Guide disciplinaire de l’ODNQ: «Remédier à une impression de manque de transparence»

Tous les ordres professionnels semblent y être confrontés un jour où l’autre: la nécessité d’éclairer leurs membres sur le processus disciplinaire, souvent considéré comme obscur, abusif, voire biaisé. En témoignent les différentes publications à ce sujet régulièrement publiées sur les sites internet du Collège des médecins – «Comprendre la justice disciplinaire» – et sur celui de l’Ordre des pharmaciens – «Des sanctions disciplinaires trop clémentes?» –, ou encore la chronique de l’Ordre des infirmières et infirmiers du Québec – «L’enquête du syndic et le processus disciplinaire». Mais peu d’ordres disposent d’un véritable guide pratique à l’usage de leurs membres concernant les enquêtes, le travail du syndic et les sanctions. L’Ordre des diététistes nutritionnistes du Québec (ODNQ) est désormais de ceux-là. Depuis la fin février 2025, ses membres peuvent consulter et télécharger le tout premier guide virtuel sur le processus disciplinaire en vigueur dans leur profession, pour la plus grande fierté de sa présidente, Joëlle Emond. Profession Santé l’a rencontrée. Profession Santé: Comment est née l’idée d’élaborer un tel guide? Joëlle Emond: Parmi les commentaires reçus pendant la tournée provinciale de l’Ordre au printemps 2024, un certain nombre concernaient le processus disciplinaire, qui demeurait obscur pour nos membres. Il y a une impression persistante de manque de transparence, qui n’est pas propre à notre profession. Nous avons voulu corriger cette impression, car il s’agit davantage d’une difficulté d’accès à l’information.À lire aussi: Vers une meilleure compréhension des décisions disciplinairesIl est vrai que cet accès est public, mais l’information sur le processus disciplinaire peut être compliquée à comprendre, car elle est enchâssée dans des lois et des règlements, et réclame un certain niveau de littératie. De plus, cela revêtait un réel bénéfice en termes de protection du public. Pour que des enquêtes fonctionnent bien, il faut que toutes les parties aient confiance dans le processus.Comment l’avez-vous conçu?Nous n’avons pas voulu réinventer la roue, donc nous avons regardé ce qui se faisait au sein des autres ordres. Le guide disciplinaire de l’Ordre des pharmaciens (OPQ) a été une vraie source d’inspiration. Nous avons ensuite recueilli les questions que nous posaient nos membres par courriel, ainsi que leurs principaux sujets de préoccupation. Nous voulions nous assurer que l’information transmise soit uniforme, standardisée, et que nos membres entrent dans la machine avec des connaissances de base et un sentiment de confiance pour mieux collaborer à l’enquête. Nous avons opté pour un guide virtuel afin qu’il puisse être mis à jour au gré des changements dans le processus, et diffusé via différents canaux.Que peut-on trouver dans ce guide?Le guide a été écrit en collaboration avec le Bureau du syndic de l’ODNQ. On y explique tout le processus disciplinaire, le parcours d’une dénonciation ou d’une allégation contre un membre, à partir du dépôt d’une demande d’enquête au Bureau du syndic. On répond à des questions comme: Comment ça fonctionne? Qui sont les membres du syndic? Qu’est-ce qui se passe au Conseil de discipline? De qui est-il composé? Qu’est-ce qu’une décision sur culpabilité ou sur sanction? Qui sont «le demandeur» ou «la demanderesse»? On leur rappelle également qu’ils ont droit à une défense pleine et entière, car une enquête reste un processus juridique et qu’il vaut la peine de se faire accompagner, comme ce serait le cas à la Cour. Les membres qui se présentent seuls peuvent se sentir désavantagés. Quelles sont les principales idées reçues concernant le travail des syndics et le processus disciplinaire?Certains membres peuvent avoir le sentiment d’une chasse aux sorcières, alors que le Bureau du syndic répond à une vraie demande du public, ou, plus rarement, peut se saisir lui-même s’il a connaissance d’un fait préoccupant.D’autres ont l’impression d’être déjà coupables au moment de l’ouverture d’une enquête, d’être déjà au tribunal, alors que c’est justement le moment de collaborer. Et, lorsqu’une enquête est ouverte, ils pensent que tout le monde est déjà au courant, alors que la confidentialité est préservée jusqu’à la fin, afin de protéger la réputation des professionnels.