L’ouverture du diagnostic en santé mentale réjouit les psychologues et inquiète les psychiatres

Lorsque l’on demande à la Dre Christine Grou, présidente de l’Ordre des psychologues du Québec, ce que va concrètement changer la nouvelle loi 67 –ouvrant le diagnostic en santé mentale à plusieurs catégories professionnelles dont les psychologues et les neuropsychologues – dans leur pratique, celle-ci répond «rien». «C’est un travail que nous faisons depuis 2012. Les conclusions cliniques de nos évaluations en troubles mentaux et neuropsychologiques sont des conclusions diagnostiques, puisqu’on porte un jugement sur la nature des troubles ou sur une dysfonction», précise-t-elle. Au-delà de clarifier le rôle et les compétences des psychologues et de redonner ses lettres de noblesse à la profession, la loi va toutefois changer beaucoup de choses pour le public, en rendant caduque l’exigence d’un certificat médical, souligne la Dre Grou. «Quand vous consultez un psychologue et qu'il évalue, par exemple, un trouble anxieux ou un trouble dépressif majeur, vous allez devoir trouver un médecin de famille puis attendre un rendez-vous afin d’obtenir une certification médicale en se basant sur le rapport du psychologue», résume la présidente de l’Ordre. Dans le cas des troubles déficitaires de l’attention par exemple, le fait de conférer le pouvoir de diagnostic aux neuropsychologues permettra d’accélérer l’accès à un accompagnement scolaire ou à des indemnisations. «L’exigence du certificat médical est une étape clinique et administrative inutile et coûteuse, à la fois pour l’État en termes financiers et pour les patients en termes de temps et d’énergie», observe la Dre Grou. Actuellement, près de la moitié des demandes de consultations chez les médecins de famille concernent des troubles mentaux courants selon elle. Le diagnostic ne suffit pasLibérer les médecins de famille pour améliorer l’accès, une finalité bienvenue pour la Fédération des médecins omnipraticiens (FMOQ), qui appelle toutefois à ne pas se limiter au seul diagnostic. «Le professionnel qui pose un diagnostic est responsable du suivi médical et du suivi administratif de la personne, sous réserve de la prise en charge subséquente par un autre professionnel», écrit ainsi la FMOQ dans son mémoire sur le PL67. Une évidence pour la présidente de l’Ordre, qui assure que les psychologues auront les capacités de réaliser les suivis en plus des diagnostics – puisque, là encore, ils le font déjà. «Quand un psychologue reçoit un patient, c’est très souvent pour un suivi. Donc ce ne sera pas un surplus de clientèle. Est-ce-que ça va régler tout le problème de l'accessibilité? Certainement pas, mais ça va beaucoup aider.»À lire aussi: La santé mentale au Canada serait «trois fois plus précaire» qu'avant la pandémieCe suivi est d’ailleurs l’une des principales préoccupations des psychiatres, qui demandent davantage de moyens pour assurer les plans de traitement et ainsi réduire les délais d’attente dans les GAP et les mécanismes d’accès en santé mentale (MASM). «L’accès aux soins représente un enjeu plus important que l’accès au diagnostic», observe la Dre Claire Gamache, présidente de l’Association des médecins psychiatres du Québec (AMPQ) auprès de Profession Santé. «Sans un plan de traitement ou une intervention appropriée, un diagnostic isolé n'apporte pas de bénéfices réels pour le patient, et ne garantit pas un meilleur accès à des services puisque ceux-ci sont déjà saturés.» Selon elle, l’élargissement de la capacité à diagnostiquer risque en outre de résulter en une perte nette de ressources qui pourraient être allouées au traitement du trouble mental. Une préoccupation que comprend et partage la Dre Grou. «Ce n’est pas parce qu’on a un diagnostic qu’on a accès au traitement. C’est pourquoi nous avons aussi soulevé l’enjeu de l’accessibilité aux services par la suite, et la possibilité de prescrire un arrêt ou un retour au travail pour des congés de maladie, mais aussi la possibilité de référer à un spécialiste dans le cas des troubles mentaux.» À consulter: La ligne d'aide en cas de crise de suicide a déjà reçu 300 000 appels et textosSur la question de la prescription, la ministre Sonia LeBel n’a pas fermé la porte, même si «rien n’est sur la table» pour l’instant selon la présidente de l’Ordre. «Notre système de soins est déjà sous pression, sans que les 8000 psychologues du Québec se mettent à prescrire. Je n’en vois pas du tout la nécessité ni la pertinence», assène de son côté la Dre Gamache.D’une même voix, les professionnels de la santé mentale appellent néanmoins à davantage d'interdisciplinarité et de collaboration entre les équipes. «Nous voulons améliorer l'accès à des services psychosociaux intégrés, qui ne reposent pas forcément sur un diagnostic mais sur les besoins de la personne, précise la présidente de l’AMPQ. Il serait plus pertinent de renforcer le travail interprofessionnel et d’améliorer la coordination entre psychiatres et autres professionnels de la santé mentale. Les psychologues