Contribuer en tant que dernier rempart

La santé est un sport d’équipe, et lorsque des médicaments sont sur l’aire de jeu, le pharmacien en est le gardien de but. Un joueur essentiel, un Rempart… de Québec… édition 2023, mettons!Comme toutes les analogies et surtout celles de hockey, celle-ci est boiteuse, car les actions d’un gardien de but sont évidentes et parfois spectaculaires. Le rôle du pharmacien est beaucoup plus subtil et peu connu. Il travaille souvent dans l’ombre. L’impact de son travail est pourtant indéniable, car il est le dernier à interagir avec le patient à la fin d’un processus visant des résultats: ce fameux circuit du médicament et tous ses problèmes qui en découlent.Interactions, duplications, doses inadéquates, effets indésirables, manque de littératie en santé, fausses croyances du patient, mauvaises utilisations, absence de suivi par manque de ressource et cibles de traitement non atteintes... Voilà le lot quotidien du pharmacien, qui obtient la capacité de régler de plus en plus d’enjeux pharmacothérapeutiques à chaque évolution de son champ de pratique. Une capacité essentielle, car les prescripteurs en ont beaucoup à faire. Tout comme les pharmaciens qui veulent régler les enjeux rapidement à cause de leur responsabilité principale d’assurer un système efficace de distribution et d’utilisation appropriée de médicaments. Nous n’avons pas que des patients. Les professionnels traitent aussi avec des impatients! Les données probantes telles que recensées dans la base de données d'IMPACT PHARMACIE (accessible avec le fureteur Chrome et non pas Edge) exposent la pertinence de faire appel à l’expertise des pharmaciens et de leur accorder les ressources nécessaires pour effectuer la gestion de la pharmacothérapie de leurs patients. Elles documentent l’atteinte de meilleurs résultats thérapeutiques obtenus lorsque les pharmaciens sont responsables de la prise en charge de la médication en comparaison avec les soins usuels offerts par d’autres professionnels et ce, pour plusieurs maladies chroniques dont l’hypertension artérielle. Les pharmaciens sont des spécialistes du médicament. À ce titre, ils peuvent répondre à des demandes de consultation provenant d’un autre professionnel habilité à prescrire pour évaluer la thérapie médicamenteuse d’un patient. C’est un secret bien gardé, notamment à cause du tarif payable qui permet rarement de défrayer le taux horaire du pharmacien salarié moyen. Cependant, les prescripteurs peuvent obtenir bien plus qu’une simple liste de médicaments déjà disponible au DSQ en effectuant une demande de consultation visant une des situations suivantes.Situations pouvant faire l’objet d’une demande de consultation à un pharmacienRévision de l’historique des traitements et des recommandations; Recommandations sur la conduite à tenir en rapport avec des effets indésirables ou des anomalies de laboratoire pour des traitements ou des médicaments; Analyse pharmacologique pour déterminer la présence ou l’absence d’un médicament en cause dans un problème de santé ou une anomalie de laboratoire; Plan de sevrage d’un médicament avec suivi; Évaluation des meilleures options pharmacologiques pour une condition particulière sans réponse au traitement pharmacologique de première intention; Suggestions d’un traitement alternatif ou d’un titrage de médicament lorsqu’il n’existe aucun algorithme de traitement ou nomogramme s’appliquant à ce patient.Au même moment que le pharmacien fournit sa réponse écrite à une demande de consultation, il pourra aussi demander un mandat de suivi et d’ajustement de la thérapie médicamenteuse du patient. Ce mandat pourra inclure la possibilité d’ajouter des médicaments de certaines classes afin d’atteindre des cibles de traitement reconnues ou même de «déprescrire» certains médicaments. Ainsi, le prescripteur, une fois le diagnostic différentiel complété, pourra déléguer la prise en charge de la pharmacothérapie de personnes atteintes d’hypertension artérielle, de diabète de type 2, de dyslipidémie, d’hypothyroïdie, de douleurs chroniques (incluant la migraine), d’asthme et de MPOC. Théoriquement et en vertu d’études cliniques, un tel processus de consultation permet d’optimiser l’atteinte de résultats chez les patients. Malheureusement, il n’est pas utilisé à cause de sa complexité et des difficultés d’implantation. Espérons que le processus règlementaire découlant du PL67 nous apportera mieux et que la négociation de meilleurs tarifs permettra l’expression de l’expertise des pharmaciens.