J’ai tout fait pour résister à la tentation… mais!

Je m’étais promis que je n’écrirais plus sur les sorties d’hôpital. Il y déjà trop d’histoires d’horreur sur la page Facebook des pharmaciens et je n’aime pas «gratter les bobos». On en a aussi amplement discuté dans les corridors et même sur la scène de l'Événement des pharmaciennes et pharmaciens 2025 à Québec récemment. Ceci a permis une sorte de catharsis de groupe et expier plusieurs frustrations. Ça fait du bien sur le coup, mais parler dans une chambre d’écho après avoir effectué le «fist bump» secret des pharmaciens ne fait pas changer les choses.Vous avez compris, j’ai un autre cas vécu pour vous. Ce sera le dernier! Me croyez-vous? On verra, car le quotidien de l’équipe à la pharmacie est bien alimenté en transitions de soins qui pourraient être plus harmonieuses… Mettons!Je dédie ce dernier cas à la collègue Geneviève Cayer, qui est la nouvelle directrice des médicaments et des soins et services pharmaceutiques à Santé Québec. Madame Cayer sera la première personne à avoir la responsabilité de coordonner les parcours de soins pharmaceutiques dans toute la province. Elle y travaillera dans une organisation dont le père, Christian Dubé, carbure aux données. On peut donc imaginer que le pourcentage de réadmissions à l’hôpital dans les 30 jours de l’obtention de soins médicaux sera sur son écran radar. C’est un indicateur intéressant dans l’évaluation de la qualité des soins et leurs transitions. Avez-vous une idée du pourcentage de patients quittant nos hôpitaux qui vivent la déception d’y revenir moins d’un mois après avoir espéré y avoir été bien traité? Est-ce 1 patient sur 20? 1 sur 10? Selon l’Institut Canadien d’information et la santé (ICIS), ce fût 12,3% au Québec en 2022-2023. Plus d’un patient sur 10 subit cette défaillance du système qui est souvent reliée à une utilisation sous-optimale de médicaments ou un enjeu de transitions de soins et de suivis. Bonne chance Mme Cayer, car ce chiffre n’inclut pas tous les cas que les pharmaciens attrapent malgré une passe de l’hôpital qui est loin d’être parfaite, comme celle que je vais maintenant décrire.Madame Andycap Vu est une patiente greffée du rein il y a 10 ans qui est admise au département de pneumo où on lui diagnostique une infection à pneumocystis jirovecii. Comme cette patiente sait se débrouiller, a une excellente littératie en santé et était déjà connue de l’équipe locale en soins à domicile (SAD), la transition de soins se passe plutôt bien malgré l’absence de pharmacien spécialiste sur ce département. A priori, le seul enjeu réside dans l’absence d’honoraires payables à la pharmacie pour préparer les seringues dont cette patiente fonctionnellement aveugle a besoin pour s’administrer oralement l’atovaquone prescrite. Est-ce une bonne utilisation de ressources de faire déplacer une infirmière deux fois par jour à domicile pour ceci? Poser la question, c’est y répondre!Une fois cet enjeu réglé, les ordonnances en BCM de sortie - qui n’indique pas la médication à l’admission - sont validées et la procédure concernant le service en pilulier est suivie par mes collègues. Tout se passe relativement bien… en apparence. Madame Vu prend ses médicaments pour quelques semaines, puis l’équipe des piluliers me demande de faire une prolongation pour le tacrolimus et le mycophénolate mofétil (MMF). Je connais bien l’importance de prolonger les anti-rejets, mais je prends les précautions requises en évaluant la situation que je ne connaissais pas jusque-là. Je constate que la patiente a été « hospit » et je suis curieux de savoir pourquoi les anti-rejets ne sont pas renouvelables. Je pousse mes recherches pour constater que l’ordonnance indique que les doses de tacrolimus et de MMF sont à réévaluer. Elles ont été réduites au quart de ce que la patiente prenait en tacrolimusavant son admission et à la moitié, pour le MMF. Pourtant, madame Vu n’a commencé aucun nouveau médicament pouvant affecter leur métabolisme. Vite au DSQ, car je n’ai pas le culot ou le temps d’appeler à l’hôpital pour avoir les derniers dosages des anti-rejets 😊. J’y trouve un résultat pour le tacrolimus à 2,4. Le prélèvement a été effectué cinq jours après le congé, mais aucune valeur normale n’accompagne ce résultat. Je trouve une cible entre 5 et 20 dans Rx Vigilance. Un drapeau rouge se lève. Je me questionne sur les raisons qui auraient pu justifier une telle réduction de doses. Avant que j’y pense, mon brillant collègue, qui fait le roulement à mes côtés, me suggère que la réduction de dose visait probablement