L'obésité: au-delà des gènes, reprendre le contrôle

Un article de La Presse publié en mai 2025 traite de notre déresponsabilisation croissante face à notre propre santé en général. Cette inquiétante tendance collective s'applique particulièrement à la gestion de l'excès de poids. Plutôt que de s'attaquer aux causes, nous nous tournons vers des solutions rapides, souvent pharmacologiques.Cette attitude passive trouve un terreau fertile dans un discours fataliste qui gagne du terrain. «Soixante-dix pour cent de notre poids corporel est expliqué par notre génétique», affirmait récemment une endocrinologue lors d'un reportage à Radio-Canada. Un message qui risque de décourager bien des personnes désireuses d'éviter de prendre un excès de poids ou de retrouver un poids santé.Épidémie que la génétique seule ne peut expliquerCette explication génétique se heurte à une réalité troublante: l'explosion récente de l'obésité. Un article récent sur Profession Santé mentionnait ceci: «208 millions d'Américains sont obèses ou en surpoids selon une nouvelle étude. En 1990, ces proportions étaient deux fois moindres. Si aucune mesure n'est prise, la tendance va s'aggraver: d'ici à 2050, plus de 80% des adultes et près de 60% des adolescents américains seront en surpoids ou obèses.»Selon une publication de l'Institut de la Statistique du Québec, la proportion de personnes obèses au Québec a plus que doublé depuis 1990, atteignant maintenant plus de 27% de la population. Cette progression foudroyante se répète partout sur la planète, touchant des populations aux bagages génétiques pourtant très différents.Si nos gènes déterminent vraiment 70% de notre poids corporel, comment expliquer une telle transformation? Nos profils génétiques n'ont pas changé en trois décennies. La réponse réside dans un concept fondamental souvent négligé: l'interaction dynamique entre nos gènes et notre «environnement».Interaction gène-environnementNos gènes ne sont pas des dictateurs absolus, mais plutôt des potentiels qui s'expriment différemment selon le contexte. Imaginez la génétique comme un piano: chaque personne possède le même nombre de touches, mais c'est l'environnement qui détermine dans quelle clef la mélodie sera jouée. Les touches restent les mêmes (nos gènes), la mélodie de base demeure similaire (quels gènes sont activés), mais la clef change (leur niveau d'expression), créant des variations importantes dans le résultat final.Cette interaction est bien réelle, tel que démontré par les travaux de Dre Nancy Segal de l'Université d'État en Californie. Elle explique pourquoi des jumeaux identiques, partageant 100% de leur ADN, peuvent présenter des caractéristiques très différentes s'ils évoluent dans des environnements distincts. Elle explique aussi pourquoi certaines populations, génétiquement prédisposées à l'obésité, n'en souffraient pas avant l'adoption du mode de vie occidental.Notre environnement moderne – riche en aliments ultra-transformés, pauvre en activité physique, générateur de stress chronique – active des gènes qui favorisent la prise de poids tout en désactivant ceux qui la freinent. Cette interaction constante façonne notre métabolisme de façon bien plus déterminante que notre hérédité seule.Épigénétique: quand l'environnement reprogramme nos gènesL'épigénétique décrit précisément ces mécanismes par lesquels notre environnement peut activer ou désactiver certains gènes sans modifier leur séquence. Nos habitudes alimentaires, notre niveau d'activité physique, même notre stress, laissent des «marques» épigénétiques qui influent sur l'expression de nos gènes.Ces modifications ne sont pas de simples ajustements temporaires. Des recherches récentes révèlent qu'elles peuvent s'installer durablement et même se transmettre aux générations suivantes. Ainsi, une alimentation riche en produits transformés combinée à un mode de vie sédentaire peut programmer notre organisme à stocker davantage de graisses, créant un cercle vicieux transgénérationnel.Cette découverte révolutionnaire change notre compréhension de l'hérédité et du contrôle de la composition corporelle. Nous ne transmettons pas seulement nos gènes à nos enfants, mais aussi l'empreinte environnementale que nous y avons laissée.Le «pondérostat»: comprendre pour mieux agirLa recherche a également éclairé le fonctionnement du «pondérostat», ce système complexe qui régule notre poids corporel. Quand nous perdons du poids, notre organisme active des mécanismes de compensation qui limitent l'amaigrissement et favorisent la reprise du poids perdu. La recherche démontre que la leptine, une hormone secrétée par les adipocytes, est abaissée par la restriction calorique, ce qui réduit la sensation de satiété. En revanche, dans les mêmes circonstances, la ghréline secrétée par l'estomac est augmentée, ce qui stimule l'appétit par une action sur l'hypothalamus.Un article