La terminologie contradictoire et confuse de la douleur

Dans un précédent billet, j'ai abordé les mécanismes de la douleur (ou définitions «mécanistes»). Nous allons maintenant explorer la terminologie utilisée pour décrire les états douloureux – une terminologie qui est parfois conflictuelle et confuse, même entre les personnes qui s'occupent de patients souffrant de douleur chronique dans leur pratique clinique ou dans le contexte d'un litige ou d'une indemnisation.Le syndrome de la douleur chronique bénigneDans les années 1970, le terme «syndrome de la douleur chronique bénigne» était utilisé pour décrire une douleur persistante qui ne pouvait être expliquée par une lésion ou un dysfonctionnement tissulaire. On la considérait alors comme une affection psychosomatique. Les Guides pour l'évaluation de la déficience permanente produits par l'American Medical Association (AMA) ont ensuite intégré ce terme et l’ont utilisé dans plusieurs versions. La 6e édition des Guides – largement utilisée dans les litiges relatifs aux dommages corporels et devant les tribunaux – a ainsi redéfini le «syndrome de douleur chronique» et exigé qu’au moins trois des six critères suivants soient remplis: Dépendance à l'égard des prestataires de soins de santé, du partenaire ou de la famille;Déconditionnement physique dû à l'inactivité et/ou à la peur de la douleur;Retrait du travail, des activités récréatives et sociales;Incapacité à restaurer la fonction antérieure à la blessure, entraînant l'incapacité à répondre aux besoins professionnels, familiaux ou récréatifs;Séquelles psychosociales après la blessure initiale: anxiété, évitement de la peur, dépression, etc;Utilisation/abus de médicaments sur ordonnance ou d'autres substances.Le terme fait référence à un état mal défini et inclut une variété de syndromes ou d'états qui ne répondent pas à la prise en charge médicale.1 Il n'est pas approuvé par les systèmes qui utilisent des classifications mécanistes ou nosologiques, car aucun des critères du syndrome de douleur chronique n'a été validé (l'analyse de la littérature n'a pas permis de trouver une seule étude validant l'un de ces critères, quelle que soit la version des guides de l'AMA). En outre, les critères sont considérés comme non spécifiques.2 Néanmoins, le terme de syndrome de douleur chronique implique une association avec des facteurs psychologiques et psychosociaux significatifs et est largement utilisé dans les évaluations médico-légales.À consulter: Fibromyalgie: le jeûne prolongé peut atténuer les symptômesSystèmes formels de classification des états douloureuxLe Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux (DSM) est un système de classification majeur utilisé par les psychiatres, les psychologues et parfois les spécialistes de la douleur. Ce manuel a été créé en 1952 par l'American Psychiatric Association, une association professionnelle nationale unique aux États-Unis, et a fait l'objet de plusieurs révisions. Le DSM sert de système nosologique descriptif, uniquement basé sur des groupes de symptômes de troubles mentaux. Les troubles de la douleur sont considérés comme des troubles mentaux dans le DSM-IV (4e édition du DSM) et classés en trois sous-types de troubles somatoformes de la douleur: Trouble douloureux associé à des facteurs psychologiques; Trouble douloureux associé à la fois à des facteurs psychologiques et à une affection médicale générale; Trouble douloureux associé à une affection médicale générale. Il est important de noter que ce dernier n'est PAS considéré comme un trouble mental. Le DSM-IV a été critiqué sur un certain nombre de points, notamment parce qu'il ne définissait pas les facteurs psychologiques. Le DSM-5 (cinquième édition du DSM, publiée en 2013), pour la première fois en plus de 30 ans, n'a pas inclus de trouble mental spécifique à la douleur (ce qui a également suscité de vives critiques). Le DSM-5 a remplacé tous les troubles somatoformes du DSM-IV par une seule entité, les «symptômes somatiques et les troubles apparentés». La douleur chronique est désormais représentée par le trouble des «symptômes somatiques (SSD) avec douleur prédominante». La CIM-11 est un autre système de classification majeur qui résulte des efforts combinés de l'Organisation mondiale de la santé (OMS) et de l'Association internationale pour l'étude de la douleur (IASP) et qui, pour la première fois dans l'histoire de la CIM et de ses versions, fournit une classification spécifique des états douloureux. La CIM-11 (Classification internationale des maladies de l'Organisation mondiale de la santé, 2019), qui est entrée en vigueur en 2022, classe les affections douloureuses en deux catégories: la «douleur primaire chronique» et la «douleur secondaire chronique» (cette dernière étant la conséquence d'un trouble sous-jacent qui cause la douleur). À noter que la classification de la douleur primaire chronique dénote la présence d'une douleur pendant plus de trois mois, dans un ou plusieurs sites anatomiques, en conjonction avec une détresse émotionnelle significative et/ou une incapacité fonctionnelle, et qui n'est pas mieux expliquée par une autre affection. À lire aussi: Défis cliniques de la douleur: la fibromyalgie (première partie)Ce type de douleur est considéré comme une «maladie en soi» et est principalement associé à des mécanismes douloureux «nociplastiques», dont j'ai parlé plus haut. La fibromyalgie en est un prototype, tandis que le syndrome du côlon irritable, les troubles temporo-mandibulaires, par exemple, entrent également dans cette catégorie.Bien qu'il puisse être difficile pour un médecin non spécialiste de la douleur de comprendre tous les termes ci-dessus, n'oubliez pas que les mécanismes sont différents de la taxonomie ou de la nosologie, et que différents professionnels de la santé peuvent utiliser des termes différents dans la pratique clinique pour désigner la même affection. Par exemple, le «trouble somatoforme de la douleur chronique» (selon le DSM-IV), le «trouble des symptômes somatiques» (selon le DSM 5), la «douleur primaire chronique» (selon la CIM-11) et le «syndrome de la douleur chronique» (terme autonome n'appartenant à aucun système de classification) impliquent, d'une manière ou d'une autre, une détresse émotionnelle et/ou une incapacité fonctionnelle importantes, indépendamment de la présence ou de l'absence d'une affection biomédicale qui, à elle seule, ne peut expliquer la majorité des plaintes et des comportements du patient.Vous vous demandez peut-être quel est l'intérêt de s'attarder sur les mécanismes, les systèmes de classification et la terminologie variable des états douloureux? Selon moi, la plupart des prestataires de soins primaires se verront un jour ou l'autre demander par les avocats des patients de rédiger un rapport médical et de fournir un ou plusieurs diagnostics. En outre, la plupart de ces prestataires recevront des rapports de spécialistes de la douleur contenant certains de ces termes. Ne manquez pas: Défis cliniques de la douleur: la fibromyalgie (deuxième partie)J'espère que les lecteurs seront en mesure de mieux comprendre les rapports de cas cliniques, leurs mécanismes sous-jacents et les types de traitements adaptés à ces conditions.N'hésitez pas à diriger vos patients souffrant de douleurs chroniques vers le portail gratuit «Surmonter sa douleur» pour qu'ils puissent s'aider eux-mêmes.La plupart de ces informations sont basées sur les références suivantes (sauf indication contraire): Mailis, A., Tepperman, P.S. & Hapidou, E.G. Chronic Pain: Evolution of Clinical Definitions and Implications for Practice. Psychol. Inj. and Law 13, 412-426 (2020).Autres références: Singh MK & Kishner S. Chronic Pain Syndrome Overview. Jan 14, 2020, MEDSCAPEHayes et al. Diagnostic judgment: Chronic pain syndrome, pain disorder, and malingering. BCMJ, 44:6 (2002), 312-316

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