Les clés pour optimiser les activités cliniques en pharmacie

Les pharmacies communautaires du Québec ont dispensé plus de 7 millions de services cliniques, l’an dernier. Cela représente en moyenne 3700 actes par pharmacie. Parmi ces services, de nouvelles responsabilités, certes attendues, mais parfois compliquées à intégrer à un quotidien déjà bien rempli, et alourdi encore par la pénurie de personnel. «Les attentes envers les pharmacies sont élevées, il faut se donner les moyens organisationnels et financiers de bien faire les choses», assure Marie-France Nicole, pharmacienne communautaire et directrice des services professionnels chez Alliance Pharma. «Le modèle d’organisation actuel est en place depuis un demi-siècle et il n’est plus adapté à la pharmacie d’aujourd’hui. Le volet distribution n’a plus la primeur, le volet clinique est devenu plus important.» Un changement toutefois exigeant qui réclame de la patience.Savoir communiquerProposer de nouveaux services cliniques à vos patients ne peut pas se faire sans le soutien ni la participation de votre équipe, pharmaciens comme personnel technique. Si la nouveauté peut griser, elle peut aussi être source d'inquiétude et de stress, surtout dans un contexte de flux tendu et de journées chargées. Avant toute chose, il s’agit donc de prendre le pouls de l'équipe, de lui soumettre vos objectifs en lui permettant de s’exprimer. «Il faut amener la communication de la bonne façon, et la distiller pour ne pas que ce soit déstabilisant», observe Marie-France Nicole. «Il s’agit aussi d’accueillir les commentaires et les inquiétudes, pour trouver des solutions ensemble et impliquer l’équipe dans le changement.» À lire aussi: Les meilleurs responsables en pharmacie sont d'excellents passeursAu-delà de changements structurels, il ne faut pas oublier la dimension psychologique, primordiale selon la professeure agrégée en gestion des ressources humaines Chloé Fortin-Bergeron: «Avant même de parler des objectifs à atteindre, il faut considérer l’impact émotionnel du changement, à travers des discussions ouvertes en groupe ou de manière individuelle. Verbaliser clairement ses attentes et inciter à l’entraide au sein de l’équipe va aussi permettre d’amoindrir les inquiétudes.»Établir un plan d’actionPour verbaliser ses attentes, encore faut-il les connaître. Car amener une nouvelle activité clinique en pharmacie ne signifie pas simplement ajouter une ligne au tableau. «Il faut évaluer les connaissances, mettre à jour les lignes directrices, former ses équipes, définir le rôle de chacun dans la prise en charge, documenter le dossier…», énumère Marie-France Nicole. «Il faut avoir une vision de ce qu’on veut mettre de l’avant dans sa pharmacie, et ensuite établir ce plan d’action très concret et standardisé, avec des objectifs, sur le modèle d’un itinéraire de voyage, avec les étapes et la ligne de temps.» Mais attention, tout cela doit se faire graduellement, pas à pas, prévient-elle. Pour cela, il faut passer du temps sur ces étapes préparatoires, et impliquer les équipes à chacune d’elles. «On peut même les faire participer à la rédaction du plan d’action! Leurs idées en provenance du terrain vont aider à sa réalisation», propose la pharmacienne.Miser sur les forces de son équipeAfin d’assurer la pérennité de ce plan d’action, il faut aussi s’assurer que chacun soit à la bonne place, sur la base du «bon soin au bon moment pour la bonne personne». Et pour cela, un examen minutieux de son équipe s’impose. «Jusqu’à présent, nous étions dans une approche par déficit, en identifiant les faiblesses et en demandant aux membres de l’équipe de les renforcer, explique Chloé Fortin-Bergeron. Mais s’améliorer demande parfois beaucoup plus d’énergie si ça va à l’encontre de notre nature. Et un commentaire négatif aura un impact durable sur leur motivation et leur estime de soi.» À lire aussi: Garder sa motivation: la santé mentale en priorité absolue!La professeure à l’École de gestion de l’Université du Québec à Trois-Rivières (UQTR) prône plutôt un mode de gestion par les forces: chercher à stimuler ses équipes en mettant en valeur le positif, ce que les gens font bien au quotidien. On peut soit demander aux membres de l'équipe de verbaliser eux-mêmes leurs forces, soit pratiquer la rétroaction, «à la fois de la part du gestionnaire et des collègues entre eux, pour souligner les forces observées chez chacun et permettre de les faire fructifier». Instaurer une ambiance de travail bienveillante, du soutien mutuel et de la reconnaissance est un processus qui prend du temps, mais dont les répercussions seront concrètes et durables, assure Chloé Fortin-Bergeron: «Il y a une sensibilisation à faire auprès des gestionnaires et des propriétaires sur l’importance d’accorder du temps à ce processus, et il faut les y former. Ça permet de redonner du sens au travail, et donc plus de productivité et d’engagement.»Apprendre à déléguerL’une des meilleures façons de montrer sa confiance et de souligner les forces des membres de son équipe est de leur déléguer davantage de tâches. Mais ce mot fait souvent peur aux pharmaciens, qui craignent que les tâches soient moins bien faites ou qu’elles prennent