Au-delà des poumons, les vastes impacts méconnus de la fumée des feux de forêt

La fumée qui flotte dans l'air devient de plus en plus courante dans les villes canadiennes pendant l'été. En effet, 2025 semble en voie d'égaler l'année record de 2023 en matière d'incendies de forêt. Mais les problèmes respiratoires comme l'asthme ne sont pas seulement ce qui inquiète les professionnels de la santé.Du diabète au cancer, en passant par le déclin cognitif, les tumeurs cérébrales et les conséquences néonatales, les effets potentiels sont considérables. Et si la sensibilisation progresse, des lacunes subsistent quant aux connaissances sur les effets systémiques à long terme d'une exposition accrue à cette pollution.«Les conséquences à long terme des incendies de forêt sont un domaine très important qui nécessite davantage de recherche, estime Scott Weichenthal, professeur agrégé au Département d'épidémiologie, de biostatistique et de santé au travail de l'Université McGill de Montréal. C’est d'autant plus vrai que, si vous êtes né au cours des cinq dernières années, votre développement se déroulera entièrement dans un environnement où cela se produit régulièrement, et pour ces enfants, cela aura probablement un impact sur leur santé à long terme.»À lire aussi: Les épisodes de smog s'accumulent et ont des effets sur la santé à long termeLes principaux polluants préoccupants provenant des feux de forêt sont les très petites particules, ou particules de moins de 2,5 µm de diamètre, qui peuvent pénétrer en profondeur dans le système respiratoire, souligne Sarah Henderson, directrice scientifique des services de santé environnementale au Centre de contrôle des maladies de la Colombie-Britannique à Vancouver. «Les premières études sur la fumée des feux de forêt se concentraient sur les effets respiratoires aigus, et il est maintenant clair que la fumée des feux de forêt provoque des effets respiratoires aigus plus graves que la pollution atmosphérique provenant d'autres sources. Selon moi, les effets sont trois à quatre fois plus importants.»À lire aussi: Urgence climatique: «Votre voix, votre engagement, peuvent faire la différence»Sarah Henderson, qui étudie les impacts de la fumée des feux de forêt depuis vingt ans, ajoute que si les impacts à plus grande échelle ne sont pas entièrement connus, le problème réside dans le fait que les très petites particules peuvent se propager à travers les poumons et la circulation sanguine. «Ces particules atteignent ensuite tous les organes du corps et sont suffisamment petites pour traverser la barrière hémato-encéphalique. Elles affectent donc non seulement les poumons, mais aussi l'ensemble du corps.»Bien que des études aient établi un lien entre la fumée des feux de forêt et un risque accru de maladies cardiovasculaires et d'accident vasculaire cérébral, la scientifique suggère que ces risques pourraient être similaires à ceux d'autres formes de pollution atmosphérique. L'impact sur la santé cognitive est, selon elle, plus intéressant et mérite d'être approfondi.Fonctions cognitives«De plus en plus de preuves démontrent que l'exposition à la fumée des feux de forêt a un impact significatif sur la santé cérébrale», observe-t-elle en citant une étude de cohorte portant sur plus de 1,2 million d'habitants du sud de la Californie pendant trois ans. «Cette étude a démontré un risque de démence beaucoup plus élevé associé à la fumée des feux de forêt qu'à la pollution atmosphérique ordinaire.»Une autre étude longitudinale a révélé qu'un pic de particules fines durant seulement trois heures – fréquent lors des fortes fumées des feux de forêt – était associé à des scores d'attention nettement inférieurs. Cette recherche, qui a testé les participants avec des jeux cérébraux, corrobore d'autres résultats montrant que l'inhalation de fumée peut altérer les fonctions cognitives, provoquant un brouillard mental, des pertes de mémoire et de la fatigue. «Cela survient en l’espace de quelques heures», souligne Sarah Henderson.CancerLe Dr Scott Weichenthal travaille au Centre sur le changement climatique et la santé McGill, qui s’intéresse aux vastes répercussions des changements climatiques sur la santé, notamment la façon dont la hausse des températures et les variations des conditions météorologiques favorisent la propagation de maladies infectieuses comme la maladie de