Le CMQ s’oppose à la rémunération des médecins à la performance

Il s’agit d’une fin de non recevoir, en bonne et due forme. Le Collège des médecins du Québec (CMQ) refuse que la rémunération de ses membres soit liée à l’atteinte de cibles de performance, comme le prévoit le ministre de la Santé Christian Dubé dans son projet de loi 106. Le CMQ demande également au gouvernement de «cesser le dénigrement de la profession médicale par ses propos portant sur le rendement des soignants, leur disponibilité auprès des patients ou la hauteur de leur rémunération».Alors que démarrent aujourd’hui les auditions publiques sur ce projet de loi désapprouvé par la communauté médicale, Profession Santé a obtenu une copie du mémoire présenté cet après-midi par le Collège devant la Commission de la santé et des services sociaux de l’Assemblée nationale. Si le CMQ se dit favorable à l’objectif de ce projet de loi dans le sens où il vise la responsabilité collective et l’amélioration de l’accès aux soins, il estime que le modèle de rémunération voulu par le gouvernement «représente un risque pour une médecine de qualité». En l’état actuel des choses, le projet de loi du ministre Dubé prévoit de lier jusqu’à 25% de la rémunération des médecins de famille et des médecins spécialistes à des indicateurs de performance qui seront déterminés ultérieurement, par voie réglementaire. Si l’incertitude règne encore sur la nature de ces indicateurs, le Collège craint que ceux-ci soient établis dans une logique comptable en mettant l’accent sur le volet quantitatif au détriment des aspects qualitatifs. Lire aussi: Christian Dubé n’exclut pas un bâillon«Lorsque les indicateurs de performance reposent principalement sur la quantité d’actes médicaux ou le nombre de patients pris en charge, cela peut nuire à la qualité des soins, en particulier pour les populations vulnérables ou marginalisées», prévient le mémoire du CMQ qui signale que ces considérations de performance pourraient également fragiliser la disponibilité des médecins pour l’enseignement et la recherche «ou encore les détourner de tâches essentielles en établissement, notamment en soins de longue durée».«Le patient est un être entier et on ne peut limiter sa visite chez le médecin à l’examen d’une seule partie de son corps pour tenir compte d’un barème de temps correspondant au respect d’indicateurs de performance.»En entrevue avec Profession Santé, le président du Collège, le Dr Mauril Gaudreault précise qu’en temps normal, un ordre professionnel ne se préoccupe pas des questions de rémunération. «Mais quand on entend qu’on veut lier la rémunération (des médecins) à la performance, ça nous fait sursauter et ça nous inquiète. C’est pour cela qu’on se prononce de façon si claire», explique-t-il en soulignant que ce mode de rémunération soulève des enjeux sur le plan déontologique. «Cela peut faire en sorte que les médecins soient incités à faire du volume plutôt que se concentrer sur la qualité de la relation avec les patients.» Autrement dit, qu’ils «soient de façon très humaine portés à tourner les coins ronds». Par ailleurs, le Dr Gaudreault dit avoir été surpris par le nombre de commentaires laissés par des médecins sur le forum en ligne du Collège, tous opposés au projet de loi. Ce flot de messages «a eu une influence partielle», reconnaît le président du CMQ. «Ce n’est pas seulement pour cela (qu’on se positionne), mais c’est aussi pour cela, bien sûr. Afin de calmer le jeu pour ainsi dire».Lire aussi: «Sans voix», la Dre Sophie Galarneau réagit sous le coup de l'émotion au dépôt du projet de loi 106 Changer la conversationComme ses pairs, la nature de ce projet de loi et plus encore les propos qui ont entouré son dépôt sont venus «chercher personnellement» le Dr Gaudreault. «C’est plus le ton de la conversation que le projet de loi en lui-même», souligne le président du Collège qui a été «choqué», voire même «peiné» d’entendre le ministre Dubé dire que les médecins ne travaillent pas suffisamment, que certains ne pratiquent que trois jours par semaine ou qu’ils quittent leur poste les vendredis après-midi. Sans oublier le premier ministre François Legault qui veut «mettre au pas» les médecins et affirme que ce projet de loi est attendu et nécessaire depuis 23 ans. Dans son mémoire (disponible en bas de page), le Collège estime que «si l’on souhaitait susciter l’adhésion des médecins aux mesures proposées et mettre de l’avant le travail d’équipe nécessaire afin d’atteindre un objectif commun aux soignants, à la population et au gouvernement, c’est un très mauvais départ.» Pour le Dr Gaudreault, «on doit changer le ton de la conversation», car ces propos dénigrants ont fait en sorte que les parties prenantes au projet de loi «ne veulent plus du tout en entendre parler. Quitte à en oublier les éléments positifs.»Parmi ceux-ci figure l’ajout d’une composante de capitation au modèle de rémunération des médecins qui, actuellement, repose essentiellement sur la tarification à l’acte. Un système devenu trop complexe et qui «ne favorise pas le travail en équipe, à l’inverse de la capitation qui a fait ses preuves ailleurs dans le monde», signale le président du CMQ.En la matière, le Dr Gaudreault compte insister devant les députés sur la nécessité et l’importance d’écouter la science. Il rappelle que Christian Dubé a mandaté trois experts qui ont étudié les meilleures pratiques et viennent de rendre un rapport sur la réorganisation des soins en première ligne. «On propose d’aller plus dans le sens de leurs recommandations. Ils ne trouvent pas que lier la rémunération des médecins à la performance est la meilleure avenue. Ils montrent que la capitation est plus efficace pour faire appel à la responsabilité collective de la communauté médicale.»Lire aussi: Lettre d’une profession au bord de la ruptureLes médecins «ne sont qu’un maillon de la chaîne»S’agissant de cette responsabilité collective, le mémoire du Collège réaffirme que celle-ci ne repose pas que sur les épaules des médecins. «L’état de dysfonctionnement du réseau de la santé et la pénurie de personnel ne peuvent être imputés qu’aux seuls médecins. Ce principe doit englober les autres professionnels de la santé, ainsi que les gestionnaires du réseau, dont les décisions et les actions ont des impacts directs sur l’accès aux soins et les conditions de pratique des médecins et de l’ensemble du personnel soignant.» En ce sens, le CMQ recommande que le titre du projet de loi 106 soit modifié pour celui de «Loi visant principalement à instaurer la responsabilité collective quant à l’amélioration de l’accès aux soins et services de santé.» Dans le même ordre d’idées, le Collège soutient qu’«il sera impossible d’améliorer l’accessibilité aux soins de santé sans des investissements appropriés dans les infrastructures et en première ligne». Il appelle donc le gouvernement à «assumer sa responsabilité de fournir et de maintenir des infrastructures de santé en état, d’assurer aux soignants des conditions de pratique permettant de prendre en charge et de traiter adéquatement les patients, incluant la gestion des ressources humaines, des équipements médicaux et des plateaux techniques.»À consulter: BrûlésPlus largement, le Dr Gaudreault considère que 50 ans après la naissance du réseau québécois de la santé, «la société a changé, la pratique de la médecine a changé et les besoins des gens aussi ont changé.» Selon lui, «le temps est venu de tenir des états généraux ou une grande consultation nationale sur les attentes de la population, en y associant les médecins et les autres professionnels de la santé. Celle-ci permettra de revoir le panier de soins et de services actuellement offerts.»En attendant, le président du Collège réitère «l’importance de saisir ce moment pour changer la conversation et travailler tous ensemble pour le bien commun».

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