Comment maintenir un service essentiel en cas de sinistre

Le ciel transpirait la fumée depuis déjà plusieurs jours à Chibougamau lorsque l’avis d’évacuation a été émis, le 6 juin 2023. Il a provoqué un branle-bas de combat dans la municipalité de 7300 habitants, incluant dans la pharmacie de Frédéric Duchesne et de François Morin.Lorsqu’un sinistre survient en pharmacie, le premier réflexe est de penser aux patients. Comment assurer la continuité des soins et des services dont ils ont besoin? Avec le soutien de nombreux partenaires, une préparation adéquate et une grande résilience, les deux pharmaciens propriétaires sont arrivés à garder le cap sur le plus important.Des incendies historiquesFrédéric Duchesne était à Québec le 6 juin 2023 à 20h, lorsque la mairesse a annoncé sur Facebook l’évacuation de la ville de Chibougamau. «Ma conjointe m’a appelé. Je venais d’arriver à Québec. J’ai immédiatement repris la route pour arriver [à Chibougameau] au milieu de la nuit», se rappelle le pharmacien.La seule route encore opérationnelle était barrée, réservée exclusivement aux véhicules d’urgence. «La route pour sortir de Chibougamau était congestionnée par tous les résidents évacués. Il n’y avait aucun autre point d’entrée à la ville, les autres accès étaient bloqués par le feu. On a dû coordonner l’évacuation à distance.»Après avoir évacué sa famille et récupéré des documents comme les passeports et les certificats de naissance, le pharmacien a évidemment pensé à ses patients. «On a des collègues, des employés qui sont allés à la pharmacie chercher les piluliers. Notre équipe de Chibougamau a opéré la pharmacie à partir de Roberval. McKesson nous a aidés à mettre en place des VPN pour avoir accès à nos logiciels à distance. Le tout s’est fait rapidement afin de continuer à servir la population», poursuit Frédéric Duchesne.Au feu!Le 24 juillet (année?)à 3h du matin, Valérie Marcouiller s’est fait réveiller. L’alarme incendie de sa pharmacie, située dans l’arrondissement Mercier, à Montréal, hurlait.À son arrivée sur place, elle a constaté que les vitres étaient fracassées, la porte de la réception grande ouverte. Les pompiers avaient maîtrisé l’incendie. « Mon conjoint, qui est le gérant de la pharmacie, a eu une entreprise dans le sinistre commercial auparavant. Il savait quoi faire. À 4h30, des amis sont arrivés pour barricader et pomper l’eau. On ouvrait à 8h », raconte la pharmacienne.La cause? Une imprimante avait pris feu. «Dans ma tête, on changeait le meuble et c’était fini. Mais la suie s’était déposée partout, entre le plafond suspendu et le toit. Ça a causé beaucoup de dégâts, en plus de l’eau un peu partout», explique la propriétaire.Valérie Marcouiller a dû se résoudre à fermer la pharmacie pendant 24h avant de trouver une façon de l’opérer. « Les employés accueillaient les patients et nous faisions le chemin de l’arrière à l’avant avec les médicaments. On travaillait avec des oreillettes et des walkies-talkies. Des processus qu’on avait testés pendant la pandémie! » explique-t-elleEn consultant l’équipe au siège social de Jean Coutu et les assureurs, un plan a été établi. «Je n’ai jamais pensé devoir prendre des décisions importantes aussi rapidement. J’avais un plan de contingence, mais je ne suis même pas allée le voir!»Le nouveau plan qui a été élaboré : diviser la pharmacie pour avoir un laboratoire à l’avant, défaire le plafond à l’arrière et tout nettoyer. «On m’a dit que ça prendrait cinq à six mois pour tout reconstruire. L’ouragan Debbie a fait que les entreprises en construction étaient très occupées. Je n’ai pas eu de contrôle sur l’échéancier des travaux», avoue la pharmacienne, ajoutant qu’elle est impatiente de reconstruire.Valérie Marcouiller a malheureusement dû congédier du personnel en attendant la réouverture.Face à cette épreuve, la pharmacienne est reconnaissante de l’aide déployée par le Groupe Jean Coutu. «Les employés de tous les départements nous ont aidés: les ressources humaines, l’immobilier, les opérations. On avait une cellule de crise à disposition où nos besoins et nos freins étaient nommés pour trouver des solutions», souligne-t-elle.Du soutien des organisationsL’Association québécoise