plus de temps à être réalisées. Cette étape est pourtant primordiale, assure Marie-France Nicole. «Je comprends la réticence de certains pharmaciens, car ils sont imputables de tout ce qui est fait au laboratoire. Mais j’ai observé que, bien amenée, la délégation permettait de renforcer la sécurité et l’efficacité des actes cliniques.» Cela implique néanmoins d’apprendre à tolérer les erreurs. «Pour que les gens apprennent et s’améliorent, il faut leur donner la possibilité de rater, et de recommencer. Mais aussi valoriser la prise de risque, être ouvert à faire les choses différemment», estime Chloé Fortin-Bergeron. Le tout, dans une démarche constructive, ajoute Marie-France Nicole: «Il faut bien sûr établir des registres d’erreurs suivis, des rétroactions pour améliorer le processus et des contrôles de qualité en tout temps. Le personnel est en demande, ça le responsabilise et ça permet une meilleure rétention.» Pour, en fin de compte, libérer du temps au pharmacien et lui permettre de consacrer plus de temps aux services cliniques. À lire aussi: La paperasse…Mais il y a déléguer et bien déléguer, tempère Chloé Fortin-Bergeron. «Il faut garder une notion d’équité en tête, car on aura tendance à toujours déléguer à nos joueurs étoile, ce qui peut amener des insatisfactions au sein de l’équipe. Il faut revenir au modèle de gestion par les forces, en déléguant selon les compétences de chacun, car on veut garder tous nos bons joueurs.»Réorganiser son espace de travailUne fois revue la culture d’entreprise, place au changement concret dans l’espace de travail. Avez-vous assez d’espace pour recevoir les patients? Disposez-vous d'un lieu privé pour travailler au calme ou vous entretenir avec un patient sur un sujet délicat? Pouvez-vous être concentré plus de 30 minutes d'affilée sur une même tâche? Si vous répondez par la négative à l’une de ces questions, il est peut-être temps de revoir l’organisation de votre pharmacie. «Lorsqu’on interrompt une tâche pour en effectuer une autre, cela prend au cerveau en moyenne 23 minutes pour se reconcentrer sur la tâche initiale!» s’exclame Marie-France Nicole. «Et la plupart du temps, ces interruptions ne sont pas pertinentes. Avoir un lieu physique qui les limite, que ces interruptions proviennent des collègues ou des patients, permet de diminuer le stress, la fatigue et augmente la productivité.»Au-delà de cette reconfiguration de l’espace physique, il faut accorder plus de place à la planification des tâches, poursuit Marie-France Nicole. «Nous avons été formés à répondre aux besoins des patients dans leur ordre d’arrivée, mais 75 à 80% du travail en pharmacie peut en réalité être planifié, comme les renouvellements d’ordonnance pour les maladies chroniques. par exemple. De nombreux logiciels de pharmacie ont une fonctionnalité pour gérer les renouvellements préautorisés ou automatisés. Cela permettra aussi d’être plus efficace pour gérer les imprévus.»Ne pas oublier de facturerEnfin, impossible de ne pas évoquer l’un des points cruciaux des actes cliniques en pharmacie: la facturation. Mais avant de penser à facturer les nouveaux services, concentrez-vous sur ceux que vous réalisez déjà, conseille Marie-France Nicole. «Beaucoup de pharmaciens ne les facturent pas, parce qu’ils n’y pensent pas, parce qu’ils ne savent pas qu’ils peuvent facturer ce service ni comment faire.» L’exemple parfait est celui des prises en charge, selon elle. «La majorité des actes facturés en 2023 étaient les prolongations et les ajustements, et la prise en charge comptait pour moins de 5% des facturations. C’est pourtant une belle opportunité. Dans le cas des maladies respiratoires par exemple, elle est nouvelle mais il y a comme un manque d’intérêt, d'information. Sauf que ce genre d'activité a un vrai intérêt financier.» Si les prises en charge apparaissent comme lourdes et chronophages, certains aspects pourraient toutefois être développés en équipe de manière fluide et efficace, soutient-elle.À lire aussi: 3 raisons pour lesquelles les pharmaciens devraient rayer le mot «gratuit» de leur vocabulaireCertaines facturations, comme celles des renouvellements ou des ajustements de doses, sont rentrées dans les mœurs, mais pas forcément celles des actes qui les accompagnent, par exemple la prise en charge pour la douleur chronique, regrette Marie-France Nicole. «Dans certains cas, la double facturation est possible», rappelle-t-elle. De même, les opinions pharmaceutiques ne sont pour la plupart plus facturables depuis le 1er avril, sauf l’opinion d’amorce qui peut intervenir dans plusieurs cas de figure. «Dans un cas où l’opinion de substitution ne peut plus être facturée, peut-être que l’opinion d’amorce le peut. Si j’émets une opinion d’amorce et que je dois cesser le traitement précédent, on peut aussi facturer la cessation.» Et pour bien facturer, la pharmacienne conseille de le faire régulièrement, en équipe et se référer aux organismes compétents pour s’assurer de le faire de la bonne façon. Et pour toute question, l’Association des pharmaciens propriétaires du Québec est votre meilleur interlocuteur, conclut Marie-France Nicole.

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