Le médecin patient: finie, la liste de chansons pour me distraire de l'IRM

Le 12 août 2022 a marqué la fin de mon traitement par radiothérapie ablative stéréotaxique pour le cancer de la prostate. La dernière incursion dans l'hybride IRM/accélérateur linéaire n'a pas été différente des quatre précédentes, mais elle a été concluante. Alors que la table entamait son voyage vers l'extérieur, attaché comme je l'étais au convoyeur, avec de la musique pour me distraire, j'ai écouté la dernière chanson de ma liste de lecture CSNY, «Out of the Darkness» (Sortir des ténèbres). Et c’est ce qui s’est passé.Cela faisait deux semaines et demie que le calvaire thérapeutique avait commencé, cinq séances d’une heure environ, immobilisé par des contraintes intentionnelles et par la peur. C'était un territoire inconnu, car je n'avais fait qu'effleurer l'atmosphère raréfiée d'un patient. Au cours des cinq décennies précédentes, j'avais été un médecin compatissant et encourageant. Mais personne ne m'avait jamais appris à être un patient. Assumer cette nouvelle identité peut parfois donner l'impression d'être un imposteur. Ce n'est qu'avec le temps que l'on trouve un certain confort. Cela exige une ouverture d'esprit, une sorte d'abandon à la dure, et peut-être bouleversante, réalité.Il a fallu un village d'oncologues radiothérapeutes, de confrères, d'infirmières, de technologues et de thérapeutes pour me guider sur ce périlleux terrain thérapeutique et m'offrir une nouvelle vie au-delà du portique. D'une certaine manière, ils ont été mes prête-plumes, et cela requiert plus que de la simple gratitude.À lire aussi: Vos patients comprennent-ils les informations que vous leur donnez?Lorsque je suis sorti du Centre de cancérologie Odette cet après-midi-là avec mon épouse, je me suis arrêté, j'ai enlevé mon masque, j'ai inspiré profondément et je me suis senti soudain enveloppé par un kaléidoscope de souvenirs des dernières semaines et des derniers mois. Ces souvenirs sont restés très présents et ont ressurgi fréquemment alors même que j'entamais la phase de rétablissement de ma maladie. Il y a toujours eu des rappels qui ne m’ont jamais vraiment permis d’effectuer une transition en douceur vers une nouvelle normalité sans maladie. Le premier protocole imposé a été un dosage du PSA dans trois mois suivi d'une visite à la clinique. Dans les jours qui ont précédé mon premier PSA post-radiation, j'étais angoissé. J'étais submergée par les «et si», incapable de voir au-delà d'un optimisme réservé et assombri. Le premier PSA, en mars 2022, était de 9,15. Le suivi post-radiation de novembre était de 3,28. Un résultat encourageant pour mon oncologue, qui s'est montré rassurant. «Revenez me voir dans trois mois» m’a-t-il dit. En février 2023, le taux de PSA a continué à baisser, tombant à 1,13. «Revenez me voir dans six mois», m’a-t-il lancé en me raccompagnant vers la sortie. Le suivi d'un an, en août 2023, a montré une nouvelle réduction du taux de PSA à 0,55. Six mois plus tard, en janvier 2024, le PSA était passé sous le «seuil», à 0,29. La valeur «subnormale» du PSA est considérée comme une «guérison» avec un risque négligeable de récidive, du moins d’après ce que l’on m’a dit. À ce stade, je ne m'attendais pas à ce qu'il me dise «revenez me voir dans un an». Nous ferions un rendez-vous virtuel, sans que j’aie besoin de venir en personne à la clinique. Un suivi a été fixé à janvier 2025! J'ai eu du mal à assimiler ce délai d'un an. Les «et si» revenaient en force, remettant en question un potentiel irréaliste de récidive locale ou à distance en l'absence d'un marqueur régulier, fiable et opportun.Je me souviens de patients qui, lorsqu'on leur a dit qu'ils pouvaient faire contrôler leur tension artérielle tous les trois mois au lieu d'une fois par mois, ont catégoriquement refusé. Ayant besoin d'être rassurés plus souvent, ils disaient: «je reviendrai le mois prochain, tant pis pour vous». Ou bien des patients qui, lorsqu'on leur disait qu'ils pouvaient interrompre le dépistage de contrôle des cancers – le test Pap, les mammographies et même la mesure du PSA – refusaient catégoriquement mes explications concernant les lignes directrices recommandées, et exigeaient d'être rassurés par les précédents tests «de routine» qu'ils effectuaient régulièrement. J'ai dû me souvenir que les «lignes directrices» n'étaient pas des décrets. Il m'a fallu un certain temps pour accepter que mon suivi «annuel» était fondé sur des preuves et cliniquement justifié. Le concept de patient-pas-médecin avait besoin d'être consolidé. Je devais m’habituer à passer un examen «annuel» pendant les trois prochaines années, tout en faisant preuve de diligence et en étant conscient des signaux de différentes couleurs. La vie a repris son cours normal. Un mois après la fin du traitement, nous nous sommes rendus dans notre repaire dans le désert, et avons passé deux semaines merveilleuses à réorienter nos pensées et nos énergies vers des activités positives et significatives. Il ne nous a pas échappé que notre précédente visite à Palm Springs avait été anticipée par l'arrivée imprévue d'une pandémie – qui n'est plus qu'un lointain souvenir désormais, mais qui a toujours la propension de perturber et d'imposer sa volonté à ceux qui ne se doutent de rien et qui sont vulnérables. À lire aussi: Le contexte, un outil essentiel pour éduquer nos patientsNous passons beaucoup de temps au chalet ces jours-ci, nous promenant le matin avec des amis, lisant sur la terrasse, écrivant des histoires et prenant le temps de marcher jusqu'au quai pour admirer la splendeur d'un autre coucher de soleil. Nous voyageons pour passer du temps à Boston avec notre fils et notre petit-fils, ou beaucoup plus près, à Toronto, avec notre fille, notre petite-fille et notre gendre. Nous planifions et faisons des voyages à l'étranger selon notre liste de rêves à réaliser. J'ai beaucoup écrit sur ma transition de médecin à patient. D'une certaine manière, cela a été thérapeutique en soi. Partager mon histoire a été réparateur, une véritable catharsis. Cela m'a permis de dépasser le portique, un lieu restrictif et inconfortable mais doté d'inimaginables pouvoirs de guérison. Lorsque je me suis aventuré pour la première fois dans l'enceinte blindée de la salle d'IRM/LINAC, et avant d'être propulsé dans le tunnel étroit, le technologue en radiologie m'a demandé quelle liste de lecture musicale j'avais choisie pour me distraire de la cacophonie métallique de l'appareil d'IRM. Ce jour-là, j'avais choisi les Eagles, de manière générique et arbitraire. Vers la fin de la séance, alors que je m'attendais à être extrait d'un moment à l'autre, j'ai entendu Hotel California. Le morceau emblématique se termine ainsi: Vous pouvez partir quand vous voulezMais vous ne pouvez jamais quitter.J'ai quitté le portique il y a deux ans. J'ai regardé en arrière pour voir le chemin que j'avais parcouru. Et j'ai inscrit les coordonnées de l'endroit où je vais.

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