Crise des surdoses: médecins, pharmaciens, comment agir?

La crise des surdoses n’épargne pas le Québec et la situation semble aller en s’empirant. Alors que le Comité consultatif spécial sur l’épidémie de surdoses d’opioïdes a recensé plus de 40 000 décès liés à la consommation de substances au niveau national entre janvier 2016 et juin 2023, le Québec déplorait en moyenne 42 décès par mois entre juillet et septembre 2023 selon les données de l’INSPQ. Des décès évitables et prématurés, et «un risque de surdose qui concerne tout le monde», rappelle Kim Brière-Charest, directrice des projets en substances psychoactives à l’Association pour la santé publique du Québec (ASPQ). ProfessionSanté.ca a rencontré la spécialiste à l’occasion du deuxième Sommet pour la santé durable organisé par l’ASPQ à Montréal. Préoccupée par la situation actuelle au Québec, Kim Brière-Charest prévient qu’il ne s’agit que «de la pointe de l’iceberg»: «plusieurs indicateurs montrent que la crise s’amplifie, comme le nombre de surdoses renversés dans les services de consommation supervisée, et le nombre d’interventions des services ambulanciers dans la métropole. Mais une grande partie des surdoses se gèrent en communauté, pas en appelant le 911, et ne sont donc pas monitorées. Le portrait auquel on a accès n’est pas complet», estime-t-elle.Une perte de confiance dans le système de santéEt notre système de santé ne semble pas, pour l’instant du moins, au rendez-vous, la faute à des budgets limités et à un nombre grandissant de patients à prendre en charge. «On est dans un système qui gère les urgences, et on en a besoin. Mais on pourrait faire davantage en terme de prévention, car malgré l'usage de la naloxone, les surdoses restent parfois mortelles.» Surtout, les surdoses ne sont pas uniquement dûes à la consommation d’opiacés. D’après des analyses des rapports du coroner, 65% des décès par surdose sont liés à une polyintoxication. Surtout, certains patients ne semblent plus avoir confiance en leur système de santé, regrette la spécialiste: «on entend encore des témoignages de personnes ayant subi une chirurgie mais qui ne se font pas prescrire d’antidouleurs parce que leur dossier médical fait état d’une situation antérieure de dépendance avec une molécule d’opioïde. Ce genre de traitement différentiel peut être préjudiciable pour le rétablissement de la personne, qui pourrait alors se tourner vers le marché noir pour soulager sa douleur.»À lire aussi: Crise des opioïdes: il faut faire «de la pédagogie», selon Mauril Gaudreault6 actions à poserComment faire pour restaurer cette confiance? Au-delà de nécessaires politiques de santé publique, comment les professionnels de la santé peuvent-ils agir au quotidien pour assurer une prise en charge optimale et bienveillante des patients, et contribuer à enrayer la crise des surdoses? Kim Brière-Charest nous donne quelques pistes de réflexion. Se défaire de ses préjugés«Souvent, la stigmatisation ou les expériences négatives que les personnes peuvent vivre lorsqu’elles parlent de leur consommation, et le fait que cette consommation soit déjà affichée dans leur dossier médical, peut les freiner à vouloir se rabattre à nouveau vers le réseau de la santé et des services sociaux (RSSS)», estime Kim Brière-Charest.«On voit beaucoup de personnes en situation de désaffiliation sociale et donc en retrait des ressources, alors qu’elles ont des besoins élevés. Cela se traduit malheureusement souvent par des hospitalisations beaucoup plus longues, dans le cas d’une infection non traitée par exemple. L’état de santé peut se dégrader et mener à des complications évitables.»Selon elle, il faudrait commencer par regarder la consommation de substances d'un autre oeil: «on peut entendre que ces personnes mobilisent trop le système de santé alors qu’elles ont elles-mêmes décidé de consommer. Mais la dépendance n’est plus une affaire de choix. On doit regarder au-delà et s’intéresser aux personnes qui sont en face de nous.»Connaître les ressources et savoir les mobiliser«Il est primordial que le professionnel de la santé confronté à des enjeux de consommation ou de dépendance puisse et sache se référer à des services spécialisés en la matière. Nous avons la chance d’avoir des services dédiés au Québec, et il faut créer ces cordons-là pour favoriser l’accès aux soins et prendre soin de ces personnes.»