et les psychiatres font un travail qui se complète. Pourquoi vouloir faire le même?» Ramener les psychologues dans le réseauPour accroître la prise en charge des troubles mentaux, encore faut-il que les professionnels habilités à poser des diagnostics soient eux-mêmes accessibles, et donc dans le réseau. Or, à l’image de bien d'autres professions, de plus en plus de psychologues et de neuropsychologues partent vers le privé – et l’hôpital attire de moins en moins de docteurs en psychologie, à cause des conditions de travail et des conditions salariales qui y sont proposées, déplore la Dre Grou. Sur 9200 psychologues inscrits à l’Ordre, environ 6000 sont en pratique clinique, traditionnellement répartis entre le privé pour les deux-tiers d’entre eux, et le service public pour le dernier tiers – la santé et l’éducation. Un tiers qui s’effrite peu à peu, observe la psychologue. «Cet exode vers le privé est l’un de nos chevaux de bataille, car l’accessibilité universelle, et donc gratuite, se fait via le réseau public. Quand il faut payer, ce n’est plus accessible à tout le monde.» Un enjeu qui préoccupe également les psychiatres, qui appellent à ramener les psychologues dans le réseau et à créer des corridors de soins avec les médecins de famille notamment. «En France par exemple, les médecins de famille peuvent prescrire de la psychothérapie, qui va être remboursée par l'Etat. Grâce à cette prescription, le patient va avoir six à huit séances en moyenne avec un psychologue», analyse la Dre Gamache.L'intérêt d'augmenter les effectifs dans le réseau public est réel, s'il est fait de manière équitable, en fonction des disparités régionales, et en incluant la première ligne. «Il faudrait penser aux cliniques de médecine familiale et aux CLSC, pour que les psychologues interviennent avant que les troubles mentaux ne deviennent plus complexes.» À lire aussi: La santé mentale au Canada serait «trois fois plus précaire» qu'avant la pandémie Par ailleurs, plus de professionnels habilités à poser des diagnostics pourrait mener à plus de risques de sur-diagnostics, ou à une potentielle hausse des révisions de ces diagnostics, craignent les psychiatres. «Si on a du sur-diagnostic, c’est parce qu’on diagnostique mal, leur répond la Dre Christine Grou. Or, les psychologues évaluent leur patient de façon globale, en faisant une histoire de cas. On ne pose un diagnostic que quand on a fait le tour de la question, en prenant le temps de le faire.» Une accessibilité compétenteLa question à poser est davantage celle de la compétence du professionnel qui posera le diagnostic selon elle. «Tous les psychologues ne vont pas nécessairement offrir un service diagnostic. Donc je ne pense pas qu’on aura plus de diagnostics.» Sur les quelque 8000 psychologues de la province, environ 5500 d’entre eux offrent des services d’évaluation des troubles mentaux. «On pourrait réfléchir à une délivrance de permis pour certains psychologues qui travaillent en santé mentale», propose la présidente de l'Ordre.La question des compétences adéquates pour poser un diagnostic a justement été soulevée par plusieurs professionnels lors du Congrès 2024 de l’Ordre des psychologues, qui s’est tenu les 28 et 29 novembre à Laval. Mais la Dre Grou se veut rassurante: les différents cliniciens à même de poser un diagnostic ne pourront pas le faire n’importe comment; elle plaide pour une accessibilité compétente. «Les psychologues peuvent diagnostiquer sans restriction ni attestation au regard de leurs exigences de formation, explique-t-elle. Les orthophonistes, par exemple, vont pouvoir diagnostiquer sans attestation mais avec restriction, uniquement les troubles d’apprentissage en lien avec le langage. Les conseillers d’orientation et les infirmières qui ne sont pas spécialisées en santé mentale devront obtenir une attestation.»À lire aussi: L'ISQ signale une hausse importante des troubles mentaux chez les jeunes du secondaireDes mesures insuffisantes, à en croire la Dre Claire Gamache, qui explique que les psychiatres se reposent sur leur formation très complète, en milieu hospitalier et avec les patients, ce qui les rend compétents pour poser des diagnostics différentiels. «Les psychologues vont dire qu'ils ont aussi dix ans de formation, mais on est beaucoup plus dans le développement de l'être humain, de la personnalité, et moins dans le contact avec la maladie mentale. Là, on parle de diagnostiquer des maladies.»Alors que l’entrée en vigueur de la nouvelle loi 67 est conditionnée à l’écriture des règlements qui l’encadrent, tout est désormais entre les mains du législateur, conclut la Dre Grou. «On veut collectivement élargir l’accès, mais on veut que cet accès demeure protégé, tout comme la population. Je pense que Mme Lebel a le courage de ses convictions et est capable d'agir rapidement, avec prudence et réflexion.»

L’ouverture du diagnostic en santé mentale réjouit les psychologues et inquiète les psychiatres

Pour accéder au contenu, connectez-vous ou créez un compte gratuit.

Catégories connexes