des pharmaciens propriétaires (AQPP) a contacté Frédéric Duchesne et Valérie Marcouiller pour leur offrir son soutien. «Chaque propriétaire doit réfléchir et établir un plan de contingence, mais nous sommes aussi là pour mobiliser des ressources. Il faut voir au-delà des bannières. Les pharmaciens sont un service essentiel, un réseau», indique Benoit Morin, président de l’AQPP.D’ailleurs, la réflexion sur les sinistres dans les pharmacies dépasse l’anecdote à l’AQPP. «Nous sommes préoccupés par les changements climatiques et leurs répercussions sur nos membres. On a décidé d’entamer une réflexion en incluant l’enjeu dans notre plan stratégique pour aider nos membres à élaborer un plan de contingence en conséquence», assure-t-il.Une réflexion s’impose aussi sur la mutualisation des services aux pharmaciens propriétaires. « Il faut optimiser le transfert de dossiers au-delà des bannières, profiter de la force du nombre, du pouvoir de négociation des pharmacies pour l’achat d’équipements et de services reliés aux sinistres », ajoute le président de l’AQPP.Pour lui, il est important de protéger autant les pharmacies des villages que celles en milieu urbain. «On devient de plus en plus pertinent pour la population, nous participons aux services de première ligne. Il faut rester opérationnel en cas de crise et renforcer notre réseau», croit le président de l’AQPP.Outre l’AQPP, l’Ordre des pharmaciens du Québec a aussi offert du soutien aux sinistrés. «Ils nous ont fourni tous les numéros d’urgence en plus de nous offrir leur soutien. Déjà, sentir leur présence, c’était apprécié», observe Frédéric Duchesne. Le pharmacien de Chibougamau croit en l’importance du rôle de sensibilisation de l’OPQ. «Ça vaut la peine d’aider les pharmaciens à établir un plan de contingence avec une liste de numéros d’urgence», estime-t-il.Leçons apprisesPour les deux pharmaciens propriétaires sinistrés, plusieurs leçons peuvent être tirées de ces événements malheureux. , La liste de numéros d’urgence de Frédéric Duchesne s’est allongée. «Il faut être en contact avec les mesures d’urgence de la ville. On a fermé la pharmacie lors de l’évacuation, mais les travailleurs essentiels avaient besoin de nos services. Nous sommes revenus pour opérer la pharmacie après que les instances ont réalisé l’impact de notre absence», raconte le pharmacien propriétaire.Il déplore qu’en cas d’urgence, les cellules de crise ne pensent pas nécessairement à inclure les pharmaciens. «On ne pense pas souvent à nous parce que nous sommes une entreprise privée, mais nous devons être partenaires des services essentiels», souligne-t-il.Si chaque famille doit avoir une liste des choses à apporter en cas d’évacuation, les pharmaciens propriétaires devraient aussi être prêts à la même éventualité. «Ça devrait être automatique de prendre des vidéos chaque année de la pharmacie, comme on devrait prendre des vidéos de notre maison pour les assurances», note Frédéric Duchesne.Valérie Marcouiller croit également qu’il est important pour les pharmaciens de savoir la valeur des immobilisations et du stock dans la pharmacie. «J’avais rénové l’année dernière. J’avais des factures pour tout. Ç’a été plus facile pour les assurances. La décroissance d’immobilisation dans le bilan n’était pas assez précise», confie-t-elle. Elle suggère de conserver les factures le plus longtemps possible.L’amour de la professionPar-dessus tout, les deux pharmaciens propriétaires parlent de leur expérience en mettant le patient au centre de leurs actions. «Tu ne peux pas être pharmacien sans penser aux patients en premier. Ils ont besoin d’être bien servis. Ç’a été un soulagement de savoir que les pharmacies environnantes ont pu aider mes patients, au-delà de la concurrence», illustre Valérie Marcouiller.Pour Frédéric Duchesne, l’évacuation signifiait de mettre sa famille en sécurité en même temps que d’assurer la gestion de la pharmacie. «Une fois ma famille en sécurité, j’ai pensé inévitablement aux patients. Quand tu es pharmacien, ce n’est pas un métier, c’est une vocation. Mes patients avaient besoin de moi en pleine évacuation. Leur pilulier, c’est leur vie!»

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