Le microbiote intestinal, acteur clé de l’insomnie?

L’insomnie touche une proportion importante de la population mondiale et demeure un problème majeur de santé publique, tant par sa prévalence (de l’ordre de 10 à 20% des adultes) que par ses répercussions sur la santé physique et mentale. Si l’axe intestin-cerveau est de plus en plus étudié, les mécanismes précis qui relient le microbiote aux troubles du sommeil restaient encore mal compris. C’est dans ce contexte que des chercheurs chinois et russes ont entrepris d’examiner si des liens directs, dans les deux sens, pouvaient être établis entre certaines bactéries intestinales et l’insomnie.«Les troubles du sommeil et les déséquilibres du microbiote sont étroitement associés dans la littérature, mais les relations causales demeuraient incertaines», mentionnent les auteurs en introduction de leur article publié début août dans la revue General Psychiatry du groupe BMJ. Leur objectif: dépasser les simples associations observées dans des études observationnelles, et vérifier si un rapport de cause à effet pouvait être mis en évidence.Pour y parvenir, l’équipe a eu recours à la randomisation mendélienne bidirectionnelle, une approche permettant d’exploiter des variantes génétiques comme moyen de tester la causalité. Les données provenaient de plusieurs études de grande envergure: une étude d’association pangénomique (en anglais: genome-wide association study, GWAS) concernant l’insomnie et regroupant 386 533 individus, ainsi que deux cohortes génétiques sur le microbiote intestinal: celle du consortium MiBioGen (18 340 participants) et le Dutch Microbiome Project (8208 participants). Les analyses ont principalement reposé sur la méthode inverse-variance weighted (IVW), assortie de multiples tests de robustesse – hétérogénéité, pléiotropie, analyses de sensibilité.À lire aussi: Le «brassage cognitif» peut-il vraiment vous aider à vous endormir?Les résultats confirment l’existence d’une relation bidirectionnelle robuste entre microbiote et insomnie. Les chercheurs se sont intéressés à des taxons, c’est-à-dire des unités de classification biologique regroupant des bactéries par genres. Du microbiote vers l’insomnie, 14 taxons bactériens apparaissent comme des facteurs de risque, avec des rapports des chances (odds ratios, OR) compris entre 1,01 (IC à 95 % de 1,00 à 1,02) et 1,04 (IC à 95% de 1,02 à 1,06). À l’inverse, huit taxons exercent un effet protecteur (OR de 0,97 [IC à 95 % de 0,96 à 0,99] à 0,99 [IC à 95% de 0,98 à 1,00]). Dans l’autre sens, l’insomnie influence significativement la composition intestinale: elle est associée à une diminution de l’abondance de sept taxons (OR de 0,21 [IC à 95% de 0,06 à 0,74] à 0,57 [IC à 95% de 0,34 à 0,95]) et à une augmentation de douze autres (OR de 1,65 [IC à 95% de 1,09 à 2,50] à 4,43 [IC à 95% de 1,31 à 15,03]). Le genre Odoribacter se distingue par une association positive confirmée par les tests de directionnalité, constituant ainsi un marqueur particulièrement notable. À lire aussi: Nouvelles recommandations canadiennes pour la prise en charge de l'insomnie chroniqueDe nouvelles avenues de prévention et de traitementCes conclusions éclairent les mécanismes potentiels reliant microbiote et troubles du sommeil. Les chercheurs évoquent notamment la modulation immunitaire, l’inflammation et la communication bidirectionnelle de l’axe intestin-cerveau comme pistes plausibles. «Ces observations suggèrent que les altérations du microbiote intestinal ne sont pas de simples conséquences de l’insomnie, mais qu’elles participent activement à sa physiopathologie», soulignent-ils. Dans le communiqué diffusé par le BMJ, les auteurs ajoutent que «la modulation du microbiote intestinal pourrait représenter une stratégie innovante et prometteuse pour la prévention et le traitement de l’insomnie».Les perspectives cliniques sont donc loin d’être négligeables. Le fait d’identifier des bactéries spécifiques liées à l’insomnie ouvre la voie à des interventions ciblées, par exemple via des probiotiques, des prébiotiques ou même des transplantations de microbiote fécal. «Notre étude fournit une preuve génétique solide que les interventions sur le microbiote intestinal peuvent influencer l’insomnie», insistent les chercheurs.Bien entendu, ces derniers appellent à la prudence. Leur étude a été réalisée à partir de populations majoritairement européennes, ce qui limite la généralisation des résultats. De plus, les facteurs environnementaux comme l’alimentation ou le mode de vie n’ont pas été pris en compte. Malgré ces limites, les analyses de sensibilité renforcent la robustesse des conclusions: aucun biais significatif de pléiotropie n’a été détecté et les résultats demeurent stables à travers les différents tests appliqués.Référence:Shi S, Liu D, Baranova A et coll. Investigating bidirectional causal relationships between gut microbiota and insomnia. General Psychiatry 2025;38:e101855. doi: 10.1136/gpsych-2024-101855

Le microbiote intestinal, acteur clé de l’insomnie?

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