Briseur de silence

Sherif Emil n’a rien de l’image du docteur tout-puissant que l’on peut facilement coller à certains chirurgiens. «Parfois il faut accepter qu’on a fait tout notre possible pour soigner le patient, qu’on a donné notre meilleur, mais qu’on n’a pas pu arriver à nos fins sans que cela soit de notre faute», confesse-t-il entre lucidité et fatalisme. «Je ne crois pas que la vie se résume à ce que l’on voit, mais plutôt à ce que l’on ne voit pas», ajoute le médecin dont la pratique est inspirée par sa foi chrétienne. «Elle me donne des réponses spirituelles aux aléas du quotidien.» Tandis que l’omerta règne à ce sujet dans le milieu médical, le Directeur du service de chirurgie pédiatrique Harvey E. Beardmore de l’Hôpital de Montréal pour enfants a une approche singulière en matière d’erreurs. Il ne s’en cache pas, car il estime que «l'on doit admettre qu'on en fait tous et que c’est normal de se sentir coupable», affirme-t-il sans ambages. Le quinquagénaire convient qu’il n’est pas facile de composer avec ce sentiment de culpabilité, alors il dit en parler ouvertement, en allant chercher du réconfort auprès de sa famille et d’amis proches plutôt que de collègues. «On ne se soutient pas mutuellement dans la profession», regrette le Dr Emil en prenant pour exemple deux erreurs dont il se souvient précisément. Les deux sont survenues à l'automne 2017, à quelques semaines d’intervalle, et coïncident avec l’hospitalisation en urgence de son père en Californie à cause d’une leucémie. Il ne s’agissait pas, selon lui, d’opérations difficiles et il avait pratiqué ces chirurgies des dizaines de fois, dans des conditions plus délicates, comme sur les bateaux de l’ONG Mercy Ships sur lesquels il effectue du bénévolat. Sauf que ces deux jours-là, les choses ont mal tourné. Ses deux jeunes patients ont survécu, mais il sait qu’il a failli. «Avec du recul, je pense que j’opérais dans le brouillard et je ne m’en suis pas rendu compte. Je ressentais des émotions intenses, je subissais un grand stress et j’éprouvais de la culpabilité», témoigne le chirurgien. Ses erreurs techniques, il les a reconnues et regrettées auprès des parents et le médecin se rappelle que son résident, devenu aujourd’hui son partenaire, a été choqué qu’il le fasse. Une culture bien ancrée «Personne n’est venu cogner à ma porte pour me demander comment j’allais, se souvient-il également. Au contraire, j’ai été mis à l’écart et j’ai craint pour ma pratique», avoue le Dr Emil en dénonçant le manque d’empathie et d’humilité de certains chirurgiens qui les amène, parfois, à nier qu’ils peuvent eux aussi commettre des erreurs. Il ne blâme pas forcément les individus, mais déplore une culture bien ancrée, un système qui encourage le silence. «J’ai essayé d’aller réconforter des collègues, mais sans doute pas autant que j’aurais dû», convient-il humblement. «Désormais, quand je vois un confrère s’autoflageller sur les réseaux sociaux, je le contacte quelques jours après en lui disant que je sais par quoi il passe.» Dernièrement, le chirurgien a publié un article dans la revue JAMA Pediatrics intitulé «L’héritage d’Éva». Il y relate l’erreur de diagnostic qu’il a commise sur une fillette de huit ans atteinte d’un sarcome des tissus mous très agressif. La patiente est décédée 18 mois après. Même si ce type de tumeur est associé à un taux de survie extrêmement faible, quel que soit le stade, le Dr Emil a été affligé par l’erreur de diagnostic initiale et l’intervention tardive. «J’ai voulu partager mon expérience pour honorer la mémoire de cette fillette et pour briser le mur du silence, explique-t-il. Des articles, j’en ai écrit une centaine et je n’ai jamais été contacté par des confrères. Là, j’ai reçu des centaines de messages des quatre coins du monde de médecins qui m’ont trouvé courageux, alors qu’eux étaient mal à l’aise d’en parler. Pourtant, ces choses-là arrivent tous les jours, alors pourquoi on n’en parle pas plus ?»

Briseur de silence

Pour accéder au contenu, connectez-vous ou créez un compte gratuit.

Catégories connexes