Lyme et le paludisme, mais aussi comment la pollution atmosphérique et les conditions météorologiques extrêmes contribuent à des maladies non transmissibles comme les maladies cardiaques, les maladies respiratoires et les problèmes de santé mentale. Ne manquez pas: Les feux de forêt au Canada liés à une hausse des visites médicales aux États-UnisCet épidémiologiste a récemment étudié l'incidence du cancer liée à l'exposition aux feux de forêt. Avec son équipe, il a mené une étude de cohorte observationnelle basée sur la population auprès de plus de 2 millions de participants de la cohorte santé et environnement du recensement canadien de 1996, suivis pour l'incidence du cancer et la mortalité de 1996 à 2015. L'étude, publiée dans le Lancet, a révélé que l'exposition était associée à une incidence accrue de cancer du poumon et de tumeurs cérébrales.«Cela peut paraître terrible, mais nous ne devrions pas être surpris, car les feux de forêt sont connus pour émettre divers produits chimiques cancérigènes pour les humains», observe-t-il. Le défi est que, comme ces événements se produisent désormais régulièrement et souvent aux mêmes endroits, il ne s'agit pas seulement d'une exposition passagère pour de nombreuses personnes. Cela contribue à leurs risques sanitaires à long terme. Nous devons donc envisager de réduire leur exposition.»Développement fœtalL'impact du développement fœtal est un domaine d'étude important, poursuit Sarah Henderson.Parmi les preuves de plus en plus nombreuses démontrant que l'exposition in utero à la fumée des feux de forêt a des effets durables, une étude britanno-colombienne publiée dans ACS ES&T Air a montré que les nourrissons in utero pendant les violentes saisons des feux de forêt de 2017 et 2018 en Colombie-Britannique présentaient un risque beaucoup plus élevé d'infections respiratoires traitées aux antibiotiques au cours de leur première année de vie. L'étude se concentre sur les stades critiques du développement gestationnel des parties des voies respiratoires supérieures et inférieures associées aux deux infections respiratoires les plus fréquemment diagnostiquées: l'otite moyenne (infection de l'oreille moyenne) et les infections des voies respiratoires inférieures.«Nous constatons régulièrement des effets, qui peuvent durer toute la vie. Un événement peut se produire et dégrader votre santé tout au long de votre vie, vous obligeant à vivre 70 à 80 ans en mauvaise santé, par exemple, par rapport à ce que vous auriez connu s'il n'y avait pas eu de fumée pendant ces deux semaines où votre mère était enceinte.»DiabèteSarah Henderson cite ensuite le diabète comme autre domaine d'étude émergent concernant son lien avec la fumée des feux de forêt. Une étude de 2024 publiée dans Diabetes Care a en effet démontré des liens entre le diabète et la pollution atmosphérique due aux feux de forêt.«Il existe de plus en plus de preuves de son impact sur la fonction endocrinienne. Nous constatons ainsi que les personnes diabétiques, par exemple, ont du mal à équilibrer leur insuline lorsqu'il y a de la fumée, précise la scientifique. Je ne serais pas surprise si, dans cinq ans, nous disposions de preuves solides d'un lien entre l’incidence du diabète et la fumée des feux de forêt, de la même manière que nous avons des liens assez forts avec la pollution atmosphérique ordinaire.»Santé mentaleIl a été démontré que les feux de forêt contribuent non seulement au stress responsable des problèmes de santé mentale, mais que la fumée elle-même pouvait aggraver ces troubles.Une étude publiée dans le JAMA Network Open, portant sur les feux de forêt de 2020 en Californie, a établi un lien entre l'exposition aux particules fines (PM2,5) spécifiques aux feux de forêt et les visites aux urgences pour des raisons de santé mentale. L'étude, menée par des chercheurs de la Harvard T.H. Chan School of Public Health, a constaté une augmentation des visites aux urgences pour des raisons de santé mentale, en particulier chez les jeunes enfants, les personnes issues des minorités raciales et ethniques et les femmes.Consultez: Les particules ultrafines causeraient 1100 décès prématurés par an à Montréal«La fumée des feux de forêt n'est pas seulement un problème respiratoire: elle affecte également la santé mentale», confirme l'une des coauteurs de l’étude, Kari Nadeau, dans un communiqué. «Notre