Combien de patients par médecin de famille? Il n’y a pas de chiffre magique

Dans un contexte de pénurie d’accès à un médecin de famille, la tentation est grande, pour les gouvernements d’un océan à l’autre, de fixer un nombre minimal de patients à inscrire par clinicien. Sur le papier, l’équation semble simple: plus de patients inscrits, plus de personnes suivies. Dans un énoncé de position publié dernièrement (disponible en bas de page), le Collège des médecins de famille du Canada (CMFC) met toutefois en garde contre cette logique de quotas imposés, qu’il juge «dépassés» et «déraisonnables» lorsqu’ils ne tiennent pas compte de la réalité du travail clinique et de la complexité grandissante des cas.Au pays, il n’existe pas de «norme» sur la taille d’une patientèle en médecine de famille. Le CMFC rappelle que cette donnée varie largement selon les provinces et leur modèle de pratique, oscillant «de moins de 1 000 à 1 500 patients» en moyenne. Dans certaines juridictions, aucun seuil minimal n’est exigé, alors qu’en Ontario, par exemple, les organismes de soins familiaux peuvent exiger de 2 400 à 4 000 patients pour les groupes de trois à cinq médecins de famille, chacun pouvant être responsable d’un maximum de 2400 patients. Cette mosaïque illustre qu’un même chiffre n’a pas la même signification d’un territoire à l’autre, car le contexte - complexité des patients, organisation des soins, soutien administratif - transforme radicalement la charge réelle de travail.À consulter: Des médecins en Ontario ont facturé plus de 24 heures par jour ou 365 jours par anLorsque la cible augmente, la charge de travail peut rapidement devenir insoutenable. Le CMFC illustre l’écart entre une patientèle de 1200 et de 1600 patients: à complexité moyenne, cela représente environ 20 consultations par jour dans le premier cas, contre 26 dans le second. À raison d’une vingtaine de minutes par rencontre, cette différence équivaut à deux heures supplémentaires de travail par jour. «L’imposition de cibles […] sans tenir compte du soutien disponible rend la charge quotidienne impossible à soutenir à long terme», prévient l’énoncé du Collège. Et ce, alors que les médecins de famille consacrent déjà «de 10 à 19 heures par semaine» à des tâches administratives, un fardeau qui «risque d’augmenter si le nombre de patients inscrits dépasse leur capacité réelle».Au Québec, la situation diffère sensiblement des autres provinces, et le CMFC ne disposait d’ailleurs d’aucune donnée québécoise dans son énoncé. Selon la Régie de l’assurance maladie du Québec (RAMQ), le nombre moyen de patients inscrits individuellement par omnipraticien est de 795 en date du 22 novembre 2025. «Cette moyenne prend uniquement en compte les médecins de famille qui font de la prise en charge individuelle de patients, soit 7476 médecins de famille», précise la Régie. Du côté de la Fédération des médecins omnipraticiens du Québec (FMOQ), on indique que la patientèle moyenne grimpe à 940 lorsqu’on inclut les inscriptions collectives, et à 1025 pour les cliniciens exerçant en cabinet (au 31 mars 2025). Une particularité majeure complique toutefois la comparaison: seulement 40% des omnipraticiens québécois consacrent l’essentiel de leurs activités à la première ligne, tandis qu’environ 20% exercent principalement en deuxième ligne, rappelle la FMOQ.À lire aussi: Qu’est-ce qu’un «bon» médecin de famille?Adapter les cibles à la réalité du terrainAvant d’exiger des cibles plus élevées en matière d’inscription, encore faut-il que la pratique permette réellement de les soutenir, avertit le CMFC qui dénonce notamment les quotas institués par le gouvernement de l’Île-du-Prince-Édouard, où des seuils de 1300 patients sont désormais imposés aux médecins de famille. Le Collège insiste sur la nécessité d’«éviter des seuils minimaux trop élevés ou trop rigides», qui ne reflètent ni la complexité des cas ni la capacité du système à les absorber. Toute politique devrait ainsi être conçue «en consultation avec les leaders en médecine de famille» et s’accompagner d’investissements concrets dans les équipes et le soutien administratif, afin de libérer du temps clinique et de garantir des soins complets.En publiant cet énoncé, le CMFC ne conteste pas l’urgence d’améliorer l’accès. Il rappelle toutefois que la pratique des médecins de famille ne se limite pas à des rendez-vous en personne. Elle englobe aussi le suivi des labos, la gestion des courriels, le remplissage des formulaires administratifs, la coordination interprofessionnelle, etc. Dans ce contexte, le Collège est catégorique: «Les normes relatives au nombre de patients inscrits doivent privilégier la flexibilité, tenir compte des réalités locales et s’appuyer sur la participation active des médecins de famille». Autrement dit, il n’existe pas de chiffre magique, seulement une capacité clinique réelle qui doit être soutenue.La FMOQ n’a pas souhaité commenter la position du CMFC. Une discrétion qui résonne alors que le gouvernement de François Legault veut imposer aux médecins des cibles de performance dans le cadre de sa Loi 2. Plus que jamais, la question n’est pas de savoir combien de patients chacun doit inscrire, mais dans quelles conditions il est possible de réellement en prendre soin.

Combien de patients par médecin de famille? Il n’y a pas de chiffre magique

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