D’abord, ne pas nuire (2 de 2)

Dans un premier billet, j’abordais la dynamique de l’interdépendance des professionnels de la santé et comment les actions des uns peuvent compliquer le travail des autres. Ceci dans un environnement de communications inefficaces où la désuétude des TI utilisées est probante. J’ai tenté de le faire de façon constructive et sans chialer. J’ai utilisé le cas vécu mais romancé d’un congé post-hospitalisation mal coordonné et probablement précipité. Ce patient a été hospitalisé 2 autres fois depuis. Hallucinant n’est-ce pas!Le week-end dernier, un autre patient de la pharmacie a subi le supplice de la porte tournante. Il quitte pour l’hôpital un dimanche, revient à la maison le samedi suivant, puis est de retour à l’hôpital moins de 48 heures plus tard. Selon ce patient, il aurait été « hospit » pour une infection qui s’est compliquée lors de son séjour par un infarctus du myocarde, mais qui sait ce qui s’est vraiment passé? Il n’y a aucune note sommaire au DSQ pouvant nous informer et guider les précieux conseils et actions potentielles pouvant éviter une ré-hospitalisation. On a juste reçu un beau «fax» samedi après-midi pour un patient vulnérable servi en pilulier. L’ordonnance de départ ne comportait aucun bilan comparatif visant les médicaments que prenaient le patient avant son admission, et s’il devait les reprendre ou non. Tout un défi pour le pharmacien remplaçant en devoir avec des ATPs temps partiels. Il devait plus ou moins deviner s’il fallait reprendre le diltiazem et l’amlodipine malgré l’ajout d’un bêta-bloqueur et de l’EntrestoMD? Un beau dilemme. Et vous, qu’auriez-vous fait? Je vous épargne les détails concernant 2 autres médicaments à poursuivre… ou non. Je vais juste mentionner que le résident qui avait fait l’ordonnance de départ semblait frustré qu’une autre collègue l’appelle lundi pour lui poser la question et qu’il n’a pas répondu en se cachant derrière l’équipe de garde en cardiologie. Finalement, pendant qu’on tentait d’avoir des réponses de cette équipe concernant certains médicaments n’ayant rien à voir avec la cardio, le patient était dans une ambulance, en route, de nouveau, vers l’hôpital. Même si son expérience de sortie d’hôpital n’avait pas été la meilleure espérée, il souhaitait retourner au même CH pour bénéficier de la continuité de son dossier. Un patient vulnérable mais sensé.Mon point ici est qu’il faut trouver des solutions pour éviter de telles situations qui se produisent trop souvent. Je sais que mes collègues de l’Association des pharmaciens des établissements de santé du Québec (APES) vont dire de les appeler et ils sont souvent très utiles, mais pourrions-nous avoir des processus plus fluides? Les ressources humaines et financières disponibles ne permettent pas aux pharmaciens propriétaires et leurs équipes de courir après des informations critiques à chaque sortie d’hôpital. J’en profite aussi pour donner de la visibilité aux Recommandations sur le parcours de soins pharmaceutiques chapeautés par l'APES. C’est un document très intéressant à l’échelle intra-professionnelle et j’ose espérer que le nouveau directeur(-trice) des médicaments et des soins et services pharmaceutiques pour Santé Québec dont parlait mon estimé collègue Marc Parent va en tenir compte lorsque les transitions de soins seront discutées avec les représentants des autres groupes de professionnels. J’espère que ce sera plus tôt que tard, car Santé Québec ne rencontrera pas sa mission en s’inspirant de la SAQ pour lancer un programme de fidélisation des patients à un CH. Plus sérieusement, la fluidité des parcours de soins doit faire l’objet d’un chantier impliquant des changements majeurs notamment en soins à domicile, mais il y a aussi des solutions à plus court terme pouvant venir du terrain. Pouvons-nous commencer par améliorer les communications aux pharmaciens lors de sorties d’hôpital? Mon expérience me porte à croire qu’un changement de culture est également requis pour que ce soit la santé du patient en général qui détermine s’il peut quitter l’hôpital et non seulement la stabilité retrouvée du système défaillant ayant justifié son admission. Notre réseau de santé surspécialisé devient lui-même défaillant quand il fonctionne en silos d’experts concentrés sur les prouesses à accomplir sur un seul organe au détriment, parfois, de certains autres.Lire aussi: Arrêtez tout ce ciné...Maintenant, que peuvent faire les pharmaciens en amont de l’hôpital ou pour aider les autres professionnels? Quelles activités à valeur ajoutée peuvent-ils réaliser pour rendre le travail des autres plus fluide? Est-ce que télécopier des profils médicamenteux pour le renouvellement d’ordonnances est une activité pertinente en 2025?Avant de partager mon avis sur ces questions, permettez-moi un petit détour historique. Savez-vous en quelle année le Groupe Jean-Coutu a lancé une plateforme permettant aux clients des pharmaciens propriétaires de son réseau de faire des demandes de renouvellement d’ordonnance en ligne? C’était au millénaire dernier, dans la même décennie où un projet d’expérimentation de carte à microprocesseur a eu lieu à Rimouski, six ans plus tôt. Un quart de siècle plus tard, toutes les personnes qui prennent des médicaments peuvent demander un accès en ligne à la liste de leurs médicaments à leur pharmacie et même l’imprimer. Il leur est aussi possible d’avoir un accès en temps réel à une liste de médicaments consolidée par l’entremise de leur carnet santé. Tout est accessible sur téléphone