récent de La Presse décrit ces modifications compensatoires comme des désordres qui «amènent l'organisme à accumuler inutilement des réserves énergétiques dont il n'a pas besoin». L'anthropologie offre cependant une explication rationnelle, soit celle de l'adaptation évolutive. Ce mécanisme de survie est hérité de nos ancêtres chasseurs-cueilleurs pour qui stocker l'énergie était vital pour survivre aux disettes.Aujourd'hui, ce «pondérostat» dont nous avons hérité nous joue des tours. Comprendre son fonctionnement permet de mieux le contrer par des stratégies adaptées: pratique régulière d'une diversité d'exercices de loisir ou utilitaires, alimentation équilibrée, sommeil adéquat en quantité et en qualité, gestion du stress.Reprendre le contrôle: un message d'espoir et de responsabilitéCette compréhension transforme notre approche de l'obésité. Plutôt que de subir un hypothétique déterminisme génétique, nous pouvons agir sur ces mécanismes d'interaction gène-environnement. L'adoption et le maintien de saines habitudes de vie peut littéralement reprogrammer l'expression de nos gènes.L'affirmation récente par une pédiatre endocrinologue selon laquelle «Soixante-dix pour cent de notre poids corporel est expliqué par notre génétique» n'est pas fondamentalement fausse. Il faut cependant spécifier qu'une héritabilité de 70% est une estimation haute de la fourchette qui varie entre 40 et 70%, et qu'elle varie dans la littérature scientifique selon les populations étudiées et selon les méthodes d'évaluation. De plus, présenter cette information sans contexte occulte un phénomène pourtant connu: c'est l'interaction complexe entre nos gènes et notre environnement qui détermine notre risque d'obésité. Et sur cet environnement, nous conservons un pouvoir d'action indéniable.Cette nuance porte en elle un message d'espoir et de responsabilité. Espoir, parce qu'elle nous montre que nous ne sommes pas prisonniers de nos gènes. Responsabilité, parce qu'elle nous rappelle que notre santé dépend aussi de nos choix quotidiens.Répercussions sur la pratique cliniqueEn tant que professionnels de la santé, nous avons un rôle crucial dans ce changement de perspective. Plutôt que de présenter l'obésité comme une fatalité génétique, nous pouvons aider nos patients à comprendre cette interaction dynamique entre hérédité et environnement.Il est important de reconnaître que, bien que nous puissions avoir un impact significatif sur les aspects environnementaux et épigénétiques, chaque personne possède également un profil épigénétique unique qui répondra plus ou moins facilement et rapidement à ces changements. L'épigénétique est toute en nuances: certaines personnes nécessiteront des expositions prolongées à un facteur environnemental donné pour observer des modifications, tandis que d'autres réagiront après une seule exposition intense du même facteur, avec toutes les possibilités entre ces deux extrêmes. Cette variabilité individuelle souligne l'importance d'une approche personnalisée et patiente dans l'accompagnement de nos patients.Bien sûr, les solutions pharmacologiques comme les agonistes du GLP-1 ont leur place dans l'arsenal thérapeutique, notamment pour les cas sévères avec comorbidités cardiovasculaires et métaboliques. Mais elles ne devraient pas nous dispenser – ni dispenser nos patients – de nous interroger sur les habitudes de vie.Cette approche holistique ouvre la voie à des stratégies de prévention plus efficaces et à une prise en charge plus personnalisée. Elle permet aussi d'éviter l'écueil de la déresponsabilisation totale tout en reconnaissant la complexité biologique de l'obésité.Vers un équilibre nécessaireL'heure n'est ni au déni de la complexité de l'obésité ni à la culpabilisation des personnes qui en souffrent. Il s'agit plutôt de retrouver un équilibre entre reconnaissance des facteurs biologiques et maintien de l'autonomisation des patients.Dans un monde où les solutions rapides semblent toujours plus attirantes, rappelons à nos patients que la santé se construit jour après jour, dans nos assiettes comme dans nos espadrilles. C'est en comprenant mieux la physiologie de notre organisme, notamment cette danse complexe entre nos gènes et notre environnement, que nous pourrons véritablement reprendre le contrôle sur notre santé.Cette perspective redonne du pouvoir aux patients sans nier la réalité biologique. Elle transforme le fatalisme en opportunité d'action. N'est-ce pas là le message que nous souhaitons transmettre?Daniel Cousineau M.D. Ph.D.; ex-professeur-adjoint, Faculté de Médecine, Université McGill et Université de MontréalAvec la collaboration de Guy Thibault, Professeur-associé, École de kinésiologie et des sciences de l'activité physique, Faculté de médecine, Université de Montréal; et de François Rouleau, doctorant, Université Laval

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