Assise sous la lumière

Je suis assise sur un tabouret rigide, sous une lampe puissante qui éclaire les muscles déchirés, la peau étirée et le sang qui coule à quelques centimètres de mon visage. Il fait chaud sous la lumière. Il est 1 heure du matin. Derrière moi, sur un chariot métallique, s'entassent des ciseaux, des pinces et des forceps stériles. Je tiens le porte-aiguille d'une main et une éponge de l'autre. Une femme vient d'accoucher et je suis assise entre ses jambes relevées, prête à commencer à réparer ses déchirures.Je n'entends presque rien. Dans cette salle d'accouchement, un silence enveloppant a remplacé le brouhaha qui a accueilli le nouveau-né. On entend les doigts de l'infirmière taper doucement sur le clavier pour enregistrer les mots et les chiffres de cette histoire unique. De temps en temps, un bip intempestif de la machine à perfusion vient troubler le silence, tout comme le grincement des roulettes de mon tabouret. Le bruit le plus agréable est le cri du bébé, suivi des murmures doux provenant de la tête du lit.Sur le chariot métallique, une bassine ronde contient une masse violette épaisse dont les bords lisses épousent doucement les parois fraîches de la bassine. Mes doigts ont déjà suivi ses rondeurs nourricières et ses surfaces protectrices pour s'assurer qu'elle est intacte. Elle l'est, et maintenant elle se repose; sa tâche vitale est accomplie. J'entends le médecin résident prendre des ciseaux sur le chariot, puis s'accroupir à côté de moi pour partager ce moment.Nous voyons quelque chose d'à la fois adorable et serein: un petit pied qui dépasse d'une couverture juste au-delà de notre espace de travail. Le médecin résident rit doucement. Je souris et admire, une fois de plus, la juxtaposition entre la création miraculeuse et la destruction routinière; celle sur laquelle nous devons maintenant concentrer notre attention.Alors que nous nous concentrons sur les couches de tissus à vif devant nous, je me souviens de l'histoire que nous avions lue en classe à l'école secondaire, celle d'un enfant contraint de nager dans un tunnel rocheux océanique rempli d'eau colorée, qui se cognait contre les parois rocheuses inégales, qui luttait pour retrouver son souffle tandis que son corps naviguait dans le passage étroit vers la lumière de l'autre côté. C'était un voyage éprouvant. Mes camarades de classe et moi avions regardé notre professeur d'un air perplexe, tandis qu'il attendait que nous lui disions ce que cette histoire représentait. Comment pouvions-nous le savoir? Ce n'est pas comme si nous nous en souvenions. Ce bébé aux petits pieds ne s'en souviendra pas non plus, il ne pourra pas raconter sa propre histoire pour atteindre la lumière. Aucun d'entre nous ne le peut. Pourtant, chacun d'entre nous a fait ce voyage.Lire aussi: Super job: la Dre Joelle Thorgrimson, médecin de l’air au sein de l'Aviation royale du CanadaJe suis assise dans la lumière au bout du tunnel. Cette nouvelle maman me regarde droit dans les yeux. Son regard est bref mais intense, et je le lui rends. La joie, la confiance et la gratitude traversent la lumière, renforçant le pont des souvenirs entre nous: les souvenirs des années avant son arrivée à l'hôpital et ceux qui nous attendent dans les années à venir avec son bébé. Je suis son médecin de famille. Je vais l'aider à se souvenir de l'histoire de ce bébé.Des bruits lointains dans le couloir attirent mon attention sur les autres naissances qui se déroulent autour de nous, chacune à un stade différent. Peut-être que quelqu'un d'autre est assis comme moi dans la paix qui suit l'épreuve, dans le soulagement après l'inquiétude, et se délecte de l'amour et de l'espoir sans limites d'une famille qui vient de se former.Sont-ils également assis dans la lumière, presque submergés par l'émotion, car même s'ils ont vécu cela des centaines de fois, le miracle a encore trouvé le chemin, comme toujours, vers leur cœur?À quelques centimètres de mon visage, de petites gouttes de sang coulent langoureusement sur le sol comme un robinet oublié. La machine à perfusion émet un bip. Je remue le nez tandis que mes mains se mettent au travail. Je travaille assise dans cette pièce, sur ce tabouret, sous la lumière vive.Cette histoire est tirée de Full Circle: a collection of family medicine birth stories, un recueil d'histoires de médecins de famille partout au Canada. Il est disponible dans les bonnes librairies et ici, sur amazon.ca.

Assise sous la lumière

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