Êtes-vous prêt pour Docteur ChatGPT?

On n'est vraiment pas à une folie près chez nos voisins du sud ces dernières semaines.Pendant qu’au Québec, on élargit avec prudence la capacité de plusieurs professionnels de la santé à prendre de nouvelles responsabilités, voilà qu’aux États-Unis, on considère donner à l’intelligence artificielle le droit de signer des ordonnances médicales. Oui, oui, sans jokes. Un projet de loi, le Healthy Technology Act of 2025, permettrait à un système automatisé utilisant l’IA de prescrire des médicaments. D’habitude, je m’excite face aux avancées technologiques visant à améliorer les soins de santé, mais celle-ci me fait douter.Imaginez apprendre que votre patient a consulté un algorithme qui lui a prescrit des antibiotiques sans l’avoir examiné ni ausculté. Comment réagiriez-vous?On peut essayer de justifier cette idée par le manque d’accès en première ligne, l’épuisement des soignants et les avancées technologiques récentes en IA. Cependant, il me semble que la prescription de médicaments serait la dernière tâche que je voudrais déléguer à une machine. Qui sera responsable si l’IA se trompe? « Docteur ChatGPT » sera-t-il membre du Collège des médecins du Québec? Y aura-t-il une autre instance chargée de la surveillance des actes médicaux posés par des outils technologiques? L’IA générative est imparfaite, elle fait souvent des erreurs et se doit d’être supervisée, particulièrement en médecine. Encore plus quand il est question de médication. Sommes-nous rendus au point de compromettre la sécurité des patients en échange d’une accessibilité artificielle?J’imagine déjà le malaise de mes collègues pharmaciens quand ils recevront leur première ordonnance signée «Dr. GPT-7, Médecin Virtuel». En ce qui me concerne, j’ai beau être un geek – j’ai testé et intégré des dizaines d’outils IA dans ma vie personnelle et professionnelle – je crois qu’il y a une énorme différence entre assister un clinicien de façon supervisée et remplacer sa signature sur une ordonnance. Si on atteint un tel niveau de confiance dans le futur, ce sera parce que des données probantes solides et abondantes viendront en valider la sécurité et l’utilité.Mais d’où sort un tel engouement envers l’intelligence artificielle? Fort probablement du fait que celle-ci commence à se tailler une place dans plusieurs domaines, incluant celui de la santé. Nous sommes déjà de nombreux médecins à avoir adopté un premier outil alimenté par l’IA: les scribes. Plusieurs solutions québécoises sont disponibles soit CoeurWay/CareWay, NoteDx et PlumeAI. Ce sont des logiciels qui écoutent nos rencontres et génèrent une note médicale automatisée en se basant sur ce qui s’est échangé entre nos patients et nous, avec le consentement de ceux-ci. La note produite doit toujours être relue et corrigée – un peu comme on superviserait un étudiant plein de bonne volonté, mais qui fait des erreurs. C’est une tâche administrative que je suis heureux de déléguer, tant qu’elle reste sous ma supervision.Et ce n'est que le début. Attachez vos sarraus avec de la broche!D’ici quelques mois, nos GMF seront équipés d’une solution d’IA québécoise qui assurera le triage des patients: NAVIG. Ceux-ci pourront clavarder avec le logiciel et seront orientés plus efficacement dans le système. Est-ce que cela pourra décharger les médecins de famille en orientant les patients vers d’autres professionnels en mesure de répondre à leurs besoins? C’est le pari que fait le gouvernement en finançant et en imposant cette solution dans le nouveau cadre GMF, sous le nom de «filtre de pertinence». Vous l'avez déjà testé? J'ai hâte d'entendre vos impressions!D’autres solutions alimentées par l’IA commencent à émerger au Québec. On peut obtenir une confirmation de fractures, d'épanchements et de luxations sur des radiographies avec l’outil français SmartTrauma - utile quand on a encore un doute, mais pas assez pour déranger un radiologue. L’équipe montréalaise de Aifred a élaboré un outil s’adaptant aux caractéristiques du patient pour personnaliser le traitement pharmacologique de la dépression. Diagnos, basé à Brossard, permet l’identification automatisée de signes précoces de pathologie rétiniennes. Certains algorithmes permettent même de détecter chez les patients hospitalisés des variations subtiles des signes vitaux, prédisant un sepsis imminent. Voilà quelques exemples qui pourraient s’intégrer à vos pratiques dans les mois ou les années à venir!La zone grise qui inquièteCe qui nous amène à un autre enjeu de taille: la régulation des logiciels médicaux. Certains outils IA sont déjà considérés comme des dispositifs médicaux, dûment homologués par Santé Canada, alors que d’autres – comme les scribes – se situent dans une zone grise. À quel moment le scribe numérique cesse-t-il d'être un simple secrétaire et devient un conseiller médical non-homologué? Sommes-nous toujours face à un assistant à la documentation ou plutôt dans le domaine des instruments médicaux?Et Dr Google?Cette question s’applique également aux réponses basées sur l’IA qui sont parfois carrément imposées par les GAFAM (Google, Apple, Facebook, Amazon, Microsoft). L’autre jour, en faisant une recherche, j’ai été surpris de voir que sans l’avoir ni demandé, ni souhaité, Google m’affichait avant tout autre résultat une réponse générée par son IA, Gemini. Il s’agissait d’une question culinaire, mais qu’advient-il lorsque nos patients font des recherches à propos de leurs symptômes? Se font-ils conseiller par un algorithme médical alimenté par l'IA, sans aucune supervision? Qui régule ce type de conseils? À l’heure actuelle, mon constat est le suivant: personne.Google Health a d’ailleurs développé AMIE, une combinaison d’agents IA qui prétend pouvoir faire notre travail: elle peut questionner le patient, poser les bonnes questions, puis proposer un diagnostic et un plan de traitement «non inférieurs» à ceux de vrais médecins selon les évaluations préliminaires. Que va-t-il nous rester comme médecins dans quatre ou cinq ans? Notre relation humaine? Notre sourire? Notre poignée de main chaleureuse? Une chose est sûre: la médecine va devoir évoluer avec l’IA.Revenons à notre question initiale: laisser une IA prescrire, oui ou non? Mon impression est qu’il sera nécessaire de réfléchir, d'analyser et de tester de telles solutions sur une longue période avant d’en considérer l’adoption. Tandis que la loi 67 au Québec vise à tirer le meilleur parti de l’expertise humaine de nos professionnels, les États-Unis semblent vouloir franchir un pas radical qui, à mon avis, pourrait s’avérer dangereux. L’IA peut nous aider à diagnostiquer, à optimiser nos longues journées de travail et à réduire la paperasse. Mais de là à signer l’ordonnance? On s’en reparlera dans quelques années.

Êtes-vous prêt pour Docteur ChatGPT?

Pour accéder au contenu, connectez-vous ou créez un compte gratuit.

Derrière ce blogue:

Samuel Gareau Lajoie

Catégories connexes