À lire aussi: La peur du syndic est-elle justifiée?De même, les dénonciations par les pairs sont très rares, contrairement à ce que peuvent penser bon nombre de professionnels. Les demandes d’enquête émanent principalement du grand public. Il y a aussi cette idée que les syndics fonctionnent tous seuls, comme des satellites, alors que leur travail est bel et bien encadré par des lois et règlements. L’Ordre ne s’ingère pas dans les enquêtes, mais participe à la concertation sur la façon d’interpréter et d’appliquer les lois et règlements.Par ailleurs, toute enquête ne se termine pas devant un conseil de discipline…En effet, le Bureau du syndic peut faire une entente avec le membre si ça ne met pas la protection du public en jeu. L’enquête peut donc se résoudre au sein même du Bureau du syndic. Cela peut consister en un avertissement formel en cas de manquement déontologique, en un engagement volontaire de la part du membre de cesser d’exercer dans un domaine particulier ou avec un individu précis, ou un dépôt de plainte disciplinaire – qui deviendra immanquablement public – avec plusieurs niveaux de sanction, de l’amende à la radiation.Avez-vous eu de premiers retours depuis la publication du guide? Oui, des retours très positifs. Les membres qui ont eu à l’utiliser y ont trouvé un réel intérêt. Ça renvoyait aussi une impression de transparence de la part de l’Ordre. Cela fait partie de nos orientations actuelles, et ça nous a confirmé que nous étions sur la bonne voie.D’autres ordres professionnels ont salué la pertinence de notre initiative, et ont signifié leur intérêt à développer un tel outil.Le projet d’un code de déontologie des syndics, proposé au gouvernement par le CIQ en 2020 puis de nouveau dans le cadre des consultations sur le PL67 en 2024, est au point mort. Est-ce un chantier nécessaire selon vous?Je salue ces recommandations, et je pense qu’il devrait exister un Code de déontologie des syndics, de la même manière qu’il en existe un pour les Conseils de discipline, ou pour les Conseils d’administration. Mais ce en attendant, ce n'est pas comme si nous étions sans rien. Il faut tout de même se rappeler que le Bureau du syndic est composé de membres de l'Ordre professionnel, et que ces derniers ne sont pas soustraits à leur propre code de déontologie et d'éthique. Cela constitue tout de même une balise, une barrière de sécurité rassurante. À lire aussi: Code de déontologie des syndics: un dossier au point mortLes Ordres ont aussi différents processus de gouvernance à l’interne, comme le Conseil d’administration. Bien qu’il ne soit pas au courant du détail des enquêtes, le syndic doit lui rendre des comptes. Cela peut concerner le nombre de dénonciation et son évolution, leur nature, le temps moyen d’une enquête, le nombre d’enquêtes ouvertes, la raison pour laquelle une enquête est ouverte depuis un certain temps… Les Ordres doivent-ils, et peuvent-ils, combler ce vide législatif en attendant?Avec ce guide, nous sommes parmi les pionniers, mais j’observe un vrai virage en termes de communication au sein des ordres, particulièrement à l’OPQ et au Collège des médecins. On essaie tous de démocratiser l’information le plus possible, de la rendre intelligible pour nos membres mais aussi pour le public. C’est un tournant auquel je crois énormément, et j’espère que ça va se développer dans les autres professions, mais aussi parmi les entités de gouvernance. La communication efficace a un grand rôle à jouer dans l’encadrement des professions. On l’exige de la part de nos professionnels envers le public, mais cette responsabilité nous incombe aussi.

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