mobile et l’inscription est maintenant simplifiée grâce à la nouvelle méthode d’authentification gouvernementale qui permet aussi d’accéder à 8 autres services gouvernementaux. Les médecins et leurs assistants administratifs ont accès aux mêmes informations par l’entremise du DSQ et leur DMÉ qui y est interfacé en plus de l’être au registre de vaccination SI-PMI. Ironiquement, ils sont bien mieux outillés que les pharmaciens qui doivent faire 3 entrées de données différentes pour chaque vaccin administré. Mon expérience avec le DSQ est qu’il génère des profils médicamenteux exacts chez plus de 95% des patients. Les données moins fiables sont souvent des posologies qui ne font aucun sens. Elles sont donc faciles à détecter. Alors pourquoi certains médecins exigent des profils chez 100% de leurs patients ou, lorsque j’appelle au GMF, ai-je l’horreur d’entendre le message automatique suivant: «Si vous appelez pour un renouvellement d’ordonnances, demandez à votre pharmacien de nous envoyer une télécopie.» Quelle perte de temps pour les médecins… et les pharmaciens! Si le médecin n’a pas besoin de voir le patient, pourquoi le déranger pour qu’il signe et retourne une ordonnance par télécopieur alors qu’il a sa journée dans le corps? Je me répète, mais nous sommes en 2025: les pharmaciens peuvent prolonger des ordonnances. Évitons des actes administratifs aux prescripteurs pour qu’ils puissent poser plus de gestes à valeur ajoutée. Les messages sur les répondeurs des cliniques devraient demander aux patients de voir avec leur équipe de pharmacien si elle peut prolonger leurs ordonnances jusqu’au prochain suivi médicalement requis.Depuis le 7 novembre 2024, le 6o alinéa de l’article 17 de la loi sur la pharmacie , qui porte sur les prolongations, a été amputé de la limite suivante: la durée de prolongation d’une ordonnance ne peut excéder la durée de validité de l’ordonnance initiale ou, si cette durée est supérieure à un an, elle ne peut excéder un an. Il n’y a donc plus de limite de temps aux prolongations que les pharmaciens peuvent effectuer sauf celles dictées par leur jugement professionnel qui évalue la balance des risques et bénéfices. Avant de prolonger, les pharmaciens vérifient l’état général du patient, l’évolution de ses symptômes ainsi que la pression artérielle, les derniers résultats de laboratoires au DSQ ou d’autres signes cliniques pertinents, le cas échéant. Ils sont diligents à tous les égards pour bien faire les choses. De bonnes pratiques, qui m’ont personnellement fait découvrir l’occasion d’améliorer l’atteinte de résultats thérapeutiques en effectuant des prises en charge pour ajustements de doses ou des opinions pharmaceutiques visant à ajouter des médicaments requis pour l’atteinte de cibles reconnues.Les pharmaciens n’ont plus à avoir peur d’éventuelles compensations financières de la part de tiers payeurs pour des ordonnances prolongées trop longtemps. Cette ère est révolue même s’ils devront patienter pour la mise en application des autres points du paragraphe 2o de l'article 51 de la version sanctionnée du projet de loi 67. C’est ce que font aussi les principaux intéressés, qu’on appelle ironiquement «patients» et qui n’en peuvent plus d’attendre et seront rapides à solliciter les pharmacies lorsque des ressources financières suffisantes seront attachées au règlement de mise en application. La CAQ ne peut pas rater cette occasion d’améliorer sa popularité grâce à la valeur ajoutée des pharmacies. La pénurie de ressources qualifiées en pharmacie demeure un énorme défi et certains pharmaciens disent: «N’en ajoutez pas, la cour est pleine». Pour ma part, je crois qu’on peut y faire de la place en arrêtant de produire des profils dans les situations où il y a de meilleures alternatives. Il ne restera qu’une minorité d’exceptions visant des cas particuliers quand certains prescripteurs se seront débarrassés de la mauvaise habitude de prescrire sur des profils télécopiés par la pharmacie. Une pratique qui ne respecte pas les Bonnes pratiques en matière de rédaction d’ordonnances édictées par le Collège des médecins. On y lit: au lieu d’utiliser la télécopie de la demande reçue du pharmacien en l’annotant, la signant et la refaxant, le prescripteur devrait plutôt utiliser le module de renouvellement de son DMÉ pour renouveler les médicaments de ses patients. Bien qu’on mentionne plus loin dans le document que le prescripteur pourra utiliser la liste reçue d’une pharmacie pour fins de comparaison, celle-ci ne comporte pas les ordonnances servies dans toutes les pharmacies du Québec comme celle extraite du DSQ. Tout ceci me motive à responsabiliser les patients à utiliser leur carnet santé ou l’application mobile de la pharmacie pour informer les professionnels qu’ils consultent à propos de leurs médicaments. Lorsqu’on me demande un profil qui n’est pas urgent, je télécopie habituellement la méthode d’extraction de la liste des médicaments du DSQ avec les profils demandés. La pharmacie où je travaille tente aussi d’appliquer une politique visant à limiter le nombre de profils produits en demandant aux patients de venir les chercher lorsque possible. Pardonnez-moi, mais je crois que c’est en éduquant les autres tout en restant ouvert à apprendre d’eux qu’on restera efficace et engagé dans notre rôle d’optimisation de la thérapie médicamenteuse. Qu’en pensez-vous?

D’abord, ne pas nuire (2 de 2)

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Denis Roy

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