établissements de santé, des bureaux du partenariat apparaissent dès 2015. «Aujourd’hui, les jeunes professionnels qui arrivent sur le terrain ont été formés au partenariat. Ils ne sont plus des électrons libres isolés, mais une masse critique capable de transformer les pratiques», constate la Dre Pomey.La recherche soutient cette dynamique: création du CEPPP, lancement de l’Unité de soutien SSA Québec, mise en place de quatre chaires universitaires centrées sur le partenariat. Au niveau systémique, le Québec est devenu le seul endroit au monde à avoir déployé le partenariat simultanément dans les soins, la gouvernance, la recherche et l’enseignement.À lire aussi: Le patient partenaire: en sommes-nous là? (dossier publié en 2017)Des réussites tangiblesLes retombées sont concrètes. En oncologie, le programme PAROLE-Onco intègre des pairs accompagnateurs dans les trajectoires de soins. Les évaluations montrent une diminution de l’anxiété des patients, une meilleure compréhension de la maladie et une implication accrue dans les décisions thérapeutiques. «Leur présence facilite aussi le travail des équipes en jouant un rôle de médiateur, précise la Dre Pomey.Dans les hôpitaux, les CISSS et les CIUSSS, des patients siègent aux comités de qualité et d’amélioration continue. Lors de la réforme ayant mené à la création de Santé Québec en 2024, ils ont même pris part aux groupes de travail du comité de transition. En santé publique, le ministère a confié à des citoyens partenaires la révision du plan national, ce qui a enrichi la définition des priorités. En santé jeunesse, les «Aires ouvertes» permettent à des adolescents et jeunes adultes d’influencer l’offre de services adaptée à leur réalité.Cette diffusion dépasse les frontières. L’approche québécoise inspire la France, la Belgique, la Suisse, la Suède ou encore l’Angleterre. «Ce qui frappe à l’étranger, c’est notre capacité à avoir agi simultanément sur la formation, la recherche, la clinique, l’organisation et les politiques publiques», note la Dre Pomey qui est souvent sollicitée pour présenter les tenants et aboutissants du modèle de Montréal.Derrière ces initiatives se profile une transformation en profondeur. «On est passé d’une approche plutôt paternaliste à une approche réellement centrée sur le patient», résume la professeure titulaire à l’École de santé publique de l’UdeM. La culture du réseau a évolué pour intégrer le réflexe du «Rien sur moi sans moi».Le modèle soutient une redistribution du pouvoir entre acteurs, tant pour aborder les enjeux cliniques que pour définir les priorités du système. En d’autres termes, l’expérience vécue n’est plus un simple témoignage; elle devient une ressource stratégique.À lire aussi: Remettre le patient au cœur du systèmeLes défis à releverLe tableau est flatteur, mais plusieurs obstacles demeurent. D’abord, l’absence de statut légal pour les patients partenaires. Contrairement aux comités d’usagers, leur rôle n’est pas reconnu dans la loi. Avec pour conséquences des difficultés d’assurabilité, de dédommagement et de rémunération. «Le projet de loi 15 aurait été une occasion unique de reconnaître le partenariat dans la loi. On espère que ce sera pour une prochaine fois», regrette la Dre Pomey.Autre enjeu: le recrutement et la rétention des patients partenaires. Certaines populations restent sous-représentées, notamment les jeunes, les personnes en emploi et les groupes issus de la diversité culturelle. «Il faut mettre à plat les mécanismes de compensation pour que la participation ne pénalise personne et permette de refléter toute la société», insiste la clinicienne-chercheuse.Les bureaux du partenariat, enfin, manquent de moyens. Un sondage mené en 2024 révélait un déficit de ressources humaines et financières, ainsi qu’une grande variabilité des pratiques d’une région à l’autre.Et demain?Malgré ces embûches, l’avenir s’écrit. Des recommandations ont été formulées: un plan d’action provincial 2025-2029, la création d’un comité stratégique du partenariat et la mise à jour du cadre de référence du ministère. La Dre Pomey identifie pour sa part trois priorités: «D’abord, sensibiliser Santé Québec à la co-construction des décisions. Ensuite, assurer la reconnaissance officielle du statut de patient partenaire. Enfin, continuer à valoriser le partenariat, parce que plus on rassemble de cerveaux et d’expériences autour de la table, plus on trouve des solutions efficaces.»Dix ans après sa naissance, le modèle de Montréal est littéralement devenu le modèle du Québec. En misant sur la complémentarité des savoirs, il a contribué à changer la culture des soins. Et si les défis de reconnaissance et d’équité persistent, cette expérience démontre qu’une révolution discrète, mais profonde, est possible.Référence:Pomey M, Wilhelmy C, Fournier-Tombs M, Dumez et coll. Partnership, Collaboration, and Co-Production to Improve Patient Experience Beyond Conducting Surveys – Lessons from the Quebec Model, Canada. Patient Experience Journal. 2025; 12(2):112-123. doi: 10.35680/2372-0247.2039.

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