Circuit+: quand une petite équipe change la trajectoire de l’obésité infantile

À Rimouski, ce ne sont ni des chirurgies ni des molécules innovantes qui ont valu un prix d’excellence à un pédiatre et à l’équipe qui l’entoure, mais une clinique où l’on réapprend à marcher, à cuisiner, à mieux dormir. Lors des Journées de formation interdisciplinaire 2025 de la Fédération des médecins spécialistes du Québec, le Dr Yohann St-Pierre a reçu le «Prix d’excellence en soins en région intermédiaire ou éloignée» pour Circuit+, un programme destiné aux jeunes de 5 à 18 ans présentant au moins deux facteurs de risque de maladie cardiovasculaire, dont l’obésité. Une reconnaissance qui braque les projecteurs sur un modèle encore rare au Québec, mais appelé à compter dans la lutte contre l’obésité infantile.Car cette obésité progresse. Les données disponibles suggèrent qu’elle a au moins doublé depuis les années 1990, au Québec comme ailleurs en Amérique du Nord (voir encadré), avec des complications qui n’attendent plus l’âge adulte: stéatose hépatique, dyslipidémie, hypertension, diabète de type 2. Le tout dans un environnement qualifié d’«obésogène» par le Dr St-Pierre, un environnement qui s’accentue à mesure qu’on s’éloigne des grands centres, avec moins d’infrastructures sportives, des revenus plus bas et un accès parfois difficile à une alimentation saine.À cela s’ajoute la réalité des familles, souvent épuisées, parfois vulnérables socio-économiquement, qui peinent à adopter de saines habitudes de vie dans un quotidien chargé. Camille Fortin, nutritionniste au sein de l’équipe Circuit+, voit chaque semaine à quel point les contraintes matérielles et le manque de temps compliquent les changements alimentaires. «Ce n’est pas tout le monde qui a les mêmes ressources ni les mêmes habiletés en cuisine», rappelle-t-elle. Pour le Dr St-Pierre, «c’est vraiment une maladie chronique, difficile à prendre en charge. Malgré toute l’aide qu’on peut apporter, c’est très difficile au quotidien d’amorcer des changements».À Rimouski donc, l’aventure Circuit+ commence en 2022. Inspiré du modèle de clinique développé en 2010 au CHU Sainte-Justine, le CISSS du Bas-Saint-Laurent accepte alors de tester la faisabilité d’une telle clinique en région. La directrice adjointe du programme jeunesse, Murielle Therrien, et le Dr Yohann St-Pierre lèvent la main pour diriger le projet. Leur mandat est clair: implanter localement un service multidisciplinaire, en mesurer l’impact et documenter les obstacles propres aux milieux intermédiaires ou éloignés. «On voulait vérifier si un programme pensé à Montréal pouvait vivre, s’adapter et réussir ici», résume le Dr St-Pierre. Trois ans plus tard, le projet pilote est devenu un service pérenne, financé de façon récurrente par la Direction jeunesse du CISSS.Une prise en charge coordonnée et interdisciplinaireSur le terrain, Circuit+ repose sur une mécanique simple, mais exigeante: 12 mois d’accompagnement structuré, rythmés par des évaluations, des objectifs mensuels et un travail constant avec les familles. Tout commence par une rencontre individuelle avec la kinésiologue Marilou Caron, suivie de questionnaires et de tests physiques qui servent de repère. Saut en longueur, équilibre, course navette, épreuve aérobique - autant d’indicateurs pour situer le point de départ. «On cerne les enjeux réels, puis on fixe un objectif pour le mois. Toujours un objectif atteignable», explique-t-elle. Le jeune revient ensuite chaque mois, on ajuste, «on réévalue, on corrige la trajectoire». Pas d’approche standardisée donc, seulement du sur mesure, arrimé au quotidien du foyer. «Ce n’est pas un programme intensif. C’est un programme réaliste, adapté à ce que la famille peut soutenir.»À lire aussi: Insécurité alimentaire et obésité au Canada: les deux faces d'une même réalitéLes jeunes ne frappent pas seuls à la porte de Circuit+. Ils sont référés par leur médecin de famille ou les intervenants de première ligne, parfois par l’école, bientôt davantage si le programme se déploie. Une fois admis, la prise en charge repose sur une petite équipe soudée. Au centre du dispositif se trouve Marilou Caron, la kinésiologue, véritable pivot du programme. C’est elle qui est en contact direct avec les familles. «Plus on est d’intervenants autour du jeune qui travaillent dans la même direction, plus le taux de réussite augmente», résume-t-elle. En parallèle, les ateliers de nutrition et de psychoéducation donnent de l’épaisseur au programme. Camille Fortin, nutritionniste, accompagne les parents pour qu’ils reprennent prise sur l’alimentation familiale. «On part de leur réalité. Je ne veux pas qu’ils se sentent jugés», dit-elle, consciente des enjeux et contraintes auxquelles les familles font face. La psychoéducatrice Audrey Marquis intervient, elle, sur la relation parent-enfant et l’image corporelle, souvent