La solitude du médecin

Only the lonelyKnow the way I feel tonightOnly the lonelyKnow this feeling ain’t rightBut only the lonelyKnow why I cryOnly the lonely, Only the lonely, Only the lonely*– Roy OrbisonTous les médecins en ville connaissaient le Dr James, mais je ne suis pas sûr que beaucoup le connaissaient vraiment. C’était le type fort et silencieux, musclé, bronzé tout au long de l’année, qui affichait toujours un sourire facile à vivre. Ses patients l’adoraient, même pendant ses longues absences inexpliquées. La plupart d’entre eux pensaient probablement qu’il était parti faire du surf ou jouer de la guitare en tournée – ses deux passions bien connues. Mais parmi ses collègues, on murmurait qu’il était en cure de désintoxication. Lorsqu’il est mort «subitement» à l’âge de 40 ans, les spéculations sont allées bon train: arrêt cardiaque? Surdose accidentelle?À lire aussi: Ne m’appelez pas docteurÀ mes yeux, le Dr James (nom fictif) a toujours semblé profondément esseulé. Divorcé, éloigné de ses enfants. J’ai toujours soupçonné que sa mort était intentionnelle.J’ai déjà écrit sur la solitude dans un précédent billet de blogue.La solitude est désormais reconnue comme un facteur de risque sérieux (et indépendant) de maladie et de mort prématurée. Mais est-elle plus fréquente chez les médecins que chez les autres?Comment peut-on se sentir si incroyablement seul dans une profession qui repose si profondément sur l’interaction humaine?Nous sommes constamment entourés – patients, familles, collègues. Nous sommes rarement seuls, physiquement parlant. Pourtant, sur le plan émotionnel, beaucoup d’entre nous sont profondément déconnectés. Si la solitude n’est pas l’apanage des médecins, nous semblons particulièrement vulnérables. En fait, les médecins obtiennent des scores élevés en matière d’isolement (souvent mesurés à l’aide de l’échelle de solitude de l’UCLA).Une étude a révélé que 43% des médecins déclarent se sentir seuls. Une autre a montré que près d’un médecin senior sur cinq éprouve un sentiment de solitude important – 14,1% à un niveau modérément élevé et 3,9% à un niveau très élevé.La solitude des médecins est étroitement liée à l’épuisement professionnel, à la dépression, à la fatigue et, oui, même aux idées suicidaires.Pourquoi sommes-nous si seuls?La médecine pousse particulièrement à l'isolement. L’intensité, la suppression des émotions, les règles tacites, les hiérarchies rigides – tout cela s’additionne.Les médecins exerçant dans des spécialités à fort enjeu – urgences, soins intensifs, chirurgie – portent souvent la responsabilité en dernier ressort. Ce poids est difficile à partager, même au sein d’une équipe. Les infirmières, bien que tout aussi dévouées, travaillent souvent dans des environnements plus collaboratifs et plus favorables.Lire aussi: Les médecins et l'isolement socialLes médecins sont formés – explicitement et implicitement – à réprimer leurs émotions par souci de professionnalisme. Avec le temps, cet écart entre ce que nous ressentons et ce que nous pouvons exprimer devient un gouffre. L’isolement émotionnel s’installe. D’autres professionnels de la santé, comme les psychothérapeutes ou les infirmières, sont souvent mieux formés à la résilience émotionnelle ou bénéficient de soutien en cas d’épuisement compassionnel. Je ne me souviens pas d’une seule conférence sur ce sujet. Les horaires à rallonge et irréguliers (en particulier dans le cadre de la résidence ou des soins aigus) rendent les relations difficiles à entretenir. Lorsque chaque interaction est transactionnelle et qu’il n’y a ni temps ni énergie pour la communauté ou la famille, l’isolement s’aggrave.Et puis, il y a la culture. La hiérarchie de la médecine fait que de nombreux médecins, surtout au début de leur carrière, ont le sentiment qu’ils doivent se montrer compétents, même lorsqu’ils sont en train de se noyer. Alors que les professionnels de la santé peuvent travailler de manière plus horizontale, les médecins se sentent souvent obligés de diriger sans se montrer vulnérables.À consulter: BrûlésSans oublier, bien sûr, les préjugés. Admettre que l’on a du mal à s’en sortir semble toujours risqué – pour son permis d’exercice, pour sa carrière, pour son image. Cette peur persiste, même si la prise de conscience progresse. D’innombrables patients m’ont dit qu’ils se sentaient seuls. Pas une seule fois un collègue médecin ne m’a dit la même chose, même «officieusement».Des programmes de soutien par les pairs font leur apparition dans les facultés de médecine. Mais combien d’entre nous appelleraient pour dire «je me sens seul»? La culture du stoïcisme demeure: il faut tenir bon, continuer à avancer, ne pas laisser apparaître les fêlures. On nous apprend à garder une distance professionnelle, à nous protéger. Mais ce faisant, nous nous coupons de nos pairs et de nous-mêmes.La solitude est désormais reconnue comme un risque pour la santé, au même titre que le tabagisme et l’obésité. Que se passe-t-il donc lorsque les personnes chargées de sauver des vies meurent discrètement de solitude?Lire aussi: La solitude présente des risques aussi mortels que le tabagismeNous devons continuer à faire évoluer la culture médicale. Nous devons tendre la main. Parler. Être honnêtes. Écouter, en particulier les non-dits. La vulnérabilité n’est pas une faiblesse. Être vulnérable, c’est être humain. Je pense de temps en temps au Dr James. Il était une étoile montante dans notre univers médical et pourtant, il semblait si seul. Est-il mort de solitude?* Seuls les solitairessavent ce que je ressens ce soirSeuls les solitairessavent que ce sentiment n’est pas justeMais seuls les solitairessavent pourquoi je pleureSeuls les solitaires, Seuls les solitaires, Seuls les solitaires– Roy OrbisonLe Dr Ted Jablonski est un artiste de la scène et un écrivain qui a quitté son cabinet de médecine familiale pour se consacrer à la médecine sexuelle et à la santé des personnes transgenres dans le sud de l'Alberta, tout en gardant les deux pieds dans les tranchées de la première ligne des soins primaires aigus.

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