Vous me dégoûtez…

J'ai récemment entendu une entrevue fascinante de la CBC portant sur l'émotion du dégoût – la facilité avec laquelle elle peut être suscitée et la puissance avec laquelle elle façonne le comportement humain.La recherche en psychologie clinique montre qu'il s'agit de l'une des émotions les plus facilement déclenchées et les plus reconnaissables. Dans le monde d'aujourd'hui, où une grande partie de notre discours politique et culturel est chargé d'émotions, le dégoût est un bouton sur lequel on appuie beaucoup trop souvent. Je ne peux m'empêcher de me demander si une partie de la méchanceté entourant les soins médicaux prodigués aux jeunes transgenres, par exemple, ne pourrait pas être mieux comprise à travers cette lentille?Quel est donc le rôle du dégoût en médecine? Et que pouvons-nous en apprendre?Grâce à une recherche assistée par l'intelligence artificielle, je suis tombé sur une définition succincte tirée de l’ouvrage Handbook of Emotions (Rozin, Haidt, & McCauley, 2008): «Le dégoût est une émotion humaine fondamentale et universelle caractérisée par une forte réaction de répulsion face à des stimuli perçus comme contaminants, offensants ou moralement répugnants, souvent accompagnée de réactions physiques telles que la nausée, une grimace faciale et des comportements de retrait. D'un point de vue médical et psychologique, le dégoût est considéré à la fois comme un mécanisme de protection contre les maladies et comme une émotion sociale et morale impliquée dans les jugements éthiques et le comportement interpersonnel.»«Il est utile de le décomposer davantage:Le dégoût physiologique – déclenché par des stimuli sensoriels (aliments en décomposition, fluides corporels, odeurs nauséabondes).Dégoût pathogène – Évolue pour nous protéger des maladies (par exemple, plaies, excréments, vomissures).Dégoût moral – Découle des violations de l'éthique (cruauté, trahison, déviance).Le dégoût de soi – Observé dans les maladies mentales, souvent dans la dépression ou les troubles de l'alimentation.»Le dégoût est très ancien. Il a évolué pour nous protéger, d'abord de la viande avariée, puis de la corruption morale. Des études de neuro-imagerie montrent que l'insula antérieure et les ganglions de la base (en particulier le putamen) sont profondément impliqués dans le traitement du dégoût. Le cortex orbitofrontal aide à intégrer les données sensorielles et émotionnelles.Il partage la propriété neuronale avec la douleur et la peur, ce qui peut expliquer pourquoi le dégoût peut laisser une empreinte émotionnelle aussi durable.Quiconque a vu (ou senti) des plaies infectées, des tumeurs nécrosées ou une gangrène avancée connaît cette réaction viscérale. La formation médicale exige que nous supprimions cette réaction - pour continuer, pour soigner. Mais les formes complexes et plus subtiles de dégoût que nous rencontrons représentent un défi encore plus grand.Prenons l'exemple des cas suivants:Un patient souffrant d'une maladie psychiatrique non traitée qui se néglige gravement.Un individu souffrant d'obésité sévère, accompagnée de conséquences physiques et olfactives.Un patient souffrant de troubles de la personnalité qui manipule ou trompe les cliniciens.Une patiente qui vient pour sa cinquième interruption de grossesse.Un patient toxicomane cherchant à se faire soigner pour les blessures qu'il a subies en agressant physiquement son conjoint.Ces cas suscitent plus qu'une aversion physique. Ils peuvent susciter un dégoût moral, silencieusement, insidieusement. Malgré notre formation à l'empathie et au professionnalisme, nous restons humains. Le résultat? Nous pouvons nous retirer – visites écourtées, moins de chaleur humaine, jugement subtil.C'est important. Le dégoût non reconnu érode la confiance. Il peut affecter directement la qualité des soins.Contrairement au dégoût physique, qui est en grande partie inné, le dégoût moral est en grande partie acquis. Il est façonné par l'éducation, la culture et l'histoire personnelle. Dès l'enfance, nous intériorisons des normes – ce qui est «propre» ou «sale», ce qui est «honteux», ce qui est «juste». Ces associations deviennent automatiques et ignorent souvent la pensée rationnelle.Les recherches en psychologie morale suggèrent que le dégoût moral agit comme un raccourci mental, une approximation émotionnelle de la désapprobation. Il est lié à des violations de la pureté perçue: malhonnêteté, comportement sexuel, cruauté. Mais ce qui suscite le dégoût dans une culture (par exemple, les relations homosexuelles, les habitudes alimentaires) peut être célébré dans une autre.Cela a des implications considérables en médecine.Les médecins n'arrivent pas à la clinique comme des ardoises vierges. Nous apportons nos valeurs, conscientes et inconscientes. Lorsque nous nous occupons de personnes dont la vie défie ces normes – des patients incarcérés, des toxicomanes, des personnes cherchant à obtenir des soins qui tiennent compte de leur sexe – le dégoût moral peut s'insinuer. Il peut influencer notre façon de parler, d'examiner physiquement, de traiter.Il y a aussi la question du dégoût de soi – des patients qui détestent leur propre corps. Pensez à une femme souffrant d'une fistule recto-vaginale complexe. Un homme atteint d'un cancer fongique de la tête et du cou. Un adolescent souffrant d'acné kystique sévère. Ils peuvent se sentir contaminés, honteux, voire sous-humains.Notre réaction est importante.La bonne nouvelle est la suivante: le dégoût moral s'apprend. Ce qui signifie qu'il peut être désappris.Le reconnaître, c'est ouvrir un espace de croissance. Cela nous permet de remplacer le jugement par la curiosité. Le dégoût, reconnu et examiné, peut nous conduire vers une empathie plus profonde, et non pas nous en éloigner.Pour les cliniciens, la gestion du dégoût peut impliquer:Prise de conscience – Reconnaître les signes: la nausée, le recul, le besoin d'éviter;Contextualisation – Demander: est-ce physique? Moral? S'agit-il du patient ou de moi?Action – Utiliser la réflexion ou la pleine conscience pour interrompre la réaction. La médecine narrative peut aider à recadrer l'histoire, en redirigeant l'attention du dégoût vers la connexion.L'objectif n'est pas d'éliminer le dégoût. Il s'agit de le voir. De l'étudier. D'éviter qu'il ne dicte notre comportement.Et pour les patients qui luttent contre le dégoût d'eux-mêmes? Nous pouvons leur offrir plus que des soins cliniques. La psychoéducation, les groupes de soutien, la TCC, un langage qui rétablit la dignité peuvent faire contrepoids à la honte.En fin de compte, affronter le dégoût – à la fois en nous-mêmes et chez nos patients – fait partie de notre travail. Le dégoût ne fait pas de nous de mauvais médecins. Le nier pourrait l'être.Ne le craignons pas. Apprenons de lui. Laissons-le approfondir notre humanité. Nous en sommes capables.Le Dr Ted Jablonski est un artiste de la scène et un écrivain qui a quitté son cabinet de médecine familiale pour se consacrer à la médecine sexuelle et à la santé des personnes transgenres dans le sud de l'Alberta, tout en gardant les pieds fermement plantés dans les tranchées de première ligne des soins primaires aigus.

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