Alcool et PFAS: un combo toxique pour le foie

Les maladies hépatiques liées à l’alcool (ALD) sont en hausse dans plusieurs pays, y compris au Canada. Même si la consommation mondiale de boissons alcoolisées a légèrement diminué depuis 2010, elle reste assez élevée au pays. En 2021, environ 15,6% des Canadiens rapportaient qu’ils buvaient de l’alcool de manière excessive, à un niveau jugé à risque pour la santé. En parallèle, l’exposition aux PFAS – des composés chimiques artificiels – est presque universelle. «Des niveaux détectables de PFAS ont été observés dans plus de 98% de la population humaine», rappellent les auteurs d’une étude parue en juillet dans la revue Toxicological Sciences.Partant de là, ces chercheurs des universités Yale, de Californie du Sud, de Caroline du Nord et de la faculté de médecine du Mount Sinaï ont voulu savoir si ces deux facteurs – délétères individuellement – pouvaient agir de concert sur le foie. Leur conclusion est préoccupante: leur revue met en lumière les mécanismes moléculaires par lesquels alcool et PFAS pourraient agir en synergie pour amplifier les dommages hépatiques.Les PFAS (pour per- and polyfluoroalkyl substances) sont une vaste famille de composés synthétiques, prisés pour leurs propriétés antiadhésives et imperméabilisantes. On les retrouve dans des produits de consommation courante (ustensiles de cuisine, vêtements, emballages alimentaires, cosmétiques, etc.) et certaines professions y sont particulièrement exposées, comme les pompiers ou le personnel de nettoyage industriel. Résistants à la dégradation, ils s’accumulent dans l’organisme, en particulier dans le foie, où ils interfèrent avec le métabolisme lipidique, le stress oxydatif, la signalisation immunitaire et la fonction mitochondriale.L’équipe de recherche a mené une revue narrative approfondie, combinant données toxicologiques, mécanistiques et épidémiologiques. Ils ont synthétisé les effets connus de l’alcool et des PFAS sur le foie, puis ont exploré les chevauchements pathogéniques et les preuves émergentes de co-toxicité. Des effets amplifiésÀ ce jour, une seule étude expérimentale directe de co-exposition a été menée sur des souris qui ont été exposées soit à de l’éthanol, soit au PFOS (un PFAS bien connu), soit aux deux à la fois. Les résultats montrent que la co-exposition provoque une stéatose hépatique nettement plus marquée que l’exposition à l’un ou l’autre agent seul. Les niveaux plasmatiques de triglycérides étaient significativement plus élevés chez les souris co-exposées, et l’expression du gène Cd36, impliqué dans le transport des acides gras, était elle aussi fortement augmentée.Ce gène, qui facilite également l’absorption hépatique des PFAS, semble jouer un rôle central dans cette synergie toxique. Les auteurs notent que «l’expression de Cd36 et les concentrations plasmatiques de triglycérides présentaient des effets d’interaction significatifs entre les expositions», ce qui confirme un effet combiné allant au-delà d’une simple addition. L’étude rapporte aussi une suractivation de plusieurs récepteurs nucléaires (PPARγ, PXR, CAR), liés à la régulation du métabolisme lipidique et de la détoxication, accentuant encore les déséquilibres métaboliques.À lire aussi: Six produits naturels courants potentiellement nocifs pour le foieCette revue fait ressortir plusieurs mécanismes biologiques par lesquels alcool et PFAS s’attaquent conjointement au foie. Tous deux augmentent la synthèse lipidique (notamment via la voie SREBP-1), réduisent l’oxydation des acides gras et entravent l’exportation des lipides, favorisant ainsi l’accumulation intra-hépatique de triglycérides. Sur le plan mitochondrial, l’alcool perturbe les canaux de transport et altère la respiration cellulaire, tandis que les PFAS endommagent directement les complexes de la chaîne respiratoire, causant une fuite de radicaux libres (ROS). Ces effets convergent pour créer un déséquilibre énergétique profond. Le stress oxydatif qui en découle est amplifié par la déplétion des antioxydants tels que le glutathion, ce qui aggrave les dommages cellulaires. Sur le plan immunitaire, les deux agents stimulent des voies inflammatoires similaires (NF-kB, TNF-α, NLRP3) et exacerbent l’activation des cellules de Kupffer. Enfin, le microbiote intestinal est également ciblé: l’alcool comme les PFAS perturbent la barrière épithéliale, réduisent les acides gras à chaîne courte protecteurs et facilitent la translocation de lipopolysaccharides vers le foie, un facteur de plus dans l’escalade inflammatoire. «Le “double impact” résultant de l’exposition à l’alcool et aux PFAS a un fort potentiel non seulement pour accélérer le développement de la stéatose, mais aussi pour favoriser de nombreuses atteintes hépatiques caractérisées par un dysfonctionnement mitochondrial et un déséquilibre de l’homéostasie rédox», résument les chercheurs.À lire aussi: Une hausse des cas d'hépatopathie chez les jeunes inquiète les spécialistesImplications en clinique et en santé publiquePour les cliniciens, cette revue invite à considérer l’exposition environnementale comme un facteur aggravant des maladies hépatiques, surtout chez les patients présentant des anomalies hépatiques inexpliquées ou une stéatose précoce. Des groupes à risque bien définis devraient faire l’objet d’une attention particulière: les travailleurs exposés aux PFAS (pompiers, personnel d’entretien industriel, etc.), les personnes ayant une consommation d’alcool régulière ou excessive, ainsi que les patients âgés, immunosupprimés ou vivant dans des zones de contamination connue. En santé publique, les auteurs appellent à renforcer la biosurveillance – par exemple, le dosage des PFAS dans le sang ou dans l’eau potable – ainsi que les mesures préventives en milieu de travail, comme les équipements de protection individuelle et les suivis médicaux réguliers. Enfin, sur le plan scientifique, ils plaident pour une médecine de précision environnementale, intégrant les outils de la biologie des systèmes, la modélisation computationnelle et les omiques pour mieux saisir les synergies toxiques et identifier des biomarqueurs précoces. «Mieux comprendre comment les co-expositions peuvent interagir de façon synergique dans le développement des maladies hépatiques pourrait orienter des approches plus ciblées en santé environnementale et en médecine de précision», concluent-ils.Référence:Vasiliou V, Stem A, Scheufen Tieghi R et coll. Synergistic Toxicity in Alcohol-Associated Liver Disease and PFAS Exposure, Toxicological Sciences, 2025;, kfaf110, https://doi.org/10.1093/toxsci/kfaf110

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