recherche suggère qu'outre le traumatisme qu'un feu de forêt peut induire, la fumée elle-même pourrait jouer un rôle direct dans l'aggravation de problèmes de santé mentale comme la dépression, l'anxiété et les troubles de l'humeur.»Combler les lacunes«La principale lacune que de nombreux scientifiques, moi y compris, s'efforcent actuellement de combler concerne les liens avec les maladies incidentes, reconnaît Sarah Henderson. Les populations exposées à la fumée des feux de forêt présentent-elles davantage de diabète, de maladies cardiovasculaires, d'asthme et de BPCO? Nous savons que la fumée aggrave bon nombre de ces problèmes à court terme, mais une fois la fumée dissipée, quels sont les effets à long terme de ces expositions sur la santé?»La question suivante, ajoute-t-elle, est de savoir comment l'ampleur de l'exposition se traduit par des résultats tangibles.«On pourrait avoir une communauté exposée à une seule forte dose de fumée en cinq ans, et une autre à une quantité modérée de fumée chaque été pendant cinq ans. Globalement, elles auront la même exposition cumulée à la fumée, mais quel sera l'impact de cette temporalité sur le risque? Et est-ce différent selon les résultats? Je peux facilement me persuader qu'une forte dose de fumée, surtout si des combustibles anthropiques sont brûlés, serait plus fortement associée au risque de cancer du poumon, par exemple, que de plus petites quantités de fumée chaque été, mais ce n'est que mon avis. Nous ne le savons pas encore.»Un équilibre délicatLors de ses consultations, Scott Weichenthal recommande aux professionnels de santé:de s'assurer que les patients disposent d'un moyen de réduire leur exposition en restant à l'intérieur;de s'assurer que les patients savent où trouver des informations en temps réel sur la qualité de l'air;de parler aux patients des purificateurs d'air intérieur, en soulignant qu'ils peuvent être fabriqués avec des matériaux facilement disponibles et peu coûteux;de partager des conseils avec les patients souffrant de pathologies préexistantes afin qu'ils disposent d'une solution pour les jours de forte fumée ou en cas d'aggravation/aggravation de leur état de santé.Parallèlement, il souligne que les patients doivent savoir que le risque individuel de maladie liée à la fumée des feux de forêt est considéré comme faible – il s'agit de réduire ce risque, tout en acceptant que la vie comporte des risques.Sarah Henderson acquiesce: «La vie comporte toutes sortes d'autres risques, et si les patients sont stressés par la fumée des feux de forêt, ce n'est pas bon pour eux non plus. C'est un équilibre délicat.»Recherche de solutionsLa sensibilisation de la population pourrait être utile. Une nouvelle étude sur la saison des feux de forêt de 2023 en Ontario suggère que les messages de santé publique peuvent contribuer à réduire les visites aux urgences liées à l'asthme lors d'épisodes de fumée. Les chercheurs ont constaté une hausse des visites aux urgences lors du premier épisode majeur de fumée en juin, mais pas lors d'un deuxième épisode plus tard dans le mois. Cette baisse pourrait être due à une sensibilisation accrue du public et à des mesures de protection, comme le respect des avis sur la qualité de l'air et la disponibilité des médicaments, ont indiqué les chercheurs. Les résultats soulignent qu'une information rapide peut aider les personnes asthmatiques à se protéger lors d'épisodes de fumée de feux de forêt.Mais selon Sarah Henderson, il ne suffit pas de compter sur les gens pour se protéger. Comme elle l'a écrit dans un récent article d'opinion paru dans le CMAJ, des stratégies descendantes, telles que des réglementations pour assurer la qualité de l'air intérieur et des lois pour protéger les travailleurs à l'extérieur, sont également nécessaires pour protéger la santé humaine face aux changements climatiques.«Nous n'avons aucun contrôle sur l'exposition à ce problème, mais nous pouvons le contrôler sur l'environnement intérieur. J'étudie ce sujet depuis 20 ans et nous disposons de toutes les preuves nécessaires pour démontrer que ce phénomène va perdurer. Ce sera probablement une réalité pour le reste de notre vie, alors commençons à mettre en œuvre les changements nécessaires pour y remédier, grâce à une législation sur la qualité de l'air intérieur.»

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