fragilisée. «On voit souvent des jeunes qui manquent de cadre. En fin de parcours, les règles sont plus claires, la communication meilleure, l’estime de soi aussi», observe-t-elle.En retrait, mais jamais loin, le Dr St-Pierre joue quant à lui un rôle d’appui: sécurité médicale pour les enfants orphelins de médecin, levier auprès des familles qui stagnent, repère clinique pour l’équipe. «Ici, ce n’est pas centré sur le médecin. C’est centré sur le jeune, et sur la famille», insiste-t-il, précisant que l’équipe se réunit régulièrement pour faire le point sur chaque dossier.Des familles vulnérables, des trajectoires à reconstruireAu début du parcours, Marilou Caron voit surtout des enfants réservés, peu actifs, happés par les écrans, parfois isolés. «Beaucoup ne bougent presque pas et ont peu de liens avec les autres jeunes», dit-elle. Chez les parents aussi, les repères manquent: routines bancales, heures de coucher tardives, règles floues autour des appareils numériques. Plusieurs familles arrivent épuisées, désorganisées, parfois dépassées par la charge mentale.Douze mois plus tard, le tableau est souvent méconnaissable. Le simple fait de marcher avec un parent après l’école se transforme parfois en déclic. Une activité essayée par hasard devient un loisir, puis un cercle social. «On les voit se faire des amis, découvrir un sport, vouloir continuer», raconte Marilou Caron. Les repas changent aussi: plus de déjeuners, davantage de collations structurées, un peu plus de cuisine familiale. «Ils ressentent mieux leurs signaux de faim et de satiété. Les routines se stabilisent», observe Camille Fortin.Les changements psychologiques sont tout aussi marqués. «En fin de parcours, on voit des jeunes qui se connaissent mieux, qui ont une meilleure humeur et une motivation retrouvée», note Audrey Marquis. Le tout sans pression ni injonction à la performance, mais avec des habitudes de vie plus solides, une estime de soi restaurée et, pour beaucoup, une première expérience tangible de réussite.À lire aussi: Obésité: le poids du père avant la naissance est un important facteur de risque pour l’enfantDes résultats mesurables malgré les défisDepuis trois ans, une trentaine de jeunes sont suivis chaque année à Rimouski, avec une liste d’attente étonnamment courte pour ce type de service. Les résultats sont encourageants. Après 12 mois, l’indice de masse corporelle (IMC) ne diminue pas toujours, mais il cesse de progresser - un renversement majeur pour des trajectoires jusque-là ascendantes. Les capacités physiques s’améliorent nettement: meilleure endurance, meilleurs temps aux courses-navettes, équilibre plus solide, puissance accrue au saut. Les bilans biologiques suivent la même tendance, avec des améliorations au niveau du foie, du cholestérol et de la résistance à l’insuline. «Stabiliser l’IMC, c’est déjà beaucoup. Ralentir une fusée qui monte, ce n’est pas rien», souligne le Dr St-Pierre.Mais le programme n’échappe pas aux défis inhérents à l’obésité pédiatrique. Environ 30% des familles abandonnent en cours de route. «Ce n’est pas un échec de l’équipe. C’est une maladie chronique difficile à prendre en charge. Même avec du soutien, amorcer le changement reste un défi immense», insiste le pédiatre. Fait notable: plusieurs familles reviennent plus tard, lorsqu’elles se sentent enfin prêtes.Un modèle appelé à se déployer?Pour le Dr St-Pierre, l’expérience rimouskoise parle d’elle-même et selon lui, ces cliniques devraient exister partout au Québec. Pas seulement dans les grands centres, mais dans chaque région, afin que les jeunes vulnérables puissent recevoir un accompagnement adapté à leur réalité. «Le modèle fonctionne. On a des résultats, on a l’adhésion des familles et on répond à un besoin clair. Il devrait y avoir au moins une clinique par région», affirme-t-il.Santé Québec se montre toutefois prudent. Interrogée par Profession Santé, la société d’État reconnaît que «l’obésité infantile est un enjeu majeur de santé publique» et que «des approches multidisciplinaires peuvent contribuer à améliorer la prise en charge». L’organisation juge ces modèles «prometteurs», notamment parce qu’ils favorisent la coordination des soins et l’accompagnement des familles. Avant d’envisager un déploiement plus large, elle souhaite toutefois analyser les résultats et l’impact à long terme de ces services.Dans un Québec où l’obésité infantile continue de gagner du terrain, la plupart des familles n’auront jamais accès à une équipe comme celle de Rimouski pour les aider à changer, pas à pas, leurs habitudes de vie. Or, si l’on sait désormais comment accompagner ces jeunes et leurs parents, une question demeure entière: aura-t-on le courage d’aligner l’organisation des soins sur ce que l’on sait efficace, plutôt que sur ce qui est plus simple à financer?

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