COVID longue: l’épidémie mystérieuse et silencieuse

Les premiers cas ont été documentés en juillet 2020, entre les deux premières vagues de la pandémie de COVID-19. Depuis, la COVID longue – que l’on appelle également affection post‑COVID-19 ou syndrome post-COVID – a été l’une des maladies les plus étudiées avec près de 600 études cliniques menées à travers le monde. La moitié d’entre elles ont testé des thérapies potentielles, jusqu’ici en vain.Malgré ces efforts de recherche pour mieux cerner et soigner la COVID longue, «il reste encore beaucoup d’inconnus», convient la Dre Emilia Liana Falcone, directrice de la clinique de recherche post-COVID-19 à l’Institut de recherches cliniques de Montréal (IRCM). «Tout pointe vers une dérégulation du système immunitaire qui va dans le sens de l’auto-immunité», observe toutefois l’infectiologue qui évoque d’autres caractéristiques avérées comme la persistance virale dans l’organisme, des enjeux sous-jacents au niveau du microbiote intestinal ou encore une inflammation des vaisseaux sanguins. «On constate également une différence entre hommes et femmes, biologiquement et immunitairement», ajoute la clinicienne-chercheuse en spécifiant que les secondes sont plus à risque.La particularité de la COVID longue, qui complique la tâche des médecins en première ligne, «c’est sa très grande hétérogénéité clinique qui rend son diagnostic délicat à poser», indique le Dr Alain Piché qui dirige quant à lui la clinique post-COVID-19 du CIUSSS de l’Estrie. Fatigue intense et parfois incapacitante, malaise post-effort, brouillard mental, troubles de la mémoire, myalgies et arthralgies, perturbation des sens, hypersensibilité cutanée, visuelle ou auditive, maux de ventre, inconfort ou douleur thoracique, dysautonomie cardiaque, anxiété ou encore stress post-traumatique, les personnes atteintes présentent un large éventail de symptômes – plus d’une centaine ont été recensés! «La difficulté, c’est qu’ils sont non spécifiques. On doit donc tâtonner en procédant à un diagnostic par exclusion», signale le microbiologiste-infectiologue.Pour ajouter à la complexité, ces symptômes peuvent varier dans le temps, s’estomper ou s’intensifier, disparaître ou réapparaître. De plus, certains patients ont vu des problèmes médicaux préalables s’aggraver et persister après avoir contracté la COVID-19, mais on ignore si c’est la COVID-19 qui a empiré leur condition antérieure ou si celle-ci a engendré la COVID longue. D’autres présentent des symptômes concordants, «mais comme les gens ne se testent plus pour la COVID-19, ça complique encore plus les choses», indique le Dr Piché.«L’affection post COVID-19 survient chez des personnes présentant des antécédents d’infection probable ou confirmée par le SRAS-CoV-2, généralement 3 mois après l’apparition de la COVID-19 avec des symptômes qui persistent au moins 2 mois et qui ne peuvent être expliqués par un autre diagnostic. Les symptômes courants comprennent la fatigue, l’essoufflement, un dysfonctionnement cognitif, mais aussi d’autres symptômes qui ont généralement un impact sur le fonctionnement quotidien. Les symptômes peuvent être d’apparition nouvelle après un rétablissement initial à la suite d’un épisode de COVID-19 aiguë, ou persister depuis la maladie initiale. Les symptômes peuvent également fluctuer ou récidiver au fil du temps.» — définition de la COVID longue adoptée en février 2023 par l’Organisation mondiale de la santéUne prévalence significativeQuoi qu’il en soit, un nombre significatif de patients en souffrent et sont très affectés, la moitié d’entre eux ayant des symptômes persistant plus de deux ans. Selon des données de l’Enquête canadienne sur la santé et les anticorps contre la COVID-19, menée à l’été 2024 par Statistique Canada, 16,7% des adultes ayant déclaré une infection confirmée ou suspectée par le SRAS-CoV-2 ont présenté un syndrome post-COVID-19. Et plus de la moitié «ont signalé des limites notables dans l’exécution de [leurs] activités quotidiennes.»Une étude de l’Institut national de santé publique du Québec (INSPQ), réalisée auprès de 6000 travailleurs de la santé infectés par la COVID-19 entre le début de la pandémie et le mois de juin 2023, a montré que 15% d’entre eux ont déclaré avoir présenté des symptômes persistant pendant 12 semaines ou plus après l’infection initiale. Au moment de l’enquête (août 2023), «on estime que 6% de tous des travailleurs de la santé du Québec présentaient encore des symptômes [d’affection post-COVID-19]» et un tiers avaient au moins un symptôme sévère.Lire aussi: SRAS-CoV-2, grippe ou VRS: quel virus est le plus létal?Codirecteur scientifique du réseau pancanadien de recherche Long COVID Web, Simon Décary a collaboré à une étude de suivi clinique menée pendant deux ans auprès de 4000 patients diagnostiqués avec la COVID longue. Il estime que la probabilité de la développer se situerait plutôt aux alentours des 5%. Un chiffre «plus proche de la réalité», notamment en raison de la vaccination qui diminue l’incidence de la COVID longue de même qu’elle réduit la gravité et la durée de ses symptômes, explique le physiothérapeute, professeur à