À lire aussi: Le CMQ et la FMSQ réticents au consentement présumé du don d'organesMais cela prend du temps, reconnaît la spécialiste: «les démarches sont parfois incompatibles avec le contexte d’urgence que les personnels vivent au quotidien. Ces derniers n’ont pas non plus forcément tous les outils à leur disposition, et il y a aussi une méconnaissance de certaines ressources existantes. Une prise en charge insuffisante n’est pas tant une question d’intention que de ressources disponibles, à mon avis. On doit créer un maillage dans notre système de santé, sectoriser certains services, car connaître différents champs permet de voir la santé du patient dans sa globalité.» Prendre le temps de sensibiliser les patients«Il y a déjà des messages d’avertissement sur certaines boîtes de médicaments concernant les risques de surdose, c’est un bon début. Cependant, si un professionnel de santé prend le temps, ne serait-ce que 30 secondes, pour nommer les enjeux à un patient qui ne saurait pas ou ne penserait pas à bien lire l’étiquette du médicament, cela pourrait être salvateur. Il faut aussi aborder la question de la fréquence de la prise du médicament, des doses et des symptômes qui pourraient annoncer une dépendance, car les opioïdes sont utilisés pour plusieurs enjeux de santé. Les médecins peuvent aussi améliorer l’autonomie des patients en leur permettant d’être eux-mêmes vigilants sur leur prise de médicaments.Il faut aussi s’assurer que les ressources soient disponibles dans les quartiers et les différentes localités. Les services de proximité comme les pharmacies sont au plus près des personnes vulnérables, et pourraient donc proposer des flyers par exemple, avec des ressources utiles comme celles permettant de faire analyser sa drogue.»Adopter une approche bienveillante «Pour rétablir le lien de confiance entre les professionnels de la santé et les patients, ces derniers ne devraient pas avoir à se justifier en venant chercher de la naloxone, par exemple, ni sur leur état de santé mentale ou leurs difficultés socioéconomiques. Les professionnels de la santé doivent se former mais aussi avoir une approche bienveillante, pas seulement une approche de solutions. La question de la consommation et de la dépendance est complexe. Peut-être que cette situation de dépendance n’est pas ce qui pèse le plus sur la personne, peut-être que cette question devrait être traitée après l’enjeu principal – familial, professionnel ou financier, par exemple.»Être à l’écoute d’autres problèmes«Le médecin ne devrait pas hésiter à poser des questions pour savoir si la personne va bien, car les problèmes socio-économiques et de santé mentale prévalent chez les consommateurs de substances», rappelle la spécialiste. En effet, certaines fragilités quotidiennes – un burn-out au travail, une séparation, l’expulsion d’un logement – peuvent amener des personnes à vouloir soulager une douleur qui n’est pas que physique. D’autres encore consomment sur une base récréative.» Un besoin d'écoute qui n'est pas exclusif au milieu de la santé, selon elle.«Un changement de culture généralisé doit s’opérer au Québec. Les humains consomment des substances psychoactives depuis des millénaires, donc on doit se demander quelle est l’approche viable à adopter, sachant que la consommation ne va pas s’arrêter.»De nécessaires changements structurelsParmi les autres pistes de solutions, Kim Brière-Charest évoque par exemple l'anonymat en pharmacie: «les organismes communautaires alertent sur le fait que beaucoup de personnes n’ont pas accès à la couverture santé provinciale, parfois parce qu’elles ont perdu leurs papiers d’identité par exemple. C’est un frein pour qu’elles puissent se procurer de la naloxone en pharmacie notamment.» Le fait que l'acte soit noté dans leur dossier peut aussi leur faire peur, ou faire naître un soupçon de dépendance chez le médecin. «Un accès anonyme et qui ne nécessite pas l'assurance maladie (RAMQ) pourrait vraiment permettre de toucher plus de consommateurs, reprend la spécialiste. La naloxone est sous un registre de médicaments contrôlés, donc il s’agirait de modifier certains critères pour faciliter cet accès.»À lire aussi: Le gouvernement reporte jusqu’en 2027 l'élargissement de l’admissibilité à l'AMMKim Brière-Charest appelle enfin à l’instauration de mesures collectives et d’éléments structurants, pour envoyer un message clair à l’ensemble des établissements «et s’assurer qu’il n’y ait pas de traitement discriminatoire envers ces personnes qui consomment des substances». Les bonnes pratiques de prescriptions rappelées par le Collège des médecins du Québec, son nouveau programme de surveillance, ainsi que les nouvelles substances surveillées par la RAMQ sont pour elle de bonnes mesures, mais «il ne faudrait pas qu’elles entravent l’approvisionnement sécuritaire et donc de continuer d’assurer l’accès aux consommateurs en risque de surdose qui, autrement, iraient s’approvisionner sur le marché noir, avec des drogues contaminées». Alors que des molécules comme la méthadone et la suboxone sont aujourd’hui disponibles, elles pourraient ne pas suffire à contrer la haute tolérance développée par certains consommateurs, prévient Kim Brière-Charest. «Il faut s’adapter au besoin, être à l’écoute mais aussi avoir des pratiques préventives. Tout doit se conjuguer ensemble.»

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