À lire aussi: Arrêtez tout ce ciné...Dans l’immédiat, j’ai la chance de travailler avec une équipe extraordinaire qui me permet de prendre le temps de bien évaluer les patients qui n’ont plus d’ordonnances valides ni aucun suivi médical prévu pour plusieurs mois. Vous devriez voir tous les patients que j’attrape en effectuant des recherches avant de prolonger leurs ordonnances. Des personnes atteintes d’une multitudes d’enjeux de santé chroniques dont la médication n’est pas optimale. Des patients qui se trouvent parfois entre deux chaises ou qui voguent allègrement vers un premier ou un autre infarctus du myocarde avec un risque sur 10 ans à 40% ou plus, selon la calculatrice de l’INESSS.Récemment, j’ai même réveillé une professionnelle de la santé qui négligeait son propre risque vasculaire malgré une carrière dans le domaine. Une personne intelligente, mais axée sur les autres et qui marchait pieds nus en risquant une grosse plaie en termes de prévention vasculaire. Un A1C à 7,8, pas de statine, une pression artérielle hors cible et un frère «cardiaque». Elle n’avait pas encore trouvé statine à son pied et vivait avec la pensée magique que «ça n’arrive qu’aux autres». Elle négligeait sa cible de protection vasculaire et de pression artérielle en bas de 130/80. Pourtant, elle en avait vu, des vies détruites par un AVC, et elle avait contribué elle-même à la prévention d’enjeux vasculaires par ses bons conseils aux autres.Ce qui manquait à cette professionnelle était de se voir, elle, parmi les 50 bonhommes sur les 100 affichés à mon écran qui subiront une maladie cardiovasculaire dans 10 ans, alors que deux nouvelles pilules réduiraient ce nombre à 21 ou plus bas en adoptant également une alimentation de type méditerranéenne et en continuant de faire de l’activité physique régulièrement. Elle s’est reconnue et a eu un type d’épiphanie qui permettra à l’équipe de la pharmacie de s’occuper d’elle. Le plan prévoit déjà des suivis par textos utilisant Empego pour qu’elle nous envoie des photos de son carnet de pression artérielle. L’équipe utilisera aussi les techniques d’entrevues motivationnelles pour garder ses artères libres d’enjeux.À lire aussi: La fin du bordelVoici une belle histoire qui, avec un peu de chance, se déroulera bien. Il y a évidemment des cas plus difficiles attribuables à de fausses croyances chez des patients qui «font leurs recherches» avant qu’on ait la chance de leur présenter des données probantes validées. On travaille avec eux dans le respect et en cherchant la création d’une alliance thérapeutique facilitée par des contacts mensuels. Il y a aussi plusieurs autres cas moins heureux qui échappent à l’expertise des pharmaciens, notamment en vertu de l’absence de ressources humaines et financières permettant une surveillance systématique de la thérapie médicamenteuse. Cette surveillance est apparue dans la loi sur la pharmacie du temps du ministre Jean Rochon, mais elle n’a jamais été reconnue dans le tarif payable par la RAMQ pour ses assurés. Il est vrai que les pharmacies qui ont une importante clientèle assurée par le privé ont certaines ressources qu’elles peuvent mutualiser en les affectant au suivi de l’atteinte des résultats, mais elles sont limitées par la compétition sur les prix et la pression des payeurs privés qui demandent de magasiner. La pénurie de pharmaciens et de ressources qualifiées demeure l’autre limite significative qui affecte tous les milieux de pratique.Pourtant, une autre calculatrice permet d’estimer des économies très substantielles sur 30 ans, qui pourraient subvenir grâce à l’application systématique d’une intervention de pleine portée par les pharmaciens à l’ensemble de la population hypertendue du Canada. Devinez ce chiffre? Allez-y? Des millions? Des milliards? Est-ce possible? Oui, il est question de 15,7 milliards de dollars en économies nettes sur 30 ans après avoir payés les honoraires des pharmaciens, et ce au tarif de l’Alberta qui est 2 à 3 fois plus élevé que celui payable au Québec pour le suivi et l’ajustement d’antihypertenseurs. Oui, juste en hypertension, ça représente tout un retour sur l’investissement en ressources pharmaciens pour améliorer la santé. Ce sont des centaines de millions annuellement dont Santé Québec pourrait bénéficier, alors que le vieillissement de la population deviendra une charge encore plus importante qu’elle ne l’est aujourd’hui et qu’il faudra plus de contributeurs en santé à notre productivité collective et PIB par habitant. On pourrait certainement ajouter un impact économique additionnel provenant d’interventions de pharmaciens visant la thérapie médicamenteuse en MPOC, asthme, diabète ou autres. Sans compter le nombre de rendez-vous potentiellement libérés chez les médecins et IPS afin qu’ils se concentrent sur leur rôle diagnostic. J’ose espérer que le MSSS et une majorité de professionnels partagent cette vision d’avenir à moyen et long termes, car les négociations actuelles doivent prioriser l’atteinte de résultats de santé grâce à des parcours de soins efficaces, sécuritaires et satisfaisants pour qu’on se sorte de notre pétrin actuel. Je comprends très bien la légitimité du quintuple objectif qui inclut le bien-être des RH affectées aux soins, mais ma raison d’être, c’est la santé des gens, et un indomptable mammouth, ça se mange un morceau à la fois. Je commence donc par placer le patient avant moi. Je sais que nous sommes tous usés par certains usagers et les contraintes existantes, mais vous reste-t-il du courage pour un travail mieux organisé misant sur les compétences les plus fortes de chacun? Profitez de vos moments de ressourcement durant l’été car, si tout va bien, il y aura 1900 pharmacies qui seront mieux habilitées à venir en renfort aux quelques 360 GMF avant la prochaine saison des virus respiratoires. La force de ces nombres me donne espoir qu’avec vous, c’est possible et que les négociations vont attribuer les ressources aux bonnes places. Êtes-vous partant?

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Denis Roy

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