l’École de réadaptation de la Faculté de médecine de l’Université de Sherbrooke. La Dre Emilia Liana Falcone considère pour sa part qu’«on ne peut pas savoir exactement combien de patients (en souffrent), car on ne sait plus combien ont réellement eu la COVID-19. Donc on n’a pas le vrai dénominateur.» Et comme les symptômes de la COVID longue sont associés à d’autres conditions, «on peut manquer des diagnostics» et donc avoir un dénominateur erroné. Seule certitude selon l’infectiologue, tirée de l’étude de l’INSPQ, «le risque augmente à chaque réinfection». Il est de 13% après une infection, de 23% lors d’une deuxième infection et de 37% après la troisième.Lutter contre l’errance médicale par la formationLargement méconnue, difficile et longue à diagnostiquer, l'affection post‑COVID-19 passe facilement sous les radars des cliniciens en première ligne. Plusieurs médecins de famille consultés par Profession Santé disent ne plus en entendre parler et n’avoir aucun cas parmi leur clientèle. Or, statistiquement parlant, ils en comptent forcément quelques-uns. «Soit j’ai été chanceux, soit je ne suis pas bon à les attraper», commente un omnipraticien, fataliste. «Comme médecin, on ne peut pas faire grand-chose pour ces patients, c’est assez démoralisant.»Résultats, les gens atteints «vivent beaucoup d’errance médicale. Leur cheminement est assez difficile. Leur médecin de famille peut y croire plus ou moins. Il peut aussi confondre la COVID longue avec un burn-out ou une dépression. Beaucoup ont eu à convaincre leur médecin pour avoir une référence dans notre clinique spécialisée», observe le Dr Paul Piché, persuadé qu’il y a «encore de l’ouvrage à faire» en termes de formation continue. Lire aussi: La COVID longue, une énigme qui fait vivre l'enfer à ses victimesEn partenariat avec les fédérations médicales des omnipraticiens et des spécialistes, le réseau Long COVID Web va ainsi lancer en mai prochain «un grand programme de formation, gratuit pour tous les professionnels de la santé», annonce Simon Décary. Il vise à partager les connaissances pour élargir les compétences, «le but étant notamment d’autonomiser les médecins de famille, tant au niveau du diagnostic que de la prise en charge», souligne le professeur-chercheur en précisant que le réseau des 15 cliniques COVID longue qui parsèment le Québec (dont font partie celles des Drs Falcone et Piché) peine à répondre à la demande. «Actuellement, 4000 personnes sont suivies dans l’ensemble de ces cliniques. 2000 autres sont en attente d’admission et on reçoit plus de 100 nouvelles références par mois.»L’avenir des cliniques spécialisées en questionSur place, les patients bénéficient d’une évaluation approfondie de leurs conditions à l’aide d’une batterie de tests. Ils entrent ensuite dans une démarche de réadaptation personnalisée, le but étant de diminuer leurs symptômes et de les rendre à nouveau fonctionnels. Ergothérapie, physiothérapie, psychologie et autres services paramédicaux, «on aide les patients à gérer leurs symptômes au quotidien. Hormis ça, on manage leurs symptômes un par un dépendamment si des traitements existent», résume brièvement le Dr Piché en convenant que cette approche multidisciplinaire peut être longue et fastidieuse, mais qu’elle donne généralement de bons résultats. Créé il y a trois ans par le gouvernement, ce réseau de cliniques spécialisées a permis de développer une expertise assez unique, affirme Simon Décary. «On est parmi les meilleurs au monde», prétend-il en indiquant qu’«ailleurs, beaucoup de cliniques dédiées ont fermé leurs portes.» La Dre Falcone abonde dans le même sens. «Le Québec a fait de beaux efforts. Ce réseau nous démarque. Il faut assurer sa continuité et le maintenir, car la demande est encore là», plaide la médecin en craignant que le financement du réseau ne soit pas renouvelé. Dans un contexte de compressions budgétaires en santé, «la question est en évolution», souligne-t-elle.Lire aussi: Serons-nous mieux préparés à la prochaine pandémie?Du côté du ministère de la Santé et des Services sociaux (MSSS), on indique que «le projet pilote du réseau de cliniques spécialisées est en phase d’évaluation dans le but d’améliorer et d’optimiser l’accessibilité et la fluidité des soins et services offerts aux personnes atteintes de la COVID longue.» S’agissant du financement du réseau, il «a été rehaussé à l’automne et confirmé pour l’année à venir (2025-2026)», précise Marie-Claude Lacasse, une porte-parole du MSSS. Pour les années suivantes, «ce sera à Santé Québec de déterminer la hauteur du financement », ajoute-t-elle en mentionnant que «le MSSS a souligné à Santé Québec l’importance de prioriser le financement des cliniques.»En attendant, la Dre Falcone évoque à demi-mot «deux gros papiers très prometteurs» que son équipe de recherche s’apprête à publier. L’un porte sur des biomarqueurs sanguins de la COVID longue, laissant entrevoir la possibilité de mettre au point un test de dépistage. L’autre concerne une nouvelle cible thérapeutique identifiée chez les souris. Affaire à suivre dans les prochaines semaines.

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