à rétablir les « blancs » pour mieux combattre l’infection opportuniste dû à l’immunosuppression. Il reste à déterminer pour combien de temps madame Vu peut se permettre d’être à ce point «sous-thérapeutique».J’appelle donc madame Vu. Elle me signale un suivi en pneumologie dans deux semaines, mais aucun en néphrologie ou dans une autre spécialité. Elle mentionne qu’elle va contacter son infirmière du soutien à domicile (SAD) pour savoir s’il y a des détails au dossier sur le besoin d’ajuster ses anti-rejets, puis elle va me rappeler. Je prépare une note pour la télécopier au département de néphrologie qui suit cette patiente. J’y explique la situation et demande qu’il y ait discussion avec le pneumologue pour qu’une décision soit prise sur les doses à donner. Ce n’est pas une opinion pharmaceutique payable et je sais que j’aurais pu ajuster les doses moi-même, mais je me suis gardé une petite gêne dans le contexte. Vous, qu’auriez-vous fait? Pour ma part, j’ai prolongé pour une semaine aux doses réduites en remettant une requête à la patiente pour une formule sanguine, une évaluation de sa fonction rénale et des dosages de tacrolimus et MMF. Ma télécopie en néphrologie indiquait qu’il y aurait des données fraîches au DSQ et j’ai prévu un appel de suivi à madame Vu.Une heure plus tard, la patiente me rappelle pour confirmer que l’infirmière du SAD va s’assurer du suivi pour obtenir une ordonnance à la bonne dose. Madame Vu se confesse aussi de s’être rappelée qu’elle avait le numéro de téléphone portable de son néphrologue et de l’avoir utilisé un peu plus tôt. Le hic, c’est qu’elle l’a réveillé d’un sommeil profond alors qu’il était en voyage. OUPS! Le Docteur n’était pas content.Je vous épargne des autres détails et démarches. Je vous confirme seulement qu’on n’a pas fait un, mais deux autres changements de pilulier dans les jours qui ont suivi. Ses doses d’anti-rejets sont revenus graduellement au même niveau qu’avant son hospitalisation. Merci à chaque membre de l’équipe qui a pris le relais dans ce dossier pendant que j’étais à Québec pour la première journée de l’Événement des pharmaciens. Cette équipe gère des cas compliqués comme celui-ci au moins une fois par semaine. Je vous dis que tous les membres de l’équipe travaillent tous fort pour leur salaire. C’est juste triste que les honoraires payables par la RAMQ à leur pharmacienne propriétaire ne couvrent qu’une petite partie du temps passé sur de tels cas. J’émets le souhait que la nouvelle Direction de Santé Québec saura réduire le nombre de cas problématiques de sorties d’hôpital. Ceci devrait m’aider à vous écrire sur d’autres sujets plus réjouissants comme le centenaire de l’École/Faculté de pharmacie de l’Université Laval, célébré à la fin de l’Événement des pharmaciens. Félicitations à tous ceux impliqués. Je regrette d’avoir manqué la deuxième journée. Le devoir m’appelait à la pharmacie pour prendre des nouvelles de madame Vu.La séance d’ouverture de l’Événement fut spectaculaire. C’était inspirant de prendre connaissance d’une vision 2045 et de se la faire communiquer en grande pompe. Je me souviens, il y a plus de 20 ans, d’une réunion du CA de l’OPQ où une administratrice avait humblement exprimé une vision 2020 que les autres trouvaient trop éloignée dans le temps. Pourtant, le futur lui a donné raison. 2020 a amené son lot de défis en pharmacie. On a notamment implanté le PL31, instauré la vaccination et prescrit le PaxlovidMD. Tout cela a été réalisé dans un contexte extrêmement difficile qui a laissé des marques, mais ce n’est pas le point que je veux faire. Cette administratrice avait une vision qui s’est réalisée et continuera d’évoluer à l’automne. Pour ce qui est de celle qui nous a été présentée pour l’année 2045, on a notamment prédit des transitions fluides entre l’hôpital et le milieu de vie. Celles-ci facilitées par le partage d’un dossier patient unique accessible autant par la pharmacie de quartier, le GMF ou l’hôpital. Un Dossier Santé Numérique « plus » bien structuré et dans lequel il est facile de naviguer. Un dossier unique partagé comportant toute l’information, toutes les notes et surtout les résumés et sommaires pertinents à la santé de chaque patient. Je pense que ça se peut… dans 20 ans… ou peut-être avant. Qui sait? C’est une belle vision à avoir. Loin d’être «ordinaire» comme le passage suivant de la chanson de Robert Charlebois : «Tout ce que je veux c’est que ça clique!». Excusez-la!

J’ai tout fait pour résister à la tentation… mais!

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